Je sais que vous vous posez la question depuis longtemps. Voici la réponse.
Dans plusieurs livres de Frank-Duquesne, les références au fils prodigue sont souvent marquées par la majuscule. Le Fils prodigue, peut-on lire dans plusieurs passages. L’écrivain souligne ainsi l’identification de Jésus à la figure bien connue de la parabole. L’interprétation exclusivement christologique de Luc 15:11-32 a pourtant peu d’appui dans la tradition. Comme le souligne l’abbé Camille Rey, prêtre de la Communauté Saint-Martin, dans une étude remarquable à laquelle je renvoie le lecteur, «on interprète habituellement cette parabole dans un sens moral individuel» (1). Il ajoute ces précisions : «L’identification éventuelle du fils prodigue avec le Christ semble plus difficile à établir et nous paraît choquante, puisqu’on ne voit pas comment une figure d’homme pécheur pourrait être associée au Fils de Dieu nécessairement sans péché (…) Les commentateurs ont quand même développé la portée symbolique de la parabole, mais en voyant plutôt le Christ derrière le fils aîné, le père, ou l’un des serviteurs, ou bien encore en reconnaissant, dans les deux fils, des figures d’entités collectives. Mais le chemin d’éloignement puis de conversion du fils cadet nous paraît spontanément incompatible avec la figure du Christ prise individuellement».
Se référant à l’Ecriture sainte, il répond aux différentes objections qu’une telle exégèse ne peut manquer de soulever. Selon lui, il est légitime de reconnaître derrière le fils prodigue «le visage et l’itinéraire mystique de Jésus de Nazareth qui s’est comme dépeint lui-même à travers cet enfant». La Tradition ne voit-elle pas en Luc un «peintre» au sens propre comme au figuré ? Comme l’affirme l’abbé, «derrière cette parabole représentant, comme une fresque, l’itinéraire du retour de l’homme vers Dieu, n’est-ce pas le visage du Christ que Luc a aussi voulu dépeindre ? Ce "fils perdu et retrouvé" semble être l’humanité en général et aussi chacun de nous, mais n’est-ce pas également Jésus de Nazareth en particulier, le Christ mort et ressuscité pour les pécheurs ? Comme certains peintres se représentaient eux-mêmes, quelque part, dans leurs œuvres, Jésus s’est dépeint probablement lui-même aussi, de manière voilée, dans cette parabole… et peut-être également dans beaucoup d’autres».
Reste à préciser l’identité du frère aîné. Parmi ses hypothèses, je retiens celle-ci qui va dans le sens de la lecture de Frank-Duquesne pour qui, «dans l'hypostatique unité du Christ, le Cadet et l'Aîné ne font qu'un seul et même Fils» (Via Crucis, p. 223). Pour Camille Rey, la déclaration du père : «tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi» (Luc, 15:31) justifie qu’on puisse «reconnaître dans le fils aîné le Fils de Dieu en tant qu’il est demeuré éternellement dans la gloire de son Père». Il apporte cette explication éclairante : «Puisque le Christ n’a pas perdu sa nature divine en s’incarnant, il y a, en lui, comme deux personnages coexistant, selon ses deux natures, divine et humaine. Cela revient, d’une certaine manière, à distinguer dans le Christ à la fois le juge et l’avocat des hommes dont il s’est fait le frère. Le fils cadet représenterait le Christ solidaire de l’humanité et le fils aîné son Juge eschatologique. Le retour du fils cadet dans la maison du père s’apparente à celui du Christ dans la gloire céleste qu’il n’a pas cessé de partager de toute éternité».
