Etant plus que métaphoriquement le microcosme, lorsque l’homme dégénère, tout l’univers inférieur dégénère avec lui. Cette dialectique anthropocosmique devient de plus en plus précise dans le roman de Maurice Dantec à mesure que s’y dessine le paysage monstrueux de la Chute. L’écrivain décrit jusqu’en ses ultimes conséquences les effets de la Réversibilité. Le salut ou la perdition du monde dépend de celui que la Genèse nous présente comme le seigneur et maître de l’univers créé : l’homme, le Pontifex des Pères de l’Église, le Microcosme des penseurs antiques et médiévaux, le kleine Gott der Welt de Goethe, le petit dieu de ce monde. L’homme résume et, comme l’affirme Bossuet, «ramasse en lui-même l’univers» qui trouve en lui son épanouissement qualitatif : «L'homme a l'être avec les pierres, la vie avec les plantes, la sensation avec les animaux, l'intelligence avec les anges», dit saint Grégoire le Grand. Il n’est pas jusqu’à sa forme corporelle qui ne soit dotée d’une signification cosmique, révélatrice de sa noblesse.
Au début de son roman, Dantec expose un postulat qui deviendra par la suite le leitmotiv de toutes ses descriptions de la nature, cette nature aliénée, soumise, par la faute de l’homme, au vide, comme dit saint Paul, au vertige du néant, à cette contre-attraction qui fuit le Bien, la Sagesse et qui l’assimile à la «Folie» des Saints Livres : «la Chute de l’Homme, écrit-il, est concomitante à celle de la Création», du fait de la symbiose qui les unit (p.25). Et puisque la Chute s’accélère, et que les temps nouveaux décrits par le romancier sont ceux de la grande tribulation apocalyptique, toute la nature se met à l’unisson de cette nouvelle phase de l’évolution humaine qui correspond en fait à une dévolution, annonciatrice des pires catastrophes.
Verlande, le protagoniste de Métacortex, fait sienne l’antique conception de l’homme-microcosme et la relie aux catastrophes climatiques qui s’abattent sur le monde :
« Si la Chute de l’Homme avait pu entraîner la dégradation de toute la Création, c’était pour une raison toute simple : le monde est foncièrement dépendant de l’Homme, ce microcosme hypercentre, parce qu’il le contient et que dans le même temps il est saisi par lui, c’est ainsi que l’univers, dans sa structure la plus intime, dépendait de son salut ou de sa perdition. Pour les hommes du Moyen-Âge, la seule période qui comptait vraiment dans le cœur de Verlande, "microcosme" ne signifiait nullement le monde de l’infiniment petit, tel que la modernité l’a finalement conçu. Le microcosme de la conception antique et médiévale, le "petit cosmos", le "petit Monde créé", c’est l’homme lui-même, non seulement reflet de la création, mais son entéléchie, ce par quoi l’univers venait à prendre forme et sens, de son principe premier à sa cause finale» (p.418).
La guerre comme forme de dévastation intégrale, inaugurée en 1939, et qui n’a jamais cessé depuis lors, malgré la fiction d’une paix devenue irréalisable, s’amplifie de tous les désastres naturels générés par le chaos humain : typhons dévastateurs, torrents en furie, éléments déchaînés, pareils à des fléaux vengeurs qui se retournent contre l’homme pour l’abattre. Alors que des cyclones en formation s’apprêtent à envahir les côtes américaines, Verlande se fait cette réflexion : «Sur ce territoire qui n’était au bout du compte qu’une variante fractale de la planète, la météorologie jouait son rôle. Si la Création avait chuté avec l’Homme, alors les cyclones en formation dans l’Atlantique Nord ne représentait qu’une forme amoindrie de leurs lointains générateurs […] ce qui se préparait ici, dans le Monde de la Chute, c’était un million de kilomètres carrés soumis à la loi des éléments de ce cosmos inverti, ce qui se préparait sur terre, c’était la violence si pure de la nature, la nature dénaturée par sa Chute, et par le propagateur de celle-ci, ce qui se préparait dans l’Océan, c’était la version météorologique de la catastrophe humaine générale» (p.420). L’écologie terrestre est aussi une manifestation de cette guerre généralisée qui ne s’est jamais interrompue et qui semble vouer le monde à ce que saint Paul assimile à une «perdition loin de la Face de Dieu» (2 Thess, 1:9). C'est là une des conclusions qu'impose le roman de Dantec.
Albert Frank-Duquesne suggérait déjà dans son puissant Cosmos et Gloire que les énergies pulsionnelles de l’homme, si elles ne sont pas canalisées par l’esprit dans les époques de grand désordre, loin de se concentrer en lui-même, rejaillissent au dehors et perturbent l’équilibre de la nature : «Nous sommes, écrit-il, persuadés que la nature physique, dont l’actuelle incohérence provoque plus que jamais des catastrophes dont souffre l’humanité tout entière, suit tout bonnement les fluctuations de l’antithéisme humain. Un vieux mythe rosicrucien veut que des correspondances secrètes existent entre le “feu” psychique et l’autre, matériel, de sorte qu’à toutes les époques du Sturm und Drang “dyonisiaque” le “feu central” tellurique réagisse en conséquence».
