Ils sont partout
Eh oui, ma bonne dame, on ne peut plus se promener dans le pays sans en voir dans tous les coins. Il y en a partout, partout, c’est l’invasion !
De quel pays parle-t-on ? De tradiland, envahi par les rééditions des ouvrages les plus réactionnaires que les deux siècles précédent ont pu produire.
Il y a quelques temps, mis de bonne humeur par le printemps et le soleil, je décidai de rendre visite à une petite librairie tradi, une des rares qui ne relève pas votre adresse sur les chèques que vous lui donnez. La rumeur prétendait cette librairie aux mains de la secte gnostique qui sévit chez les lefevristes (on a les hérétiques qu’on peut) ; je m’attendais donc à y trouver un ou deux ouvrages potables.
Ce fut une grosse déception. Les murs, les étagères, tout était plein de rééditions issues de deux ou trois échoppes fantastiquement tradies, auprès desquelles les dominicains d’Avrillé semblent être les fils spirituels de Douste-Blazy. Cela s’appelle Editions Saint Rémi, ou Expéditions Pamphiliennes, ou autre chose encore. Il est très possible que les mêmes personnes soient derrière les trois, car toutes ne sont pas actives en même temps.
De quel pays parle-t-on ? De tradiland, envahi par les rééditions des ouvrages les plus réactionnaires que les deux siècles précédent ont pu produire.
Il y a quelques temps, mis de bonne humeur par le printemps et le soleil, je décidai de rendre visite à une petite librairie tradi, une des rares qui ne relève pas votre adresse sur les chèques que vous lui donnez. La rumeur prétendait cette librairie aux mains de la secte gnostique qui sévit chez les lefevristes (on a les hérétiques qu’on peut) ; je m’attendais donc à y trouver un ou deux ouvrages potables.
Ce fut une grosse déception. Les murs, les étagères, tout était plein de rééditions issues de deux ou trois échoppes fantastiquement tradies, auprès desquelles les dominicains d’Avrillé semblent être les fils spirituels de Douste-Blazy. Cela s’appelle Editions Saint Rémi, ou Expéditions Pamphiliennes, ou autre chose encore. Il est très possible que les mêmes personnes soient derrière les trois, car toutes ne sont pas actives en même temps.
Un polygraphe immodéré : Mgr Gaume
Les expéditions pamphiliennes sont les plus anciennes ; dès les années 90 elles republiaient des ouvrages de Mgr Gaume. Comme nombre de prélats réac (Delassus, Jouin), ce dernier n’était qu’un « monsignore » et n’enseigne donc pas avec le sceau épiscopal. Dieu merci, lorsqu’on considère ce qu’il raconte ! Il y eut, je crois, une polémique entre Dom Guéranger, pourtant pas suspect de progressisme, et ce Mgr Gaume ; elle portait sur l’enseignement du latin dans les écoles catholiques. Mgr Gaume souhaitait n’enseigner le latin que dans les auteurs chrétiens ; car tout ce qui était païen était mauvais et devait être bouté hors de la culture classique. Cela vous donne une idée du personnage. Dom Guéranger défendit, face à ce taliban de l’époque, l’enseignement des auteurs classiques.(cf. la première biographie de Dom Guéranger par « un moine bénédictin » aux éditions de Solesmes)
Lorsqu’il n’était pas absorbé par le fanatisme, Mgr Gaume semblait n’avoir pas grand-chose à faire. Alors il écrivait. Beaucoup, beaucoup, beaucoup. Un vrai polygraphe. Un catéchisme de persévérance en huit volumes. Un abrégé trapu du même. Un traité du Saint-Esprit en trois volumes. Les biographies de toutes les personnes nommées dans les Evangiles. Les preuves de la diffusion universelle du christianisme dès les temps apostoliques (ergo il est divin, cqfd). Un voyage à Rome en trois volumes. L’auteur trouve le moyen d’y faire figurer le récit d’une exécution dans les états pontificaux (le prélat s’émeut de la croisade de prières qui pousse le condamné à faire pénitence ; ce dernier meurt repenti : comme c’est bon ! et quelle charité romaine !), ainsi que celle d’une visite au bagne (Mgr s’émeut sur les conditions ignobles de vie et la discipline cruelle, il en rajoute avec l’évocation d’une exécution au bagne, c’est un véritable Berlioz du châtiment, avec une arrière pensée politique : cruel parce que gouvernement laïc).
