Notre amie Nelly a assisté en avril 2003 à une série de conférences sur la Gnose, la « clef » de la crise actuelle de la Fraternité Saint Pie X. Vous n'êtes pas sans savoir que Philippe Ploncard d'Assac dénonce depuis longtemps déjà à l'intérieur de la Fraternité un « clan gnostique » regroupant les abbé Laguérie, Celier et Tanoüarn, principaux instigateurs de la « pénétration gnostique crypto-maçonnique » dans le milieu traditionaliste (source : le Figaro).
Le compte rendu de ces conférences a été diffusé une première fois sur le FC. Le temps a passé. La crise de la Fraternité bat aujourd'hui son plein, offrant à des inquisiteurs de foire, à des chasseurs de gnostiques auto proclamés et autodidactes, une tribune qu'ils ne méritent pas. Il est clair que nous assistons en ce moment à ce que Léon Bloy appelait "une crue extraordinaire de bêtise". La Fraternité se laissera-t-elle submerger ?
Ce texte de Nelly, savoureux et très informatif, mérite une nouvelle publication. Il fait suite à son exposé sur les méfaits de la Société Barruel et sa recension de la paille et le sycomore et vient donc conclure en beauté sa trilogie gnostique...
Le compte rendu de ces conférences a été diffusé une première fois sur le FC. Le temps a passé. La crise de la Fraternité bat aujourd'hui son plein, offrant à des inquisiteurs de foire, à des chasseurs de gnostiques auto proclamés et autodidactes, une tribune qu'ils ne méritent pas. Il est clair que nous assistons en ce moment à ce que Léon Bloy appelait "une crue extraordinaire de bêtise". La Fraternité se laissera-t-elle submerger ?
Ce texte de Nelly, savoureux et très informatif, mérite une nouvelle publication. Il fait suite à son exposé sur les méfaits de la Société Barruel et sa recension de la paille et le sycomore et vient donc conclure en beauté sa trilogie gnostique...
Trio de conférences de l’AFS (et consorts) sur la gnose et sa pénétration dans le milieu catholique.
Le lieu : une salle au sous-sol d'un centre de conférences un peu tristounet. Pas de buvette ! C'est beaucoup demander à des participants altérés, qui ne pourront s'abreuver malgré la présence dans le quartier de Findi, de la Fermette, du Pershing Hall ou du Man Ray (probablement fermé à cette heure-là).
Trois conférences prévues au programme : une sur la gnose per se, une autre sur la gnose chrétienne, une enfin sur la "pénétration ésotérico-gnostiques dans le milieu de la droite nationale et catholique"
Le public : relativement âgé voire décati ; quelques jeunes qui ont une tête à poster des propos non consensuels sur le forum. La classe d'âge 30-50 n'est quasiment pas représentée. Le milieu semble aisé, ou tout le moins habillé correctement.
Etienne Couvert commence ; pour un lecteur de ses livres, la chanson est familière. La gnose est partout (« je la vois partout où elle est », dit l'intéressé). Intégration de son propos sur les manuscrits de la mer morte dans le reste (les trois livres « la gnose », « la gnose est partout », « elle est même là où vous ne pensez pas la trouver »). Etienne Couvert parle sans notes, est pédagogue, intéressant. Sa passion de communiquer va jusqu'à raconter que l'abbé Carmignac avait traité ses travaux d' « extravagances », ce qui jette un doute sur la qualité d'iceux. De fait, pour en juger, il faut lire St Irénée, Clément (que le bon M. Couvert appelle toujours en se fourchant la langue « St Clément ») d'Alexandrie et nombre d'ouvrages patristiques, paléographiques, et érudits en général. Etienne Couvert nous en présente son « digest » ; il est si atypique qu'on a le droit de ne pas acquiescer.
Point positif : le personnage, que je suis depuis longtemps, est bien moins allumé ou excité que ses livres le laissent paraître. En fait,il semble même un tranquille adhérent de son AFC locale.
Autre point positif : pour la première fois, j'entends une explication sensée de l'interprétation du « ne nos inducas » et de ce qu'il veut dire.
Point négatif : depuis qu'il a écrit ses livres, il y a dix ans et plus, Etienne Couvert n'a rien changé, rien ajouté, rien retranché à son propos. Les références sont les mêmes qu'il y a longtemps, celles à Eiseman et Wise se trouvent déjà dans son quatrième opus. C'est comme s'il avait cessé de rechercher et vivait sur ses acquis. Comme s'il ne se remettait pas en question.
