Bien avant la publication en 2007 du Summorum Pontificum de Benoit XVI, prévoyant l’introduction d’une «forme extraordinaire» à côté de la «forme ordinaire» dans le même rite romain latin, des intellectuels catholiques de premier plan ont plaidé pour la coexistence des deux usages, du vetus ordo et du novus ordo. Jean Guitton, par exemple, a bien défini la spécificité de la messe catholique :
«L’Eucharistie catholique, écrit-il dans un ouvrage publié en 1986, a deux caractères qui semblent s’opposer, mais qui se complètent en une véritable structure. L’Eucharistie est d’abord un sacrifice, qui réitère le sacrifice de Jésus-Christ. L’Eucharistie est aussi un sacrement, où sont proposés aux fidèles réunis en un repas mystique les fruits de ce sacrifice». Selon lui, la liturgie conciliaire a voulu illustrer davantage le sacrement. Or, comme il le note, «le sacrement est la conséquence du sacrifice» (1).
Les considérations qui suivent mettent en relief les problèmes de structure de la nouvelle messe. Par structure, Guitton entend «l’ordre, la hiérarchie, la proportion des parties». Il constate que la liturgie de la Parole occupe maintenant la meilleure part du temps, restreignant la place dévolue à la liturgie du Sacrifice. La prière universelle vient à peine d’être prononcée que déjà, note-t-il, «la machine nerveuse» se lasse. L’attention se relâche, «prêtres et fidèles se hâtent». Et cela, alors que vient «l’instant sublime, l’Heure pleine de mystère à jamais, où l’Événement singulier, "fait une fois pour toutes", se reproduit pour la foi mystérieusement». Il conclut par ces mots : «Je ne mets pas au même niveau et sur le même plan la liturgie de la Parole et la liturgie du Sacrifice. Entre ces deux essentiels, le second est à mes yeux plus essentiel. Le premier annonce le second. Le lumineux introduit au numineux. Et dans le numineux seul se cache et se manifeste l’essence, qui est le mystère de la foi, le mysterium fidei».
Pour maintenir la foi dans le sacrifice, il jugeait nécessaire que les deux rites puissent cohabiter : «Si l’ancienne liturgie insistait sur le sacrifice consommé sur un autel par un prêtre dont on ne voyait pas le visage ; si la nouvelle liturgie insiste sur le sacrement et sur le partage (étant ainsi plus proche de la Cène) ; si les fidèles peuvent voir le visage du prêtre, tourné vers eux ; s’il n’y a pas d’incompatibilité entre ces deux usages, ni progrès de l’un sur l’autre mais, au contraire, complément et harmonie, pourquoi n’est-il pas possible de permettre les deux rites ? Cela pour une raison profonde, qui touche à la foi du peuple».
(1) Jean Guitton, Silence sur l’essentiel, Desclée de Brouwer, 1986, p. 35-38. J’espère publier prochainement un ouvrage inédit d’Albert Frank-Duquesne, non publié de son vivant et dont ne reste qu’un tapuscrit, miraculeusement retrouvé par un jeune mexicain, Luis C, dans les archives d’un des correspondants de l’écrivain. Intitulé La Messe éternelle (sous titre : La Croix, l'Eucharistie et le Sacrifice du Verbe «avant la création du monde»), il est divisé en deux sections qui correspondent aux deux parties de la messe décrites par Guitton. La première (d’un intérêt exceptionnel) porte sur «l’eucharistie sacrifice» et le sacrifice éternel du Verbe, fondement de la Liturgie céleste, la seconde sur «l’eucharistie communion». La partie sur l’eucharistie-sacrifice s’achève par ces lignes qui prouvent, s’il en était besoin, que la crise de la liturgie ne date pas du Concile :
«Messe du Verbe, Messe éternelle, continuée par le Christ au Calvaire, par l’Église – qui est "Jésus-Christ répandu et communiqué" (Bossuet) – chaque fois que le Pain et le Vin consacrés sont offerts à Dieu. Mais il n’y a qu’un seul et même Sacrifice, qu’une éternelle Agape. Et peut-être est-ce là ce qu’entendait Jean-Baptiste Vianney, curé d’Ars, lorsqu’il murmurait : "Si l’on savait ce que c’est que la Messe, on mourrait". Aussi, dans trop d’églises, des ouailles scandalisées, au sens évangélique du terme, se demandent-elles à quoi riment ces Messes confidentielles, hâtivement marmottées, télescopées, supersoniques, et dans une atmosphère de désinvolture faite pour enlever à tout incroyant entré par hasard dans un sanctuaire le désir d’y remettre les pieds… C’est pourquoi, sur le plan de la vie divine, surnaturelle, "il y a parmi nous beaucoup de gens débiles et malades, voire un grand nombre de morts" (1 Cor, 11:30)».
