Michel Bernanos a été poursuivi toute sa vie par la vision obsédante d’une nature en révolte contre l’homme. Le fils de Georges Bernanos (1923-1964) est l’auteur d’une œuvre encore méconnue, tout entière placée sous le signe du monde à l’envers, le nôtre, celui dont l’homme a perdu la régence pro-divine. Le monde de La montagne morte de la vie, roman culte paru après sa mort en 1967, est un monde inversé : «Oui c’est un monde à l’envers» dit dès le premier instant le mentor du jeune mousse avant même qu’ils n’aient touché terre.
La revanche de la nature contre l’homme perverti est un des thèmes littéraires et philosophiques majeurs de Michel Bernanos. Revanche du monde animal et du monde minéral, comme dans la Montagne morte où l’on assiste à la pétrification des deux personnages principaux du drame, comme absorbés par la substance minérale de la montagne. La revanche du monde végétal est évoquée dans la dernière partie de Ils ont déchiré son image sur le mode hallucinatoire. Cette évocation donne lieu à des scènes prodigieuses, rarement égalées dans la littérature fantastique. La ville du marquis, théâtre de combats d’animaux d’une cruauté indicible, de jeux du cirque sordides où des jeunes filles sont livrées en pâture aux hommes et aux bêtes, de fêtes orgiaques qui se déroulent sous les yeux d’enfants terrifiés, cette ville maudite subit l’assaut punitif d’une véritable «furie végétale» qui n’épargne rien ni personne. Comme le note Hubert Sarrazin le marquis est une incarnation du mal : «C’est ce qui reste de l’homme créé par Dieu à son image, et qui s’en rit, une espèce de monstre qui n’use de sa force que pour faire le mal et donne un exemple odieux à ses sujets, empressés d’ailleurs de le suivre». Les dernières pages de ce conte fantastique nous font assister à la rébellion du monde vert, offensé par la perversité monstrueuse du maître des lieux. L’homme mystérieux, l’étranger dont on apprend dans l’épilogue qu’il est le démon venu en tournée d’inspection sur notre planète, découvre un matin autour de lui une horrible prolifération de végétation tropicale qui s’apprête à tout envahir. Au dehors un spectacle horrifique s’offre à sa vue :
«Du plancher aux murs, des murs aux poutres, aux poutrelles et aux chevrons, partout la pousse verte s’étalait. Des fleurs carnivores aux couleurs blêmes s’agitaient et s’étiraient dans les murs largement fissurés, tandis que par la fenêtre grande ouverte des lianes se glissaient, pareilles à des reptiles. Du dehors montait le bruit sourd d’une masse énorme en mouvement. Tous les habitants de l’auberge se trouvaient réunis dans la grande salle à manger. La peur déformait leurs traits, les paralysait, et ils reculaient comme des automates sous la formidable poussée du fléau végétal. Et puis des lianes se firent garrots et bientôt seul demeura vivant dans l’auberge l’homme que le monde vert semblait éviter.
A l’extérieur, une lumière verdâtre pareille à celle régnant dans les grands fonds marins éclairait cette ville. L’homme en fut ébloui. La pousse verte avait envahi chaque édifice, chaque masure de chaque artère, et cette révolte végétale était propagée par des arbres aux troncs énormes, qui, de branche en feuille et de feuille en cime, flambaient de vert»
Les pavés des rues se soulèvent, faisant apparaître d’immenses racines dressées comme autant de bras prêts à saisir leurs proies humaines. Des lianes s’élancent des arbres pour cingler la foule hurlante. Les maisons éclatent comme autant de bourgeons, faisant place à une végétation luxuriante. La ville est bientôt recouverte par une immense couche verte. Quant au marquis, le représentant de l’humanité, il est retenu prisonnier sur son trône de monarque par des racines géantes qui finiront, après un ultime dialogue avec le diable, par se refermer sur lui. Visions hallucinées de fin du monde que Michel Bernanos se représentait sans doute comme une révolte des éléments naturels contre l’homme dévoyé. Ce thème de la revanche du monde infra-humain est une constante de son œuvre : «Les romans de Michel Bernanos ne sont, écrit Hubert Sarrazin, que des variantes d’une même affirmation, qu’on pourrait définir en ces termes : l’humanité, devenue diabolique, va à sa propre destruction et ce sera bientôt la revanche du monde minéral, animal et végétal» .
