Le Sacrement du frère, voilà un beau titre aux connotations conciliaires qui risque de faire fuir mon lectorat tradi. Tant pis. Ce titre renvoie au thème fondateur de l'oeuvre de la poétesse et écrivain russe Marie Skobtsov qui vient d'être canonisée par l'église orthodoxe. Les éditions du Cerf ont eu la bonne idée d'éditer sous ce titre un livre réunissant des textes et dessins qui retracent le parcours spirituel de cette femme hors du commun, socialiste-révolutionnaire en Russie, mariée deux fois (dont à un futur jésuite), devenue moniale en 1932 à l'âge de 41 ans, morte en 1945 dans un camp d'extermination nazi.
Voici une biographie assez complète de sainte Marie Skobtsov, tirée du forum orthodoxe francophone :
Née en 1891 à Riga, ancienne militante socialiste-révolutionnaire de la Révolution de 1917, à St-Pétersbourg et en Crimée, deux fois mariée et mère de famille, elle se réfugia avec son second mari, ses enfants et sa mère à PARIS en 1923 - après avoir vécu trois ans d'exode avec eux, dans une grande misère, à travers la Géorgie, Istanbul, la Yougoslavie et l'Allemagne en plein chaos ; ayant perdu sa plus jeune fille - et les deux aînés étant devenus indépendants - mère Marie revêtit la robe monacale en 1932, après avoir obtenu l'accord de son mari et de son Évêque qui prononça leur divorce spirituel ; elle se consacra dès lors au service des miséreux, des malades et des laissés pour compte de l'émigration ; ayant caché des Juifs persécutés sous l'occupation allemande et les ayant aidés à échapper à la déportation, elle sera déportée en représailles en 1943 au camp d'extermination de Ravensbrück ; son fils saint Youri Skobstov fut également déporté en Allemagne, avec saint Dimitri Klepinine ; tous deux moururent dès février 1944 dans le camp de Buchenwald; mère Marie, épuisée par deux ans de camp, fut tuée dans une chambre à gaz le Vendredi Saint 30 mars 1945 par les hitlériens ; le lendemain, qui était le Samedi du Grand Repos, son cadavre a été détruit par eux dans un four crématoire (+ 1945) - canonisée par le Patriarcat de Constantinople le 16 janvier 2004 (source : forum orthodoxe francophone)
Le site des pages orthodoxes propose des extraits de Mère Marie Skobtsov, Le sacrement du frère (Éditions du Cerf/Éditions le Sel de la Terre, 2001) mais aussi la préface d'Olivier Clément dont plusieurs passges ont retenu mon attention :
Voici une biographie assez complète de sainte Marie Skobtsov, tirée du forum orthodoxe francophone :
Née en 1891 à Riga, ancienne militante socialiste-révolutionnaire de la Révolution de 1917, à St-Pétersbourg et en Crimée, deux fois mariée et mère de famille, elle se réfugia avec son second mari, ses enfants et sa mère à PARIS en 1923 - après avoir vécu trois ans d'exode avec eux, dans une grande misère, à travers la Géorgie, Istanbul, la Yougoslavie et l'Allemagne en plein chaos ; ayant perdu sa plus jeune fille - et les deux aînés étant devenus indépendants - mère Marie revêtit la robe monacale en 1932, après avoir obtenu l'accord de son mari et de son Évêque qui prononça leur divorce spirituel ; elle se consacra dès lors au service des miséreux, des malades et des laissés pour compte de l'émigration ; ayant caché des Juifs persécutés sous l'occupation allemande et les ayant aidés à échapper à la déportation, elle sera déportée en représailles en 1943 au camp d'extermination de Ravensbrück ; son fils saint Youri Skobstov fut également déporté en Allemagne, avec saint Dimitri Klepinine ; tous deux moururent dès février 1944 dans le camp de Buchenwald; mère Marie, épuisée par deux ans de camp, fut tuée dans une chambre à gaz le Vendredi Saint 30 mars 1945 par les hitlériens ; le lendemain, qui était le Samedi du Grand Repos, son cadavre a été détruit par eux dans un four crématoire (+ 1945) - canonisée par le Patriarcat de Constantinople le 16 janvier 2004 (source : forum orthodoxe francophone)
Le site des pages orthodoxes propose des extraits de Mère Marie Skobtsov, Le sacrement du frère (Éditions du Cerf/Éditions le Sel de la Terre, 2001) mais aussi la préface d'Olivier Clément dont plusieurs passges ont retenu mon attention :
[...] " Pour beaucoup, la vie de Mère Marie n'avait été qu'un long scandale ( ci-contre avec le philosophe russe Nicolas Berdiaev). Cette ancienne socialiste-révolutionnaire, mariée deux fois, devenue chrétienne sans avoir, au fond, jamais cessé de l'être, restait une intellectuelle de gauche, anarchique jusque dans sa mise sa sensibilité révolutionnaire, son amitié pour les Juifs, choquaient non seulement l'émigration de droite, mais nombre de jeunes orthodoxes nostalgiques d'un ordre total, organique et sacré.