Dans plusieurs livres de Frank-Duquesne, les références au fils prodigue sont souvent marquées par la majuscule. Le Fils prodigue, peut-on lire dans plusieurs passages. L’écrivain souligne ainsi l’identification de Jésus à la figure bien connue de la parabole. L’interprétation exclusivement christologique de Luc 15:11-32 a pourtant peu d’appui dans la tradition. Comme le souligne l’abbé Camille Rey, prêtre de la Communauté Saint-Martin, dans une étude remarquable à laquelle je renvoie le lecteur, «on interprète habituellement cette parabole dans un sens moral individuel» (1). Il ajoute ces précisions : «L’identification éventuelle du fils prodigue avec le Christ semble plus difficile à établir et nous paraît choquante, puisqu’on ne voit pas comment une figure d’homme pécheur pourrait être associée au Fils de Dieu nécessairement sans péché (…) Les commentateurs ont quand même développé la portée symbolique de la parabole, mais en voyant plutôt le Christ derrière le fils aîné, le père, ou l’un des serviteurs, ou bien encore en reconnaissant, dans les deux fils, des figures d’entités collectives. Mais le chemin d’éloignement puis de conversion du fils cadet nous paraît spontanément incompatible avec la figure du Christ prise individuellement».
Se référant à l’Ecriture sainte, il répond aux différentes objections qu’une telle exégèse ne peut manquer de soulever. Selon lui, il est légitime de reconnaître derrière le fils prodigue «le visage et l’itinéraire mystique de Jésus de Nazareth qui s’est comme dépeint lui-même à travers cet enfant». La Tradition ne voit-elle pas en Luc un «peintre» au sens propre comme au figuré ? Comme l’affirme l’abbé, «derrière cette parabole représentant, comme une fresque, l’itinéraire du retour de l’homme vers Dieu, n’est-ce pas le visage du Christ que Luc a aussi voulu dépeindre ? Ce "fils perdu et retrouvé" semble être l’humanité en général et aussi chacun de nous, mais n’est-ce pas également Jésus de Nazareth en particulier, le Christ mort et ressuscité pour les pécheurs ? Comme certains peintres se représentaient eux-mêmes, quelque part, dans leurs œuvres, Jésus s’est dépeint probablement lui-même aussi, de manière voilée, dans cette parabole… et peut-être également dans beaucoup d’autres».
Reste à préciser l’identité du frère aîné. Parmi ses hypothèses, je retiens celle-ci qui va dans le sens de la lecture de Frank-Duquesne pour qui, «dans l'hypostatique unité du Christ, le Cadet et l'Aîné ne font qu'un seul et même Fils» (Via Crucis, p. 223). Pour Camille Rey, la déclaration du père : «tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi» (Luc, 15:31) justifie qu’on puisse «reconnaître dans le fils aîné le Fils de Dieu en tant qu’il est demeuré éternellement dans la gloire de son Père». Il apporte cette explication éclairante : «Puisque le Christ n’a pas perdu sa nature divine en s’incarnant, il y a, en lui, comme deux personnages coexistant, selon ses deux natures, divine et humaine. Cela revient, d’une certaine manière, à distinguer dans le Christ à la fois le juge et l’avocat des hommes dont il s’est fait le frère. Le fils cadet représenterait le Christ solidaire de l’humanité et le fils aîné son Juge eschatologique. Le retour du fils cadet dans la maison du père s’apparente à celui du Christ dans la gloire céleste qu’il n’a pas cessé de partager de toute éternité».