«L’Eucharistie catholique, écrit-il dans un ouvrage publié en 1986, a deux caractères qui semblent s’opposer, mais qui se complètent en une véritable structure. L’Eucharistie est d’abord un sacrifice, qui réitère le sacrifice de Jésus-Christ. L’Eucharistie est aussi un sacrement, où sont proposés aux fidèles réunis en un repas mystique les fruits de ce sacrifice». Selon lui, la liturgie conciliaire a voulu illustrer davantage le sacrement. Or, comme il le note, «le sacrement est la conséquence du sacrifice» (1).
Les considérations qui suivent mettent en relief les problèmes de structure de la nouvelle messe. Par structure, Guitton entend «l’ordre, la hiérarchie, la proportion des parties». Il constate que la liturgie de la Parole occupe maintenant la meilleure part du temps, restreignant la place dévolue à la liturgie du Sacrifice. La prière universelle vient à peine d’être prononcée que déjà, note-t-il, «la machine nerveuse» se lasse. L’attention se relâche, «prêtres et fidèles se hâtent». Et cela, alors que vient «l’instant sublime, l’Heure pleine de mystère à jamais, où l’Événement singulier, "fait une fois pour toutes", se reproduit pour la foi mystérieusement». Il conclut par ces mots : «Je ne mets pas au même niveau et sur le même plan la liturgie de la Parole et la liturgie du Sacrifice. Entre ces deux essentiels, le second est à mes yeux plus essentiel. Le premier annonce le second. Le lumineux introduit au numineux. Et dans le numineux seul se cache et se manifeste l’essence, qui est le mystère de la foi, le mysterium fidei».
Pour maintenir la foi dans le sacrifice, il jugeait nécessaire que les deux rites puissent cohabiter : «Si l’ancienne liturgie insistait sur le sacrifice consommé sur un autel par un prêtre dont on ne voyait pas le visage ; si la nouvelle liturgie insiste sur le sacrement et sur le partage (étant ainsi plus proche de la Cène) ; si les fidèles peuvent voir le visage du prêtre, tourné vers eux ; s’il n’y a pas d’incompatibilité entre ces deux usages, ni progrès de l’un sur l’autre mais, au contraire, complément et harmonie, pourquoi n’est-il pas possible de permettre les deux rites ? Cela pour une raison profonde, qui touche à la foi du peuple».
(1) Jean Guitton, Silence sur l’essentiel, Desclée de Brouwer, 1986, p. 35-38. J’espère publier prochainement un ouvrage inédit d’Albert Frank-Duquesne, non publié de son vivant et dont ne reste qu’un tapuscrit, miraculeusement retrouvé par un jeune mexicain, Luis C, dans les archives d’un des correspondants de l’écrivain. Intitulé La Messe éternelle (sous titre : La Croix, l'Eucharistie et le Sacrifice du Verbe «avant la création du monde»), il est divisé en deux sections qui correspondent aux deux parties de la messe décrites par Guitton. La première (d’un intérêt exceptionnel) porte sur «l’eucharistie sacrifice» et le sacrifice éternel du Verbe, fondement de la Liturgie céleste, la seconde sur «l’eucharistie communion». La partie sur l’eucharistie-sacrifice s’achève par ces lignes qui prouvent, s’il en était besoin, que la crise de la liturgie ne date pas du Concile :
«Messe du Verbe, Messe éternelle, continuée par le Christ au Calvaire, par l’Église – qui est "Jésus-Christ répandu et communiqué" (Bossuet) – chaque fois que le Pain et le Vin consacrés sont offerts à Dieu. Mais il n’y a qu’un seul et même Sacrifice, qu’une éternelle Agape. Et peut-être est-ce là ce qu’entendait Jean-Baptiste Vianney, curé d’Ars, lorsqu’il murmurait : "Si l’on savait ce que c’est que la Messe, on mourrait". Aussi, dans trop d’églises, des ouailles scandalisées, au sens évangélique du terme, se demandent-elles à quoi riment ces Messes confidentielles, hâtivement marmottées, télescopées, supersoniques, et dans une atmosphère de désinvolture faite pour enlever à tout incroyant entré par hasard dans un sanctuaire le désir d’y remettre les pieds… C’est pourquoi, sur le plan de la vie divine, surnaturelle, "il y a parmi nous beaucoup de gens débiles et malades, voire un grand nombre de morts" (1 Cor, 11:30)».