A propos de questions, vient une séance croquignolette, où un auditeur n'avait pas saisi que tous les manuscrits murés n'étaient pas gnostiques (moi non plus, à vrai dire) ; et où un autre auditeur fort imposant, se lançant sur le « ne nos inducas », finissait par dire à plein poumons que la traduction du Pater l'irritait profondément. Il braillait comme un goret, le digne auditeur, et eût Mgr Lustiger été là, je n'aurais pas donné cher de sa calotte.
Bravo, cher ami, vous avez bien mérité du mouvement tradi pour avoir amélioré son image de marque.
Vient Arnaud de Lassus. Lassus est un vétéran des conférences ; je projetais quelques-unes d'entre elles lorsque je m'occupais d'un cercle Ictus/AFS. Si Couvert séduit par son propos captivant, Arnaud de Lassus fascine par son apparence de rigueur. Le tradi de base, une fois sa prose inoculée, n'a envie que de courir chez son évêque et de lui montrer (sans notes !) combien il a tort.
Arnaud de Lassus montre donc, ou tente de montrer, l'infiltration de la gnose dans le christianisme. Un petit coup de Luther, qui aurait eu comme blason une rose et une croix ; et un grand coup de Jean Borella, bête noire des chasseurs d'ésotéristes, sans oublier les classiques rappels sur René Guénon.
Le problème, c'est qu'Arnaud de Lassus ne cite jamais ses témoins à charge. Le blason de Luther n'est pas tiré de quelque oeuvre d'historien, mais d'un pamphlet de Pierre Virion. L'oeuvre de René Guénon est présentée à travers la lecture qu'en a donné Jean Vaquié dans quelques numéros de Lecture et Tradition ; tout ce que dit Lassus de Guénon se retrouve dans les textes de Vaquié ; et tout ce que n'en dit pas Vaquié, Lassus ne le dit pas non plus. Quant à Jean Borella, il est traité de la même manière : c'est comme s'il n'avait écrit que « la charité profanée », et comme s'il n'en fallait penser ce qu'en pensait le cercle Barruel à l'époque où il publiait sa revue, qui fait passer la RISS de Mgr Jouin pour une aimable plaisanterie d'écolier. Michel Michel, l'un des tradis les plus intelligents et clairvoyants de Grenoble sera ravi d'apprendre, s'il ne le sait déjà, que son nom figure sur un transparent au milieu de ceux d'autres « méchants » d'envergure très inégale, Borella, Jean Hani et autres.
Nos liseurs ne savent pas forcément ce qu'est le cercle Barruel. Il prend son nom de l'abbé Barruel et de ses « mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme » qui sont un bréviaire du tradi contre la Franc-Maçonnerie et le courant initiatique.Le cercle Barruel est une société auprès de laquelle le Sodalitium Pianum fait figure de groupe de gauche ; fondé par quelques lyonnais (qui semblent n'avoir pas grand-chose à voir avec les éditions Barruel en ligne sur le net), il publie un bulletin copieux et broché au début des années 90. 25 numéros environ paraîtront ; les numéros 1 à 18 sont très rares, le stock ayant été détruit dans un incendie. On trouve dans ce bulletin les textes d'Etienne Couvert, avant leur publication en livre par Chiré, une étude sur la puissance subversive du surréalisme, et d'autres. La société Barruel apparaît comme un cercle d'érudits qui débusquent sans ménagements la révolution, la maçonnerie, et la subversion en général, partout où ils pensent la trouver. La figure saillante dudit cercle est Jean Vaquié. Doué d'un réel talent littéraire et d'un don pour les synthèses saisissantes, Jean Vaquié a une approche surnaturelle de la « révolution » dans laquelle il voit plus que d'autres le démon à l'oeuvre. Il est l'auteur d'un traité de démonologie, d'un compendium de révélations privées (pas infaillible et variant suivant les éditions...), et de textes de synthèse faisant le point sur la percée de la subversion dans le catholicisme.
Que l'on me comprenne bien : à la différence d'un Coston, Jean Vaquié ne s'intéresse absolument pas à la politique ; c'est un mystique ; son « unum necessarium », c'est le combat surnaturel sur lequel il se focalise au point d'en oublier le vrai « unum necessarium », la vie divine dans le coeur des hommes. En le lisant, on sent le souffle du passage des ailes des anges, prêts pour l'armageddon. C'est grisant, galvanisant, mais aussi terriblement dangereux. « Réflexions sur l'ennemi et la manoeuvre » et autres sont le bréviaire parfait du réactionnaire mystique, au point qu'on s'étonne qu'ils n'aient pas été plus largement diffusés ; peut-être le mysticisme même de Jean Vaquié repoussait-il ? Dans une autre série d'articles, toujours disponibles en tirés à part de « Lecture et Tradition », il s'en prend à Guénon et à l'esotérisme chrétien, en assurant à ce dernier une copieuse publicité. L'ésotérisme chrétien, dont la plupart des lecteurs ne savaient rien avant lui est, pour JV, THE ennemy. On bénéficie donc d'une analyse savante de Guénon, et d'une réfutation à lire ses articles.