Maurice Dantec excelle dans la description de la Chute de la Création, corrélative à celle de l’homme. Il s’inscrit dans cette lignée d’écrivains et de penseurs qui ont intégré à leurs réflexions la dimension cosmique du christianisme et dont la vision englobe tout à la fois l’homme et l’univers créé, unis dans un même destin.
La suite : Innocence et culpabilité
Au début de son roman, Dantec expose un postulat qui deviendra par la suite le leitmotiv de toutes ses descriptions de la nature, cette nature aliénée, soumise, par la faute de l’homme, au vide, comme dit saint Paul, au vertige du néant, à cette contre-attraction qui fuit le Bien, la Sagesse et qui l’assimile à la «Folie» des Saints Livres : «la Chute de l’Homme, écrit-il, est concomitante à celle de la Création», du fait de la symbiose qui les unit (p.25). Et puisque la Chute s’accélère, et que les temps nouveaux décrits par le romancier sont ceux de la grande tribulation apocalyptique, toute la nature se met à l’unisson de cette nouvelle phase de l’évolution humaine qui correspond en fait à une dévolution, annonciatrice des pires catastrophes.
Verlande, le protagoniste de Métacortex, fait sienne l’antique conception de l’homme-microcosme et la relie aux catastrophes climatiques qui s’abattent sur le monde :
« Si la Chute de l’Homme avait pu entraîner la dégradation de toute la Création, c’était pour une raison toute simple : le monde est foncièrement dépendant de l’Homme, ce microcosme hypercentre, parce qu’il le contient et que dans le même temps il est saisi par lui, c’est ainsi que l’univers, dans sa structure la plus intime, dépendait de son salut ou de sa perdition. Pour les hommes du Moyen-Âge, la seule période qui comptait vraiment dans le cœur de Verlande, "microcosme" ne signifiait nullement le monde de l’infiniment petit, tel que la modernité l’a finalement conçu. Le microcosme de la conception antique et médiévale, le "petit cosmos", le "petit Monde créé", c’est l’homme lui-même, non seulement reflet de la création, mais son entéléchie, ce par quoi l’univers venait à prendre forme et sens, de son principe premier à sa cause finale» (p.418).
La guerre comme forme de dévastation intégrale, inaugurée en 1939, et qui n’a jamais cessé depuis lors, malgré la fiction d’une paix devenue irréalisable, s’amplifie de tous les désastres naturels générés par le chaos humain : typhons dévastateurs, torrents en furie, éléments déchaînés, pareils à des fléaux vengeurs qui se retournent contre l’homme pour l’abattre. Alors que des cyclones en formation s’apprêtent à envahir les côtes américaines, Verlande se fait cette réflexion : «Sur ce territoire qui n’était au bout du compte qu’une variante fractale de la planète, la météorologie jouait son rôle. Si la Création avait chuté avec l’Homme, alors les cyclones en formation dans l’Atlantique Nord ne représentait qu’une forme amoindrie de leurs lointains générateurs […] ce qui se préparait ici, dans le Monde de la Chute, c’était un million de kilomètres carrés soumis à la loi des éléments de ce cosmos inverti, ce qui se préparait sur terre, c’était la violence si pure de la nature, la nature dénaturée par sa Chute, et par le propagateur de celle-ci, ce qui se préparait dans l’Océan, c’était la version météorologique de la catastrophe humaine générale» (p.420). L’écologie terrestre est aussi une manifestation de cette guerre généralisée qui ne s’est jamais interrompue et qui semble vouer le monde à ce que saint Paul assimile à une «perdition loin de la Face de Dieu» (2 Thess, 1:9). C'est là une des conclusions qu'impose le roman de Dantec.
Albert Frank-Duquesne suggérait déjà dans son puissant Cosmos et Gloire que les énergies pulsionnelles de l’homme, si elles ne sont pas canalisées par l’esprit dans les époques de grand désordre, loin de se concentrer en lui-même, rejaillissent au dehors et perturbent l’équilibre de la nature : «Nous sommes, écrit-il, persuadés que la nature physique, dont l’actuelle incohérence provoque plus que jamais des catastrophes dont souffre l’humanité tout entière, suit tout bonnement les fluctuations de l’antithéisme humain. Un vieux mythe rosicrucien veut que des correspondances secrètes existent entre le “feu” psychique et l’autre, matériel, de sorte qu’à toutes les époques du Sturm und Drang “dyonisiaque” le “feu central” tellurique réagisse en conséquence».
Maurice Dantec excelle dans la description de la Chute de la Création, corrélative à celle de l’homme. Il s’inscrit dans cette lignée d’écrivains et de penseurs qui ont intégré à leurs réflexions la dimension cosmique du christianisme et dont la vision englobe tout à la fois l’homme et l’univers créé, unis dans un même destin.
La suite : Innocence et culpabilité