J’ai lu il y a quelques semaines les Mémoires de Louis Bouyer (1913-2004), parues aux Éditions du Cerf. La plupart des chapitres ont été rédigées dans les années 80. Louis Bouyer appartient à cette lignée de théologiens qui a marqué profondément la théologie catholique du 20ème siècle. Certains de ses ouvrages font partie de mes lectures de référence, Le Trône de la Sagesse , La Bible et L’Évangile, ou Sophia ou le monde en Dieu, par exemple. Louis Bouyer est aussi un polémiste hors pair et je regrette que ne soit pas réédité Décomposition du catholicisme qui apporte beaucoup d’éléments permettant de comprendre la situation actuelle du catholicisme. Ses ouvrages sont parfois émaillés de jugements hâtifs, excessifs, sur tel point de doctrine (la doctrine de la satisfaction, par exemple, dont l’abandon a justifié toutes les subversions, aussi bien dans la théologie que dans la liturgie), ou sur tel écrivain (Bloy, à cause de son exaltation doloriste, ou Claudel dont il critique les qualités littéraires !!), tel prélat (Daniélou avec qui il a entretenu une relation houleuse à l’Institut Catholique) etc… Dans ses mémoires cette tendance est d’autant plus déplaisante que Louis Bouyer n’y apparait pas toujours sous son meilleur jour. Il ne nous épargne pas le récit de ses nombreuses amitiés, de ses voyages, de ses rencontres multiples, donnant de lui une image très mondaine. Le théologien n’est pas très à l’aise dans cet exercice autobiographique et il m’est arrivé de survoler plusieurs pages, d’un intérêt mineur.
Louis Bouyer a été expert au Concile Vatican II, ce qui lui a permis d’être le témoin direct du sabotage de la liturgie. A la plus grande satisfaction des traditionalistes, il y confirme le rôle désastreux du fameux Annibale Bugnini, qui aurait toute sa place dans une légende noire du Concile (même le nom est évocateur). L’intérêt de ces Mémoires réside surtout dans les pages où Louis Bouyer relate, avec une ironie grinçante, les travaux de commissions où quelques experts auto-proclamés, profitant de l’esprit d’ouverture du pape Paul VI, sans savoir eux-mêmes ce qu’ils faisaient, ont contribué à détruire un héritage de plusieurs siècles. C’est la même technique que nous retrouvons aujourd’hui à l’œuvre dans certains milieux progressistes qui cherchent à influer sur le prochain Synode de la Famille, en constituant des groupes de pression, des commissions, parfois même au sein des paroisses. Ces commissions ne représentent qu’une minorité agissante, qui surestime son importance mais habile dans les manœuvres et la manipulation. Louis Bouyer a été un des plus farouches opposants, non pas de la réforme liturgique en tant que telle, dont il reconnaissait la nécessité, mais de ses dérives, devenues incontrôlables à la suite du Concile. Il faut souligner tout de même que Louis Bouyer a été un des artisans, un des promoteurs de cette réforme et que sa conception du «repas sacré», indissociable du sacrifice dans le Judaïsme, a pu favoriser cette confusion qui subsiste encore aujourd’hui dans la perception de la messe : s’agit-il d’un repas commémoratif ou de la réactualisation non sanglante du sacrifice unique du Christ ? S’appuyant sur l’histoire comparée des religions, il a montré dans Eucharistie que le lien entre banquet sacré et sacrifice est commun à de nombreux rites et maintes conceptions religieuses. Pour lui, la nature profonde du sacrifice religieux ne s’exprime pas dans l’oblation. Il est essentiellement un repas sacré. D’où ses nombreuses critiques de la théologie de la satisfaction, souvent radicales et qui remettent en cause certaines données fondamentales de la théologie eucharistique traditionnelle. A partir de la Contre-Réforme, afin de lutter contre l’influence des protestants, les théologiens catholiques auraient choisi selon lui de dissimuler dans la piété et la liturgie l’aspect de repas et de rehausser celui de sacrifice. Pour Bouyer, le repas eucharistique est sacrificiel parce qu’il est mémorial et il importe selon lui de revenir à la valeur fondamentale du sacrifice, telle qu’elle est mise en valeur dans l’Ancien Testament, qui est d’abord et avant tout un repas sacré. Les réformateurs ont opté pour le plus simple : la messe est maintenant réduite à un simple repas commémoratif, vidé de sa substance, à savoir le sacrifice. Dans quelle mesure Louis Bouyer a-t-il pu favoriser cette évolution ? C'est aux historiens du futur qu'il appartiendra de se prononcer.
Louis Bouyer, Mémoires, Éditions du Cerf, 336 pages, 2015.
Louis Bouyer a été expert au Concile Vatican II, ce qui lui a permis d’être le témoin direct du sabotage de la liturgie. A la plus grande satisfaction des traditionalistes, il y confirme le rôle désastreux du fameux Annibale Bugnini, qui aurait toute sa place dans une légende noire du Concile (même le nom est évocateur). L’intérêt de ces Mémoires réside surtout dans les pages où Louis Bouyer relate, avec une ironie grinçante, les travaux de commissions où quelques experts auto-proclamés, profitant de l’esprit d’ouverture du pape Paul VI, sans savoir eux-mêmes ce qu’ils faisaient, ont contribué à détruire un héritage de plusieurs siècles. C’est la même technique que nous retrouvons aujourd’hui à l’œuvre dans certains milieux progressistes qui cherchent à influer sur le prochain Synode de la Famille, en constituant des groupes de pression, des commissions, parfois même au sein des paroisses. Ces commissions ne représentent qu’une minorité agissante, qui surestime son importance mais habile dans les manœuvres et la manipulation. Louis Bouyer a été un des plus farouches opposants, non pas de la réforme liturgique en tant que telle, dont il reconnaissait la nécessité, mais de ses dérives, devenues incontrôlables à la suite du Concile. Il faut souligner tout de même que Louis Bouyer a été un des artisans, un des promoteurs de cette réforme et que sa conception du «repas sacré», indissociable du sacrifice dans le Judaïsme, a pu favoriser cette confusion qui subsiste encore aujourd’hui dans la perception de la messe : s’agit-il d’un repas commémoratif ou de la réactualisation non sanglante du sacrifice unique du Christ ? S’appuyant sur l’histoire comparée des religions, il a montré dans Eucharistie que le lien entre banquet sacré et sacrifice est commun à de nombreux rites et maintes conceptions religieuses. Pour lui, la nature profonde du sacrifice religieux ne s’exprime pas dans l’oblation. Il est essentiellement un repas sacré. D’où ses nombreuses critiques de la théologie de la satisfaction, souvent radicales et qui remettent en cause certaines données fondamentales de la théologie eucharistique traditionnelle. A partir de la Contre-Réforme, afin de lutter contre l’influence des protestants, les théologiens catholiques auraient choisi selon lui de dissimuler dans la piété et la liturgie l’aspect de repas et de rehausser celui de sacrifice. Pour Bouyer, le repas eucharistique est sacrificiel parce qu’il est mémorial et il importe selon lui de revenir à la valeur fondamentale du sacrifice, telle qu’elle est mise en valeur dans l’Ancien Testament, qui est d’abord et avant tout un repas sacré. Les réformateurs ont opté pour le plus simple : la messe est maintenant réduite à un simple repas commémoratif, vidé de sa substance, à savoir le sacrifice. Dans quelle mesure Louis Bouyer a-t-il pu favoriser cette évolution ? C'est aux historiens du futur qu'il appartiendra de se prononcer.
Louis Bouyer, Mémoires, Éditions du Cerf, 336 pages, 2015.