Le grand oeuvre de Jean Vaquié, qui poursuivait sa marotte, est un catalogue des auteurs de l'ésotérisme chrétien. J'ai eu accès à une version de travail en deux volumes, avec photocopies des passages des livres incriminés ; le public tradi n'a connu, au mieux qu'un double numéro du bulletin de la société Barruel qui en reprenait la substance. Jean Vaquié y a choisi sa tête de turc : Jean Borella, universitaire nancéen, connaissant un relatif succès avec « la charité profanée » au début des années 80, puis quelques autres.
Au milieu des années 90, quelques mois avant sa mort, JV synthétisera à nouveau ses thèmes favoris dans une brochure de l'AFS.
Maître à penser d'une fraction « spi » de la droite catho-facho, il aura aussi publié en 73 « la révolution liturgique », violente attaque anti-Vatican 2 (Chiré, épuisé), et sélectionné de façon tendancieuse des extraits des « Institutions liturgiques » de Dom Guéranger, faisant apparaître le fondateur de Solesmes comme un ennemi de Vatican 2 avant l'heure, ce qui est un peu fort de roquefort. Il ira jusqu'à baser un de ses articles sur un jeu de mots : « concilium malignantium obsedit me » lui donne l'idée de considérer que le psaume 21 prédit le concile Vatican 2, et non la passion du Christ. Ou plutôt que les deux, eh bien c'est pareil.
Tel est donc Jean Vaquié : fulgurant, fascinant, obsédé par la gnose qu'il combat, plein de bon sens réac, et en plein dans le panneau à la fois.
Revenons-en à Lassus. Il a lu Vaquié, c'est sûr. A-t-il lu Guénon ? Il ne le cite aucunement. A-t-il lu Borella ? Il ne le cite pas plus, les seuls extraits mentionnés ne sont guère compromettants, le graphique avec la rose et la croix sort du dictionnaire de Vaquié. A-t-il trouvé tout seul le blason de Luther ? Non, il le pompe chez Virion.
J'avais en mon temps trouvé dans une bibliothèque d'institution religieuse au-dessus de tout soupçon « la charité profanée » de Jean Borella. J'en avais avisé le supérieur qui, après un mouvement d'humeur, avait accepté de jeter un oeil sur le dictionnaire de Vaquié, en était revenu un peu ébranlé, et avait fait jouer d'autres circuits pour recouper mes dires. J'en avais retenu que Jean Borella, sous l'influence d'autres personnes, avait effectivement écrit des sottises, mais qu'il en était revenu et semblait fréquentable. C'était en 1995. Je suis étonnée de voir qu'en 2003, Lassus et ses sbires en appellent toujours à la Charité Profanée (de 1983) et ne soufflent pas un mot des livres plus récents. Dois-je en déduire que, pas plus que la « Charité Profanée », les censeurs de l'AFS n'ont lu les autres livres ? Je le déduis sans problème.
Voilà bien le problème de la conférence de Lassus (qui lui aussi semble plus modéré que ses écrits) : on se base sur les livres des copains, on tire toute sa science de l'ésotérisme de Vaquié, on ne retient de Borella que ce qu'il a écrit il y a vingt ans, on apprend des dictionnaires par coeur et puis on vit sur ses acquis. Ce n'est pas très honnête !
Une question marrante à la fin, d'un auditeur torturé par une croix tridimensionnelle vue lors d'une messe papale et qu'il interprète comme un symbole gnostique. (de fait, l'une des plaquettes de Vaquié, à côté de l'androgyne, fait figurer en bonne place le « repère orthonormé » et les sphères comme des symboles gnostiques). La gnose au Vatican ? Lassus freine des quatre fers, ne se souvient plus de l'article, et concède que les symboles ont un sens qui peut être bon ou mauvais. La rose, cela peut être Notre-Dame. Et vlan, tout s'effondre : la rose de Luther, celle du schéma de Borella sont peut être... gentilles...
Bref, si Lassus lit quelque chose en dehors des brochures de l'AFS, qu'il me le fasse savoir.
Venons-en à la troisième conférence. Oui, il n'y a pas eu de question sur la « Rose de Notre-Dame », aussi curieux que cela puisse paraître, et le gros monsieur très agité du « ne nos inducas » ne s'est pas manifesté.