Cette moniale, qui dénonçait dans la vie de la plupart des monastères un médiocre ersatz de vie familiale, scandalisait les natures éprises de contemplation solitaire; c'est que, pour elle, il s'agissait de refuser tout confort - qu'il soit bercement liturgique ou paix d'une clôture - pour vivre jusqu'au bout, jusqu'à la mort, le grand risque de la pauvreté, la grande invention de l'amour. Pour s'insérer sans retour dans la " dévastation ", l'anéantissement du Dieu qui s'est fait homme par folie d'amour.
Immense, violente et passionnée, la vitalité de cette femme n'a cessé d'être un bondissement d'amour. Un amour non pas progressivement apaisé mais crucifié, comme dilaté à l'infini et transformé en maternité spirituelle. Mère, cette jeune fille révolutionnaire l'était déjà, qui protégeait de la police les étudiants pauvres de Yalta, apprenait à lire aux ouvriers de Saint-Petersbourg, épousait à dix-huit ans - par une impulsion démesurée - un intellectuel révolutionnaire pour le sauver de l'alcool et de la déchéance; le grand poète Alexandre Blok, qu'elle aimait d'une déchirante pitié, ne lui demanda-t-il pas de passer chaque jour sous ses fenêtres en pensant à lui "comme une mère" ?
[...]
Prophétique, le destin de Mère Marie l'est aussi pour les relations mystérieuses de l'Église et du peuple juif. Pour Mère Marie, le fait que des chrétiens acceptent volontairement de souffrir et de mourir pour et avec les Juifs hâtait le moment eschatologique où le vieil Israël reconnaîtrait son Messie dans le Crucifié. Interrogé par un policier allemand sur l'aide qu'il apportait aux Juifs, le père Dimitri Klépinine, compagnon de service de Mère Marie, lui répondit doucement en montrant la croix qu'il portait sur sa soutane : " Et ce Juif-là, vous le connaissez ? "
Le père Dimitri est mort à Dora, une dépendance de Buchenwald, le 9 février 1944. Leur ami commun, le Juif Élie Bounakov-Fondaminski, un des penseurs russes les plus intéressants de l'entre-deux-guerres, demanda le baptême au camp de Compiègne, mais refusa une évasion que sa maladie rendait possible. Il voulut partager le sort de son peuple. Il disparut dans les camps de la mort, pratiquant - en vrai Israélite - ce que la mystique juive et le Notre Père appellent " la sanctification du nom ". C'était l'époque où le patriarche de Constantinople demandait à tous les évêques qui se trouvaient sous sa juridiction dans l'Europe occupée par les Allemands de faire l'impossible pour sauver les Juifs.
" Les chrétiens s'interposent entre le Christ et les Juifs, dissimulant à ceux-ci l'image authentique du Sauveur ", avait écrit quelques années auparavant un des amis et des maîtres de Mère Marie, le philosophe Nicolas Berdiaev. Mère Marie et ses amis ont été de ces chrétiens de toutes confessions qui, au temps du grand massacre, ont commencé - par un service désintéressé - à révéler aux Juifs le vrai visage de Jésus [...]
Source : Pages sainte Marie Skobstov
Je vous renvoie également à un texte de soeur Marie sur le commandement de l'amour du prochain qu'elle appréhende à la lumière de la philosophie religieuse russe.
« ...L'ambiance historique a parfois conduit l'orthodoxie à valoriser, d'une manière unilatérale, la voie du salut individuel. Cela ne signifie pas, pour autant, que l'autre commandement fondamental du Christ ait été oublié ou rejeté. Le commandement de l'amour du prochain, second mais semblable au premier - l'amour de Dieu - n'a jamais cessé de s'adresser à l'humanité. Il a gardé la même force qu'au jour où il fut donné.