L’homme ne peut résister aux puissances de la nature lorsqu’elles viennent à se déchaîner contre lui. Par quel mécanisme la nature a-t-elle pu devenir l’ennemi de l’homme ? Michel Bernanos semble vouloir dire qu’elle réagit au déchaînement du mal. Elle se trouve entraînée dans l’agitation (inquietudo) de l’homme et fait apparaître des choses horribles qui reflètent ce qu'il a par nature de diabolique. Déjà Baudelaire pressentait que la laideur des pensées pouvait donner naissance à d'hideuses formes vivantes.
La beauté de la faune et de la flore dans Ils ont déchiré son image… n’est qu’apparente. C’est une beauté trompeuse, dévoratrice. Hubert Sarrazin compare cette hideuse beauté à celle des fleurs du mal. Le marquis et ses sujets qui éprouvent une telle jouissance dans le mal sont devenus des auxillaires du Maudit. La nature environnante semble s’être transformée à leur ressemblance. L’étranger découvre ainsi dans la campagne des spécimens épouvantables, telle cette fleur carnivore :
«…Il avança et voulut caresser du doigt l’un des merveilleux pétales. La fleur, d’un mouvement rapide, se referma sur lui. Il fit un bond en arrière et tira de toutes ses forces pour se dégager. Mais plus il tirait, plus la succion s’accentuait, et bientôt son bras tout entier se trouva engagé dans le cœur de la fleur. Il pouvait voir à travers la tige sa main s’agiter impuissante.
Ce furent ses faucons qui le délivrèrent. En se posant sur la fleur qui, à ce contact, s’ouvrit, libérant la proie».
De même L’Envers de l’Eperon s’ouvre sur un affrontement symbolique entre deux fourmis qui répond, «écho dérisoire», à la violence du monde. A la formule de Renan : «le monde est le cauchemar d’une divinité malade», Frank-Duquesne opposait celle-ci, qui nous semble autrement pertinente et à laquelle aurait sans doute acquiescé Michel Bernanos : «Le monde est le cauchemar d’une humanité malade».
La revanche de la nature contre l’homme perverti est un des thèmes littéraires et philosophiques majeurs de Michel Bernanos. Revanche du monde animal et du monde minéral, comme dans la Montagne morte où l’on assiste à la pétrification des deux personnages principaux du drame, comme absorbés par la substance minérale de la montagne. La revanche du monde végétal est évoquée dans la dernière partie de Ils ont déchiré son image sur le mode hallucinatoire. Cette évocation donne lieu à des scènes prodigieuses, rarement égalées dans la littérature fantastique. La ville du marquis, théâtre de combats d’animaux d’une cruauté indicible, de jeux du cirque sordides où des jeunes filles sont livrées en pâture aux hommes et aux bêtes, de fêtes orgiaques qui se déroulent sous les yeux d’enfants terrifiés, cette ville maudite subit l’assaut punitif d’une véritable «furie végétale» qui n’épargne rien ni personne. Comme le note Hubert Sarrazin le marquis est une incarnation du mal : «C’est ce qui reste de l’homme créé par Dieu à son image, et qui s’en rit, une espèce de monstre qui n’use de sa force que pour faire le mal et donne un exemple odieux à ses sujets, empressés d’ailleurs de le suivre». Les dernières pages de ce conte fantastique nous font assister à la rébellion du monde vert, offensé par la perversité monstrueuse du maître des lieux. L’homme mystérieux, l’étranger dont on apprend dans l’épilogue qu’il est le démon venu en tournée d’inspection sur notre planète, découvre un matin autour de lui une horrible prolifération de végétation tropicale qui s’apprête à tout envahir. Au dehors un spectacle horrifique s’offre à sa vue :
«Du plancher aux murs, des murs aux poutres, aux poutrelles et aux chevrons, partout la pousse verte s’étalait. Des fleurs carnivores aux couleurs blêmes s’agitaient et s’étiraient dans les murs largement fissurés, tandis que par la fenêtre grande ouverte des lianes se glissaient, pareilles à des reptiles. Du dehors montait le bruit sourd d’une masse énorme en mouvement. Tous les habitants de l’auberge se trouvaient réunis dans la grande salle à manger. La peur déformait leurs traits, les paralysait, et ils reculaient comme des automates sous la formidable poussée du fléau végétal. Et puis des lianes se firent garrots et bientôt seul demeura vivant dans l’auberge l’homme que le monde vert semblait éviter.