La troisième conférence, de Philippe Ploncard d'Assac, m'a fait froid dans le dos. Ploncard donne des noms, « en toute charité » mais on sent qu'il leur couperait bien la tête « en toute charité » s'il le pouvait. Qui donc infecte de sa gnose le milieu catho ? Borella et consorts, on ne s'en étonne même plus. En revanche, on saute en l'air lorsque les noms des abbés de Tanouarn et Célier sont prononcés ; et que le réquisitoire se dirige aussi vite vers Radio Courtoisie. Voilà, comme on me le soufflait à l'oreille, des gens qui doivent être quelques milliers dans toute la France, et qui se divisent.
L'abbé Célier était pour moi un abbé lefevriste standard, un peu triste sire, faisant des messes lefevristes stéréotypées comme elles le sont dans la plupart des prieurés français, et ayant écrit un petit opus sur la nécessité de philosopher, il y a huit ans. Erreur ! C'est un suppôt de la gnose ! Un malfaisant qui a mis la main sur les douze mille revues de la Fraternité et qui leur fait imprimer des erreurs sur papier glacé ! L'abbé de Tanouarn, sur lequel je n'entends que des louanges par ailleurs, est logé à même enseigne, et pas épargné non plus. « Le poisson pourrit par la tête », et la tête bicéphale et pourrie, par ses revues, propage son venin. Cela m'a semblé bien anodin, comme venin ; mais c'est assez pour certains paroissiens pour dénoncer un abbé qui tranche sur le lot à sa hiérarchie. L'abbé fait la grâce à Ploncard de répondre à ses lettres ; c'est pour que Ploncard puisse mieux le confondre devant l'assemblée des justes, euh, je veux dire, de l'AFS.
Nous avons droit aussi à un chapitre sur le GRECE (organisation qui intéresse 150 personnes en France, donc très dangereuse) et sur le club de l'Horloge (très très méchant aussi). Puis sur Radio Courtoisie où Ploncard se demande naïvement pourquoi une radio amie ne veut plus l'entendre dire à l'antenne ses catilinaires. Pour préserver l'unité de la droite nationale, peut-être ? Du coup la pauvre radio est trainée dans la boue ; on ne laisse plus parler que le MNR, les « gaullistes historiques » et les gnostiques. La librairie St Nicolas, rebaptisée, refuse ses livres, bref c'est l'ostracisme. Monde et Vie vient de tomber aux mains de l'ennemi (silence atterré dans la salle). Ploncard ne semble pas se douter que son attitude de Fouquier-Tinville y est pour quelque chose.
Je vous laisse, amis lecteurs, cogiter un peu sur la situation de la Fraternité St Pie X. La division est portée sur la place publique ; il ne faudra pas de lettre des Seize convenablement divulguée cette fois-ci. Nous avons une faille ; nous y avons un doux dingue, Mgr Williamson ; nous avons des fidèles prêts à se rebeller contre leurs clercs à l'appel de l'AFS ; nous avons une situation canonique instable ; nous avons Rome qui tend la main comme jamais. Comment la Fraternité pourrait-elle rester entière dans ce jeu de pressions ?
Mais si elle éclate en miettes, qui seule pourra ramasser les miettes et les réintégrer dans l'Eglise ?
Fin de la parenthèse. Revenons à Fouquier-Tinville et ses plaintes. S'il n'y avait que cela ! Mais il y a aussi l'antisémitisme le plus bas. Pour éviter la loi Gayssot, on n'accuse plus, on pose des questions, on fait dans le sous-entendu visqueux. La franc maçonnerie serait la « synagogue de Satan » ? « Cela indique d'où elle vient », dit Ploncard. Suivez mon regard : de l'enfer, et puis de... Quelques « à qui cela profite-t-il » en rajoutent ; le niveau de propagande est tel qu'on se croirait revenu à Vichy, dont Ploncard semble un admirateur éperdu. On ressort donc, en guise de délation, le passé des uns et des autres, Beketch y passe, Emmanuel Ratier de même et... vous ne me croirez pas, amis lecteurs... Monseigneur Lefebvre lui-même n'y échappe pas ; il est dit à un moment, confidence du fils de la concierge de la cousine de Mgr, que le digne prélat a toujours été très indulgent envers les Fils de la Veuve. Boum ! A qui peut-on se fier ?
Ploncard n'est pas un bon orateur, il parle presque sans faire de plan. Mais c'est un bateleur : avant chaque citation à scandale, il fait sa petite précaution oratoire ; il va jusqu'à citer Ovidie (Ovidie, merde !) pour prouver la nocivité du GRECE ; il accumule les délations, jusqu'aux plus grosses ; il se pose en victime ; il traîne dans sa chute quelques soutanes ; conchie les juifs, les maçons, la « démocratie plouto-mondialiste », et j'en passe.