Peut-être nous est-il plus facile à nous, orthodoxes russes, de comprendre ce second commandement du Christ. Car c'est lui, précisément, qui a aimanté et animé toute la pensée religieuse russe.
Sans ce commandement, Khomiakov n'aurait jamais évoqué l'organisation conciliaire de l'Église, fondée entièrement sur l'amour et la communion humaine la plus haute. Sa théologie prouve que l'Église, dans sa totalité, manifeste à la fois le commandement de l'amour de Dieu et celui de l'amour du prochain, qu'elle est proprement impensable sans l'un et l'autre.
Sans le second commandement, la doctrine de Soloviev sur la divino-humanité n'aurait pas de sens. La divino-humanité, en effet, ne se réalise que lorsque l'unité organique du Corps du Christ est animée par la grande circulation de l'amour fraternel, lorsque tous se réunissent autour de l'unique calice et communient dans l'unité de l'amour divin.
Seul le second commandement, enfin, permet de comprendre Dostoïevski, lorsqu'il dit que nous sommes tous responsables de tous.
La pensée russe, depuis plus d'un siècle et de multiples manières, n'a cessé d'explorer ce que signifie donner son âme pour autrui. Elle a essayé de montrer la voie de l'amour, la voie de la vraie communion humaine qui, par sa profondeur même, devient communion avec Dieu. Souvent, dans l'histoire de la pensée, de la philosophie et de la théologie, ce sont d'abord les prémices théoriques qui surgissent ; l'idée ne s'incarne que plus tard dans la vie.
L'élaboration des principes théoriques de la voie de la communion a occupé l'essentiel de la pensée spirituelle russe au XIXe siècle. Géniales, véritable apogée de la tension créatrice de l'esprit russe, ces idées se sont répandues dans le monde entier. Aucune guerre, aucune révolution ne peut détruire ce qui a été élaboré par le génie philosophique et religieux de la Russie. Dostoïevski, avec beaucoup d'autres, demeurera dans les siècles. Nous pouvons puiser chez ces philosophes des quantités d'éléments, des réponses aux questions les plus tragiques, des solutions aux problèmes apparemment les plus insolubles. Osons le dire : le thème fondamental de la pensée russe au XIXe siècle a été le second commandement, sous tous ses aspects dogmatiques, moraux, philosophiques et sociaux"
Source : Le second commandement de l'évangile
Ci-dessous : Motif de la dernière icône brodée par Mère Marie au camp de Ravensbrück, représentant le Christ déjà crucifié dans les bras de Marie.
Cette moniale, qui dénonçait dans la vie de la plupart des monastères un médiocre ersatz de vie familiale, scandalisait les natures éprises de contemplation solitaire; c'est que, pour elle, il s'agissait de refuser tout confort - qu'il soit bercement liturgique ou paix d'une clôture - pour vivre jusqu'au bout, jusqu'à la mort, le grand risque de la pauvreté, la grande invention de l'amour. Pour s'insérer sans retour dans la " dévastation ", l'anéantissement du Dieu qui s'est fait homme par folie d'amour.
Immense, violente et passionnée, la vitalité de cette femme n'a cessé d'être un bondissement d'amour. Un amour non pas progressivement apaisé mais crucifié, comme dilaté à l'infini et transformé en maternité spirituelle. Mère, cette jeune fille révolutionnaire l'était déjà, qui protégeait de la police les étudiants pauvres de Yalta, apprenait à lire aux ouvriers de Saint-Petersbourg, épousait à dix-huit ans - par une impulsion démesurée - un intellectuel révolutionnaire pour le sauver de l'alcool et de la déchéance; le grand poète Alexandre Blok, qu'elle aimait d'une déchirante pitié, ne lui demanda-t-il pas de passer chaque jour sous ses fenêtres en pensant à lui "comme une mère" ?
[...]