Ajoutons un traité entier sur l’eau bénite, 300 pages au bas mot, et j’en passe, car on n’a certainement pas tout réédité. Mais on en a réédité beaucoup, beaucoup, beaucoup trop.
Lorsqu’il n’était pas absorbé par le fanatisme, Mgr Gaume semblait n’avoir pas grand-chose à faire. Alors il écrivait. Beaucoup, beaucoup, beaucoup. Un vrai polygraphe. Un catéchisme de persévérance en huit volumes. Un abrégé trapu du même. Un traité du Saint-Esprit en trois volumes. Les biographies de toutes les personnes nommées dans les Evangiles. Les preuves de la diffusion universelle du christianisme dès les temps apostoliques (ergo il est divin, cqfd). Un voyage à Rome en trois volumes. L’auteur trouve le moyen d’y faire figurer le récit d’une exécution dans les états pontificaux (le prélat s’émeut de la croisade de prières qui pousse le condamné à faire pénitence ; ce dernier meurt repenti : comme c’est bon ! et quelle charité romaine !), ainsi que celle d’une visite au bagne (Mgr s’émeut sur les conditions ignobles de vie et la discipline cruelle, il en rajoute avec l’évocation d’une exécution au bagne, c’est un véritable Berlioz du châtiment, avec une arrière pensée politique : cruel parce que gouvernement laïc).
Ajoutons un traité entier sur l’eau bénite, 300 pages au bas mot, et j’en passe, car on n’a certainement pas tout réédité. Mais on en a réédité beaucoup, beaucoup, beaucoup trop.
Le traité du St Esprit : du Couvert avant Couvert
Le traité du Saint-Esprit, par exemple, est une merveille de réaction. On s’attendrait à de la théologie, ou de la métaphysique du plus haut niveau. La Trinité, les processions, spirations, toute une série de pages sur d’ineffables notions. On est bien déçu. Après l’énumération de quelques caractéristiques du Saint Esprit (l’amour, les dons, la couleur rouge, tout ça), l’auteur entre dans la partie qui lui plaît le plus : l’action du Saint Esprit dans l’histoire. C’est l’occasion pour lui de faire… du Etienne Couvert, en passant toute l’histoire et toute l’humanité en revue. Et son prisme de lecture est très simple : mors et vita duello conflixere mirando. Il y a le bien, et le mal, et ils se bagarrent. Le mal doit être pris au sérieux parce que le démon est méchant. Les protagonistes ont des noms maison : à ma droite le Saint Esprit, à ma gauche la Révolution. On attend toujours de trouver à quelle page de la Patrologie Latine Mgr Gaume a trouvé cela. A moins que cela ne soit de l’invention ou - horresco referens - du propre Esprit ? On aimerait aussi savoir où il a pris que les méthodistes dansaient nus dans les forêts.
Comme chez les chasseurs de gnose, les événements de l’histoire de l’humanité sont grimés, détournés, pour servir le petit dogme parallèle de l’auteur où les mots changent de sens et les sens, de mots. Personnifier le mal, l’appeler « la Révolution », lui faire dire « je suis la haine de tout ordre naturel », passe encore pour un prélat réac et ultramontain du 19ème siècle. Mais raisonner sur ces analogies, construire sur ces images, et l’on se retrouve, comme Jean Vaquié, la tête et les pieds dans le Monde Intermédiaire, à ne plus voir que des combats dans des grands froufrous d’ailes, où les fourches volent bas, au lieu qu’il faudrait contempler l’Incarnation et la Rédemption, autrement plus importantes.
Comme chez les chasseurs de gnose, les événements de l’histoire de l’humanité sont grimés, détournés, pour servir le petit dogme parallèle de l’auteur où les mots changent de sens et les sens, de mots. Personnifier le mal, l’appeler « la Révolution », lui faire dire « je suis la haine de tout ordre naturel », passe encore pour un prélat réac et ultramontain du 19ème siècle. Mais raisonner sur ces analogies, construire sur ces images, et l’on se retrouve, comme Jean Vaquié, la tête et les pieds dans le Monde Intermédiaire, à ne plus voir que des combats dans des grands froufrous d’ailes, où les fourches volent bas, au lieu qu’il faudrait contempler l’Incarnation et la Rédemption, autrement plus importantes.