Qu'avons-nous sous les yeux ? Non pas un catholique défendant son Eglise mais un nostalgique de Vichy et des proscriptions, qui veut revenir à ce temps où il avait de l'audience. Il se croit catholique avant tout, nationaliste, défenseur de la restauration monarchique alors qu'il n'est qu'un produit de la folie des années 20 et d'une conception de la patrie qui est née à Valmy, non à Azincourt ; d'un régime et d'idées qui se sont fait une gloire de collaborer avec l'Allemand et n'ont rien relevé en France comme ils le prétendaient. D'idées qui, comme il y a 80 ans, décrètent que tous les maux du pays viennent du juif et du maçon, et qui verrait d'un oeil heureux les persécutions reprendre.
Il y a deux camps dans le mouvement tradi : le camp des adorateurs en esprit et en vérité ; et le camp des fanatiques. Il est temps de séparer l'un de l'autre, de réintégrer pleinement le premier dans l'Eglise, et de laisser le second dans les ténèbres extérieures.
Trois conférences prévues au programme : une sur la gnose per se, une autre sur la gnose chrétienne, une enfin sur la "pénétration ésotérico-gnostiques dans le milieu de la droite nationale et catholique"
Le public : relativement âgé voire décati ; quelques jeunes qui ont une tête à poster des propos non consensuels sur le forum. La classe d'âge 30-50 n'est quasiment pas représentée. Le milieu semble aisé, ou tout le moins habillé correctement.
Etienne Couvert commence ; pour un lecteur de ses livres, la chanson est familière. La gnose est partout (« je la vois partout où elle est », dit l'intéressé). Intégration de son propos sur les manuscrits de la mer morte dans le reste (les trois livres « la gnose », « la gnose est partout », « elle est même là où vous ne pensez pas la trouver »). Etienne Couvert parle sans notes, est pédagogue, intéressant. Sa passion de communiquer va jusqu'à raconter que l'abbé Carmignac avait traité ses travaux d' « extravagances », ce qui jette un doute sur la qualité d'iceux. De fait, pour en juger, il faut lire St Irénée, Clément (que le bon M. Couvert appelle toujours en se fourchant la langue « St Clément ») d'Alexandrie et nombre d'ouvrages patristiques, paléographiques, et érudits en général. Etienne Couvert nous en présente son « digest » ; il est si atypique qu'on a le droit de ne pas acquiescer.
Point positif : le personnage, que je suis depuis longtemps, est bien moins allumé ou excité que ses livres le laissent paraître. En fait,il semble même un tranquille adhérent de son AFC locale.
Autre point positif : pour la première fois, j'entends une explication sensée de l'interprétation du « ne nos inducas » et de ce qu'il veut dire.
Point négatif : depuis qu'il a écrit ses livres, il y a dix ans et plus, Etienne Couvert n'a rien changé, rien ajouté, rien retranché à son propos. Les références sont les mêmes qu'il y a longtemps, celles à Eiseman et Wise se trouvent déjà dans son quatrième opus. C'est comme s'il avait cessé de rechercher et vivait sur ses acquis. Comme s'il ne se remettait pas en question.
A propos de questions, vient une séance croquignolette, où un auditeur n'avait pas saisi que tous les manuscrits murés n'étaient pas gnostiques (moi non plus, à vrai dire) ; et où un autre auditeur fort imposant, se lançant sur le « ne nos inducas », finissait par dire à plein poumons que la traduction du Pater l'irritait profondément. Il braillait comme un goret, le digne auditeur, et eût Mgr Lustiger été là, je n'aurais pas donné cher de sa calotte.
Bravo, cher ami, vous avez bien mérité du mouvement tradi pour avoir amélioré son image de marque.
Vient Arnaud de Lassus. Lassus est un vétéran des conférences ; je projetais quelques-unes d'entre elles lorsque je m'occupais d'un cercle Ictus/AFS. Si Couvert séduit par son propos captivant, Arnaud de Lassus fascine par son apparence de rigueur. Le tradi de base, une fois sa prose inoculée, n'a envie que de courir chez son évêque et de lui montrer (sans notes !) combien il a tort.
Arnaud de Lassus montre donc, ou tente de montrer, l'infiltration de la gnose dans le christianisme. Un petit coup de Luther, qui aurait eu comme blason une rose et une croix ; et un grand coup de Jean Borella, bête noire des chasseurs d'ésotéristes, sans oublier les classiques rappels sur René Guénon.