Prophétique, le destin de Mère Marie l'est aussi pour les relations mystérieuses de l'Église et du peuple juif. Pour Mère Marie, le fait que des chrétiens acceptent volontairement de souffrir et de mourir pour et avec les Juifs hâtait le moment eschatologique où le vieil Israël reconnaîtrait son Messie dans le Crucifié. Interrogé par un policier allemand sur l'aide qu'il apportait aux Juifs, le père Dimitri Klépinine, compagnon de service de Mère Marie, lui répondit doucement en montrant la croix qu'il portait sur sa soutane : " Et ce Juif-là, vous le connaissez ? "
Le père Dimitri est mort à Dora, une dépendance de Buchenwald, le 9 février 1944. Leur ami commun, le Juif Élie Bounakov-Fondaminski, un des penseurs russes les plus intéressants de l'entre-deux-guerres, demanda le baptême au camp de Compiègne, mais refusa une évasion que sa maladie rendait possible. Il voulut partager le sort de son peuple. Il disparut dans les camps de la mort, pratiquant - en vrai Israélite - ce que la mystique juive et le Notre Père appellent " la sanctification du nom ". C'était l'époque où le patriarche de Constantinople demandait à tous les évêques qui se trouvaient sous sa juridiction dans l'Europe occupée par les Allemands de faire l'impossible pour sauver les Juifs.
" Les chrétiens s'interposent entre le Christ et les Juifs, dissimulant à ceux-ci l'image authentique du Sauveur ", avait écrit quelques années auparavant un des amis et des maîtres de Mère Marie, le philosophe Nicolas Berdiaev. Mère Marie et ses amis ont été de ces chrétiens de toutes confessions qui, au temps du grand massacre, ont commencé - par un service désintéressé - à révéler aux Juifs le vrai visage de Jésus [...]
Source : Pages sainte Marie Skobstov
Je vous renvoie également à un texte de soeur Marie sur le commandement de l'amour du prochain qu'elle appréhende à la lumière de la philosophie religieuse russe.
« ...L'ambiance historique a parfois conduit l'orthodoxie à valoriser, d'une manière unilatérale, la voie du salut individuel. Cela ne signifie pas, pour autant, que l'autre commandement fondamental du Christ ait été oublié ou rejeté. Le commandement de l'amour du prochain, second mais semblable au premier - l'amour de Dieu - n'a jamais cessé de s'adresser à l'humanité. Il a gardé la même force qu'au jour où il fut donné.
Peut-être nous est-il plus facile à nous, orthodoxes russes, de comprendre ce second commandement du Christ. Car c'est lui, précisément, qui a aimanté et animé toute la pensée religieuse russe.
Sans ce commandement, Khomiakov n'aurait jamais évoqué l'organisation conciliaire de l'Église, fondée entièrement sur l'amour et la communion humaine la plus haute. Sa théologie prouve que l'Église, dans sa totalité, manifeste à la fois le commandement de l'amour de Dieu et celui de l'amour du prochain, qu'elle est proprement impensable sans l'un et l'autre.
Sans le second commandement, la doctrine de Soloviev sur la divino-humanité n'aurait pas de sens. La divino-humanité, en effet, ne se réalise que lorsque l'unité organique du Corps du Christ est animée par la grande circulation de l'amour fraternel, lorsque tous se réunissent autour de l'unique calice et communient dans l'unité de l'amour divin.
Seul le second commandement, enfin, permet de comprendre Dostoïevski, lorsqu'il dit que nous sommes tous responsables de tous.
La pensée russe, depuis plus d'un siècle et de multiples manières, n'a cessé d'explorer ce que signifie donner son âme pour autrui. Elle a essayé de montrer la voie de l'amour, la voie de la vraie communion humaine qui, par sa profondeur même, devient communion avec Dieu. Souvent, dans l'histoire de la pensée, de la philosophie et de la théologie, ce sont d'abord les prémices théoriques qui surgissent ; l'idée ne s'incarne que plus tard dans la vie.
L'élaboration des principes théoriques de la voie de la communion a occupé l'essentiel de la pensée spirituelle russe au XIXe siècle. Géniales, véritable apogée de la tension créatrice de l'esprit russe, ces idées se sont répandues dans le monde entier. Aucune guerre, aucune révolution ne peut détruire ce qui a été élaboré par le génie philosophique et religieux de la Russie. Dostoïevski, avec beaucoup d'autres, demeurera dans les siècles. Nous pouvons puiser chez ces philosophes des quantités d'éléments, des réponses aux questions les plus tragiques, des solutions aux problèmes apparemment les plus insolubles. Osons le dire : le thème fondamental de la pensée russe au XIXe siècle a été le second commandement, sous tous ses aspects dogmatiques, moraux, philosophiques et sociaux"
Source : Le second commandement de l'évangile
Ci-dessous : Motif de la dernière icône brodée par Mère Marie au camp de Ravensbrück, représentant le Christ déjà crucifié dans les bras de Marie.