A l’extérieur, une lumière verdâtre pareille à celle régnant dans les grands fonds marins éclairait cette ville. L’homme en fut ébloui. La pousse verte avait envahi chaque édifice, chaque masure de chaque artère, et cette révolte végétale était propagée par des arbres aux troncs énormes, qui, de branche en feuille et de feuille en cime, flambaient de vert»
Les pavés des rues se soulèvent, faisant apparaître d’immenses racines dressées comme autant de bras prêts à saisir leurs proies humaines. Des lianes s’élancent des arbres pour cingler la foule hurlante. Les maisons éclatent comme autant de bourgeons, faisant place à une végétation luxuriante. La ville est bientôt recouverte par une immense couche verte. Quant au marquis, le représentant de l’humanité, il est retenu prisonnier sur son trône de monarque par des racines géantes qui finiront, après un ultime dialogue avec le diable, par se refermer sur lui. Visions hallucinées de fin du monde que Michel Bernanos se représentait sans doute comme une révolte des éléments naturels contre l’homme dévoyé. Ce thème de la revanche du monde infra-humain est une constante de son œuvre : «Les romans de Michel Bernanos ne sont, écrit Hubert Sarrazin, que des variantes d’une même affirmation, qu’on pourrait définir en ces termes : l’humanité, devenue diabolique, va à sa propre destruction et ce sera bientôt la revanche du monde minéral, animal et végétal» .
L’homme ne peut résister aux puissances de la nature lorsqu’elles viennent à se déchaîner contre lui. Par quel mécanisme la nature a-t-elle pu devenir l’ennemi de l’homme ? Michel Bernanos semble vouloir dire qu’elle réagit au déchaînement du mal. Elle se trouve entraînée dans l’agitation (inquietudo) de l’homme et fait apparaître des choses horribles qui reflètent ce qu'il a par nature de diabolique. Déjà Baudelaire pressentait que la laideur des pensées pouvait donner naissance à d'hideuses formes vivantes.
La beauté de la faune et de la flore dans Ils ont déchiré son image… n’est qu’apparente. C’est une beauté trompeuse, dévoratrice. Hubert Sarrazin compare cette hideuse beauté à celle des fleurs du mal. Le marquis et ses sujets qui éprouvent une telle jouissance dans le mal sont devenus des auxillaires du Maudit. La nature environnante semble s’être transformée à leur ressemblance. L’étranger découvre ainsi dans la campagne des spécimens épouvantables, telle cette fleur carnivore :
«…Il avança et voulut caresser du doigt l’un des merveilleux pétales. La fleur, d’un mouvement rapide, se referma sur lui. Il fit un bond en arrière et tira de toutes ses forces pour se dégager. Mais plus il tirait, plus la succion s’accentuait, et bientôt son bras tout entier se trouva engagé dans le cœur de la fleur. Il pouvait voir à travers la tige sa main s’agiter impuissante.
Ce furent ses faucons qui le délivrèrent. En se posant sur la fleur qui, à ce contact, s’ouvrit, libérant la proie».
De même L’Envers de l’Eperon s’ouvre sur un affrontement symbolique entre deux fourmis qui répond, «écho dérisoire», à la violence du monde. A la formule de Renan : «le monde est le cauchemar d’une divinité malade», Frank-Duquesne opposait celle-ci, qui nous semble autrement pertinente et à laquelle aurait sans doute acquiescé Michel Bernanos : «Le monde est le cauchemar d’une humanité malade».