Le problème, c'est qu'Arnaud de Lassus ne cite jamais ses témoins à charge. Le blason de Luther n'est pas tiré de quelque oeuvre d'historien, mais d'un pamphlet de Pierre Virion. L'oeuvre de René Guénon est présentée à travers la lecture qu'en a donné Jean Vaquié dans quelques numéros de Lecture et Tradition ; tout ce que dit Lassus de Guénon se retrouve dans les textes de Vaquié ; et tout ce que n'en dit pas Vaquié, Lassus ne le dit pas non plus. Quant à Jean Borella, il est traité de la même manière : c'est comme s'il n'avait écrit que « la charité profanée », et comme s'il n'en fallait penser ce qu'en pensait le cercle Barruel à l'époque où il publiait sa revue, qui fait passer la RISS de Mgr Jouin pour une aimable plaisanterie d'écolier. Michel Michel, l'un des tradis les plus intelligents et clairvoyants de Grenoble sera ravi d'apprendre, s'il ne le sait déjà, que son nom figure sur un transparent au milieu de ceux d'autres « méchants » d'envergure très inégale, Borella, Jean Hani et autres.
Nos liseurs ne savent pas forcément ce qu'est le cercle Barruel. Il prend son nom de l'abbé Barruel et de ses « mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme » qui sont un bréviaire du tradi contre la Franc-Maçonnerie et le courant initiatique.Le cercle Barruel est une société auprès de laquelle le Sodalitium Pianum fait figure de groupe de gauche ; fondé par quelques lyonnais (qui semblent n'avoir pas grand-chose à voir avec les éditions Barruel en ligne sur le net), il publie un bulletin copieux et broché au début des années 90. 25 numéros environ paraîtront ; les numéros 1 à 18 sont très rares, le stock ayant été détruit dans un incendie. On trouve dans ce bulletin les textes d'Etienne Couvert, avant leur publication en livre par Chiré, une étude sur la puissance subversive du surréalisme, et d'autres. La société Barruel apparaît comme un cercle d'érudits qui débusquent sans ménagements la révolution, la maçonnerie, et la subversion en général, partout où ils pensent la trouver. La figure saillante dudit cercle est Jean Vaquié. Doué d'un réel talent littéraire et d'un don pour les synthèses saisissantes, Jean Vaquié a une approche surnaturelle de la « révolution » dans laquelle il voit plus que d'autres le démon à l'oeuvre. Il est l'auteur d'un traité de démonologie, d'un compendium de révélations privées (pas infaillible et variant suivant les éditions...), et de textes de synthèse faisant le point sur la percée de la subversion dans le catholicisme.
Que l'on me comprenne bien : à la différence d'un Coston, Jean Vaquié ne s'intéresse absolument pas à la politique ; c'est un mystique ; son « unum necessarium », c'est le combat surnaturel sur lequel il se focalise au point d'en oublier le vrai « unum necessarium », la vie divine dans le coeur des hommes. En le lisant, on sent le souffle du passage des ailes des anges, prêts pour l'armageddon. C'est grisant, galvanisant, mais aussi terriblement dangereux. « Réflexions sur l'ennemi et la manoeuvre » et autres sont le bréviaire parfait du réactionnaire mystique, au point qu'on s'étonne qu'ils n'aient pas été plus largement diffusés ; peut-être le mysticisme même de Jean Vaquié repoussait-il ? Dans une autre série d'articles, toujours disponibles en tirés à part de « Lecture et Tradition », il s'en prend à Guénon et à l'esotérisme chrétien, en assurant à ce dernier une copieuse publicité. L'ésotérisme chrétien, dont la plupart des lecteurs ne savaient rien avant lui est, pour JV, THE ennemy. On bénéficie donc d'une analyse savante de Guénon, et d'une réfutation à lire ses articles.
Le grand oeuvre de Jean Vaquié, qui poursuivait sa marotte, est un catalogue des auteurs de l'ésotérisme chrétien. J'ai eu accès à une version de travail en deux volumes, avec photocopies des passages des livres incriminés ; le public tradi n'a connu, au mieux qu'un double numéro du bulletin de la société Barruel qui en reprenait la substance. Jean Vaquié y a choisi sa tête de turc : Jean Borella, universitaire nancéen, connaissant un relatif succès avec « la charité profanée » au début des années 80, puis quelques autres.
Au milieu des années 90, quelques mois avant sa mort, JV synthétisera à nouveau ses thèmes favoris dans une brochure de l'AFS.