Très chers autres phares de la foi
Les éxpéditions pamphiliennes ont donc lancé Mgr Gaume, repris et amplifié depuis par les éditions St Remi et autres. On peut s’en lasser. C’est pourquoi le catalogue se diversifie. Il y eut les quatre volumes de la Catena Aurea de St Thomas d’Aquin. Des reprints de Dom Guéranger, toujours aussi volontiers asservi par les tradis à leurs propres idées. N’oublions pas le charcutage en règle que Jean Vaquié avait fait subir aux Institutions Liturgiques ; sous prétexte de présenter un texte léger et maniable, Vaquié avait réduit trois volumes de 1845 en un petit opus qu’il avait mis au service de la réaction liturgique de 1975. Facile après cela de dire « si Dom Guéranger avait connu le Concile… » Notons que dans leur frénésie d’éditer le fondateur de Solesmes, les artisans rémigiens et pamphiliens ne choisissent jamais les textes importants (où est l’Année Liturgique, messieurs ? où sont les conférences aux moines ? Les mémoires autobiographiques ? la correspondance ?) mais exhument des pamphlets de jeunesse ou de petits traités sur lesquels il leur importe d’avoir raison en 2005.
Après cela, nous ne serons pas surpris de voir Mgr Delassus, et même la Revue Internationale des Sociétés Secrètes de Mgr Jouin, organe de presse du parti anti-maçonnique. Cela fleure Vichy, l’interdiction et le pillage des loges en 1940. Garnissez votre porte-monnaie : si toute la RISS est rééditée, il faudra raquer.
Nous ne serons pas surpris de voir non plus les œuvres intégrales du cardinal Pie, une belle pile de plus de dix tomes, vendus à plus de 300 euros la série. Le catéchisme de persévérance se négocie à peine moins cher. Car tout cela a un prix. Songez donc : les jaquettes sont ornées de photos approximativement scannées ; la pagination est défectueuse. Le quatrimèe de couverture comporte son lot de fautes d’orthograffe. Très révolutionnairement, l’opus de Jean Vaquié que j’ai feuilleté avait son début… à la fin ! La reliure est un simple dos collé ; autrement dit, pas de droit d’auteur, juste le prix du papier, de la photocopie ou de l’offset, et du courrier. Comment donc cela peut-il se conclure par des prix pareils ? La valeur inestimable des textes présentés ? Nous en doutons.
Jean Vaquié, que l’on finira par représenter sur les vitraux avec un petit ange à sa gauche et un petit diable à sa droite, a droit lui aussi aux honneurs de la collection. Son abrégé de démonologie est ainsi réédité, prémisse d’autres minces traités. Au moins on n’y laissera pas 300 euros.
Les autres amis de Dom Guéranger (Lacordaire, Montalembert) n’ont pas droit aux rééditions. Curieux !
Après cela, nous ne serons pas surpris de voir Mgr Delassus, et même la Revue Internationale des Sociétés Secrètes de Mgr Jouin, organe de presse du parti anti-maçonnique. Cela fleure Vichy, l’interdiction et le pillage des loges en 1940. Garnissez votre porte-monnaie : si toute la RISS est rééditée, il faudra raquer.
Nous ne serons pas surpris de voir non plus les œuvres intégrales du cardinal Pie, une belle pile de plus de dix tomes, vendus à plus de 300 euros la série. Le catéchisme de persévérance se négocie à peine moins cher. Car tout cela a un prix. Songez donc : les jaquettes sont ornées de photos approximativement scannées ; la pagination est défectueuse. Le quatrimèe de couverture comporte son lot de fautes d’orthograffe. Très révolutionnairement, l’opus de Jean Vaquié que j’ai feuilleté avait son début… à la fin ! La reliure est un simple dos collé ; autrement dit, pas de droit d’auteur, juste le prix du papier, de la photocopie ou de l’offset, et du courrier. Comment donc cela peut-il se conclure par des prix pareils ? La valeur inestimable des textes présentés ? Nous en doutons.
Jean Vaquié, que l’on finira par représenter sur les vitraux avec un petit ange à sa gauche et un petit diable à sa droite, a droit lui aussi aux honneurs de la collection. Son abrégé de démonologie est ainsi réédité, prémisse d’autres minces traités. Au moins on n’y laissera pas 300 euros.
Les autres amis de Dom Guéranger (Lacordaire, Montalembert) n’ont pas droit aux rééditions. Curieux !