Exegèse de Frank-Duquesne
Dans un texte sur le signe de la croix (bientôt publié sur le site), Frank-Duquesne souligne cette double identification suggérée par la parabole. En quelques lignes denses et superbes se déploie la fresque tout entière centrée sur le Christ dont parle le père Rey dans son étude :
« (…) Infiniment riche, le Christ ne cesse à tout jamais de Se dépouiller pour nous, et cet infiniment riche Se fait tout au long de l'Histoire infiniment pauvre à notre profit. Ce fils prodigue de Son amour, de cette mystérieuse «substance» qui pourrait bien être la Sagesse divine ou l'Esprit-Saint (Luc, 15:13), c'est parmi Ses compagnons, Ses «amis», qu'Il dissipe tout Son Bien ; de sorte qu'Il finit par convoiter «les carouges que mangent les pourceaux, mais personne ne Lui en donnait». Ce misérable «amour» que nous vouons à nos semblables, cette porcine dilection que nous traînons dans toutes nos auges, Il en est affamé, mais nous Lui en refusons l'aumône. Il ne cesse donc de retourner à Son Père et, Lui représentant toute l'espèce assumée par Lui – St. Grégoire de Nysse a là-dessus des pages plus que sublimes – Il confesse ces péchés du monde qu'Il porte en NOTRE nom ; Il Lui demande d'être traité «comme un mercenaire», comme un esclave après sa désertion. Mais le Père ne voit en Lui que l'objet de Son éternelle complaisance, le sujet de Son éternelle louange et liturgie. Comme au chapitre II de l'Epître aux Philippiens, l'humiliation volontaire s'achève par un triomphe ; car le Fils obéissant jusqu'à la mort, Le voici revenu à la vie (Luc, 15:24). Et le Prodigue devant qui désormais toute la maisonnée ploie le genou parce qu'Il a reçu «un Nom au-dessus de tout nom» (Phil, 2:9), peut-on se demander si, «derrière le voile», à l'intérieur du sanctuaire céleste, au delà des illusoires divisions d'en-bas, Il ne Se reconnaît pas dans ce Frère aîné qui «n'a jamais cessé, ni d'être avec le Père», ni «de posséder tout ce qui appartient» au Père (Luc, 15:31) ? Verbum supernum prodiens, nec linquens Patris dexteram (2).
1) Camille Rey, «"Il était mort, il est revenu à la vie" (Lc 15, 24.32) – La Résurrection du Christ dans la parabole de "l’enfant prodigue"», Revue Charitas, n°7, 2017, p. 63-76.
2) «Le Verbe descendu des cieux, sans quitter la droite du Père». Hymne Verbum Supernum prodiens de saint Thomas d’Aquin.
« (…) Infiniment riche, le Christ ne cesse à tout jamais de Se dépouiller pour nous, et cet infiniment riche Se fait tout au long de l'Histoire infiniment pauvre à notre profit. Ce fils prodigue de Son amour, de cette mystérieuse «substance» qui pourrait bien être la Sagesse divine ou l'Esprit-Saint (Luc, 15:13), c'est parmi Ses compagnons, Ses «amis», qu'Il dissipe tout Son Bien ; de sorte qu'Il finit par convoiter «les carouges que mangent les pourceaux, mais personne ne Lui en donnait». Ce misérable «amour» que nous vouons à nos semblables, cette porcine dilection que nous traînons dans toutes nos auges, Il en est affamé, mais nous Lui en refusons l'aumône. Il ne cesse donc de retourner à Son Père et, Lui représentant toute l'espèce assumée par Lui – St. Grégoire de Nysse a là-dessus des pages plus que sublimes – Il confesse ces péchés du monde qu'Il porte en NOTRE nom ; Il Lui demande d'être traité «comme un mercenaire», comme un esclave après sa désertion. Mais le Père ne voit en Lui que l'objet de Son éternelle complaisance, le sujet de Son éternelle louange et liturgie. Comme au chapitre II de l'Epître aux Philippiens, l'humiliation volontaire s'achève par un triomphe ; car le Fils obéissant jusqu'à la mort, Le voici revenu à la vie (Luc, 15:24). Et le Prodigue devant qui désormais toute la maisonnée ploie le genou parce qu'Il a reçu «un Nom au-dessus de tout nom» (Phil, 2:9), peut-on se demander si, «derrière le voile», à l'intérieur du sanctuaire céleste, au delà des illusoires divisions d'en-bas, Il ne Se reconnaît pas dans ce Frère aîné qui «n'a jamais cessé, ni d'être avec le Père», ni «de posséder tout ce qui appartient» au Père (Luc, 15:31) ? Verbum supernum prodiens, nec linquens Patris dexteram (2).
1) Camille Rey, «"Il était mort, il est revenu à la vie" (Lc 15, 24.32) – La Résurrection du Christ dans la parabole de "l’enfant prodigue"», Revue Charitas, n°7, 2017, p. 63-76.
2) «Le Verbe descendu des cieux, sans quitter la droite du Père». Hymne Verbum Supernum prodiens de saint Thomas d’Aquin.