Maître à penser d'une fraction « spi » de la droite catho-facho, il aura aussi publié en 73 « la révolution liturgique », violente attaque anti-Vatican 2 (Chiré, épuisé), et sélectionné de façon tendancieuse des extraits des « Institutions liturgiques » de Dom Guéranger, faisant apparaître le fondateur de Solesmes comme un ennemi de Vatican 2 avant l'heure, ce qui est un peu fort de roquefort. Il ira jusqu'à baser un de ses articles sur un jeu de mots : « concilium malignantium obsedit me » lui donne l'idée de considérer que le psaume 21 prédit le concile Vatican 2, et non la passion du Christ. Ou plutôt que les deux, eh bien c'est pareil.
Tel est donc Jean Vaquié : fulgurant, fascinant, obsédé par la gnose qu'il combat, plein de bon sens réac, et en plein dans le panneau à la fois.
Revenons-en à Lassus. Il a lu Vaquié, c'est sûr. A-t-il lu Guénon ? Il ne le cite aucunement. A-t-il lu Borella ? Il ne le cite pas plus, les seuls extraits mentionnés ne sont guère compromettants, le graphique avec la rose et la croix sort du dictionnaire de Vaquié. A-t-il trouvé tout seul le blason de Luther ? Non, il le pompe chez Virion.
J'avais en mon temps trouvé dans une bibliothèque d'institution religieuse au-dessus de tout soupçon « la charité profanée » de Jean Borella. J'en avais avisé le supérieur qui, après un mouvement d'humeur, avait accepté de jeter un oeil sur le dictionnaire de Vaquié, en était revenu un peu ébranlé, et avait fait jouer d'autres circuits pour recouper mes dires. J'en avais retenu que Jean Borella, sous l'influence d'autres personnes, avait effectivement écrit des sottises, mais qu'il en était revenu et semblait fréquentable. C'était en 1995. Je suis étonnée de voir qu'en 2003, Lassus et ses sbires en appellent toujours à la Charité Profanée (de 1983) et ne soufflent pas un mot des livres plus récents. Dois-je en déduire que, pas plus que la « Charité Profanée », les censeurs de l'AFS n'ont lu les autres livres ? Je le déduis sans problème.
Voilà bien le problème de la conférence de Lassus (qui lui aussi semble plus modéré que ses écrits) : on se base sur les livres des copains, on tire toute sa science de l'ésotérisme de Vaquié, on ne retient de Borella que ce qu'il a écrit il y a vingt ans, on apprend des dictionnaires par coeur et puis on vit sur ses acquis. Ce n'est pas très honnête !
Une question marrante à la fin, d'un auditeur torturé par une croix tridimensionnelle vue lors d'une messe papale et qu'il interprète comme un symbole gnostique. (de fait, l'une des plaquettes de Vaquié, à côté de l'androgyne, fait figurer en bonne place le « repère orthonormé » et les sphères comme des symboles gnostiques). La gnose au Vatican ? Lassus freine des quatre fers, ne se souvient plus de l'article, et concède que les symboles ont un sens qui peut être bon ou mauvais. La rose, cela peut être Notre-Dame. Et vlan, tout s'effondre : la rose de Luther, celle du schéma de Borella sont peut être... gentilles...
Bref, si Lassus lit quelque chose en dehors des brochures de l'AFS, qu'il me le fasse savoir.
Venons-en à la troisième conférence. Oui, il n'y a pas eu de question sur la « Rose de Notre-Dame », aussi curieux que cela puisse paraître, et le gros monsieur très agité du « ne nos inducas » ne s'est pas manifesté.
La troisième conférence, de Philippe Ploncard d'Assac, m'a fait froid dans le dos. Ploncard donne des noms, « en toute charité » mais on sent qu'il leur couperait bien la tête « en toute charité » s'il le pouvait. Qui donc infecte de sa gnose le milieu catho ? Borella et consorts, on ne s'en étonne même plus. En revanche, on saute en l'air lorsque les noms des abbés de Tanouarn et Célier sont prononcés ; et que le réquisitoire se dirige aussi vite vers Radio Courtoisie. Voilà, comme on me le soufflait à l'oreille, des gens qui doivent être quelques milliers dans toute la France, et qui se divisent.
L'abbé Célier était pour moi un abbé lefevriste standard, un peu triste sire, faisant des messes lefevristes stéréotypées comme elles le sont dans la plupart des prieurés français, et ayant écrit un petit opus sur la nécessité de philosopher, il y a huit ans. Erreur ! C'est un suppôt de la gnose ! Un malfaisant qui a mis la main sur les douze mille revues de la Fraternité et qui leur fait imprimer des erreurs sur papier glacé ! L'abbé de Tanouarn, sur lequel je n'entends que des louanges par ailleurs, est logé à même enseigne, et pas épargné non plus. « Le poisson pourrit par la tête », et la tête bicéphale et pourrie, par ses revues, propage son venin. Cela m'a semblé bien anodin, comme venin ; mais c'est assez pour certains paroissiens pour dénoncer un abbé qui tranche sur le lot à sa hiérarchie. L'abbé fait la grâce à Ploncard de répondre à ses lettres ; c'est pour que Ploncard puisse mieux le confondre devant l'assemblée des justes, euh, je veux dire, de l'AFS.
Nous avons droit aussi à un chapitre sur le GRECE (organisation qui intéresse 150 personnes en France, donc très dangereuse) et sur le club de l'Horloge (très très méchant aussi). Puis sur Radio Courtoisie où Ploncard se demande naïvement pourquoi une radio amie ne veut plus l'entendre dire à l'antenne ses catilinaires. Pour préserver l'unité de la droite nationale, peut-être ? Du coup la pauvre radio est trainée dans la boue ; on ne laisse plus parler que le MNR, les « gaullistes historiques » et les gnostiques. La librairie St Nicolas, rebaptisée, refuse ses livres, bref c'est l'ostracisme. Monde et Vie vient de tomber aux mains de l'ennemi (silence atterré dans la salle). Ploncard ne semble pas se douter que son attitude de Fouquier-Tinville y est pour quelque chose.
Je vous laisse, amis lecteurs, cogiter un peu sur la situation de la Fraternité St Pie X. La division est portée sur la place publique ; il ne faudra pas de lettre des Seize convenablement divulguée cette fois-ci. Nous avons une faille ; nous y avons un doux dingue, Mgr Williamson ; nous avons des fidèles prêts à se rebeller contre leurs clercs à l'appel de l'AFS ; nous avons une situation canonique instable ; nous avons Rome qui tend la main comme jamais. Comment la Fraternité pourrait-elle rester entière dans ce jeu de pressions ?
Mais si elle éclate en miettes, qui seule pourra ramasser les miettes et les réintégrer dans l'Eglise ?
Fin de la parenthèse. Revenons à Fouquier-Tinville et ses plaintes. S'il n'y avait que cela ! Mais il y a aussi l'antisémitisme le plus bas. Pour éviter la loi Gayssot, on n'accuse plus, on pose des questions, on fait dans le sous-entendu visqueux. La franc maçonnerie serait la « synagogue de Satan » ? « Cela indique d'où elle vient », dit Ploncard. Suivez mon regard : de l'enfer, et puis de... Quelques « à qui cela profite-t-il » en rajoutent ; le niveau de propagande est tel qu'on se croirait revenu à Vichy, dont Ploncard semble un admirateur éperdu. On ressort donc, en guise de délation, le passé des uns et des autres, Beketch y passe, Emmanuel Ratier de même et... vous ne me croirez pas, amis lecteurs... Monseigneur Lefebvre lui-même n'y échappe pas ; il est dit à un moment, confidence du fils de la concierge de la cousine de Mgr, que le digne prélat a toujours été très indulgent envers les Fils de la Veuve. Boum ! A qui peut-on se fier ?
Ploncard n'est pas un bon orateur, il parle presque sans faire de plan. Mais c'est un bateleur : avant chaque citation à scandale, il fait sa petite précaution oratoire ; il va jusqu'à citer Ovidie (Ovidie, merde !) pour prouver la nocivité du GRECE ; il accumule les délations, jusqu'aux plus grosses ; il se pose en victime ; il traîne dans sa chute quelques soutanes ; conchie les juifs, les maçons, la « démocratie plouto-mondialiste », et j'en passe.
Qu'avons-nous sous les yeux ? Non pas un catholique défendant son Eglise mais un nostalgique de Vichy et des proscriptions, qui veut revenir à ce temps où il avait de l'audience. Il se croit catholique avant tout, nationaliste, défenseur de la restauration monarchique alors qu'il n'est qu'un produit de la folie des années 20 et d'une conception de la patrie qui est née à Valmy, non à Azincourt ; d'un régime et d'idées qui se sont fait une gloire de collaborer avec l'Allemand et n'ont rien relevé en France comme ils le prétendaient. D'idées qui, comme il y a 80 ans, décrètent que tous les maux du pays viennent du juif et du maçon, et qui verrait d'un oeil heureux les persécutions reprendre.
Il y a deux camps dans le mouvement tradi : le camp des adorateurs en esprit et en vérité ; et le camp des fanatiques. Il est temps de séparer l'un de l'autre, de réintégrer pleinement le premier dans l'Eglise, et de laisser le second dans les ténèbres extérieures.