Mgr Gaume ou la LVF : chrétien, choisis ton camp
Après cette avalanche de livres inactuels, mon regard se porte sur des souvenirs de la dernière guerre. L’intérieur du livre est plus explicite : ces « destins » sont ceux de trois français qui ont cru intelligent de se battre sous l’uniforme allemand dans les années 40. Ni contraints ni forcés ni alsaciens. Ah oui, ce n’est pas Philippe Labro qui découvre l’Occupation, la Libération et l’Épuration à travers son regard de petit garçon. A côté, un autre livre fait l’éloge de Marcel Déat. Je suis blasé, je ne réagis même pas.
Avec une politique intensive de rééditions, je m’explique mieux pourquoi tout le monde, subitement, semble n’avoir plus que Mgr Gaume à la bouche. C’est que, comme la Star Academy, il n’est plus possible d’y échapper. Du temps que j’étais tradi enragé, j’étais aussi précurseur ; Mgr Gaume était confidentiel. Il n’aurait tenu qu’à un hasard de bouquiniste que le manuel des confesseurs de Mgr Bouvier (« péché de chair : tous mortels ») devînt à la place le best seller actuel.
Avec une politique intensive de rééditions, je m’explique mieux pourquoi tout le monde, subitement, semble n’avoir plus que Mgr Gaume à la bouche. C’est que, comme la Star Academy, il n’est plus possible d’y échapper. Du temps que j’étais tradi enragé, j’étais aussi précurseur ; Mgr Gaume était confidentiel. Il n’aurait tenu qu’à un hasard de bouquiniste que le manuel des confesseurs de Mgr Bouvier (« péché de chair : tous mortels ») devînt à la place le best seller actuel.
Quelques titres qu’il serait injuste de ne pas mentionner
« Le géocentrisme fondé sur les expériences de Michelson »
« Le complot, les forces occultes » (Pierre Virion)
« Le mal social » (Dom Sarda y Salvany – je regrette à ce sujet de n’avoir rien trouvé de l’abbé Meinvielle. J’ai très envie de me le recenser.)
« Mort au cléricalisme ou résurrection du sacrifice humain » (Mgr Gaume)
« Question nationale » (abbé Barruel)
Le syllabus de Pie IX (non ? si !)
« les erreurs du Sillon » (abbé Barbier)
« Jeanne d’Arc la pucelle » (La Franquerie, sans qui toute bonne collection ne serait pas complète)
« Ascendance davidique des rois de France » (La Franquerie)
« Vérités sociales et erreurs démocratiques » (Mgr Delassus)
Les nombreux bugs du site ne m’ont pas permis d’explorer à fond.
Soyons honnêtes, il y a aussi de bons auteurs. On peut relever les noms du P. Pègues, du P. Garrigou-Lagrange, ou du P. de Monléon. Mais Seigneur ! en quelle compagnie !
Je note aussi la réédition du Dom Baron en trois volumes (65 euros). Hélas ! Cet ouvrage précieux, que j’ai depuis 1995, et qui faisait la jalousie de mes collègues grégorianistes, va perdre de sa valeur sur le marché de l’occasion.
« Le complot, les forces occultes » (Pierre Virion)
« Le mal social » (Dom Sarda y Salvany – je regrette à ce sujet de n’avoir rien trouvé de l’abbé Meinvielle. J’ai très envie de me le recenser.)
« Mort au cléricalisme ou résurrection du sacrifice humain » (Mgr Gaume)
« Question nationale » (abbé Barruel)
Le syllabus de Pie IX (non ? si !)
« les erreurs du Sillon » (abbé Barbier)
« Jeanne d’Arc la pucelle » (La Franquerie, sans qui toute bonne collection ne serait pas complète)
« Ascendance davidique des rois de France » (La Franquerie)
« Vérités sociales et erreurs démocratiques » (Mgr Delassus)
Les nombreux bugs du site ne m’ont pas permis d’explorer à fond.
Soyons honnêtes, il y a aussi de bons auteurs. On peut relever les noms du P. Pègues, du P. Garrigou-Lagrange, ou du P. de Monléon. Mais Seigneur ! en quelle compagnie !
Je note aussi la réédition du Dom Baron en trois volumes (65 euros). Hélas ! Cet ouvrage précieux, que j’ai depuis 1995, et qui faisait la jalousie de mes collègues grégorianistes, va perdre de sa valeur sur le marché de l’occasion.
Catalogue des expéditions pamphiliennes
Les expéditions pamphiliennes ont un site au nom universel, facile à retenir : www.catholique.info
On retrouve Mgr Gaume :
Traité du St Esprit (69 euros)
La révolution (12 tomes, 189 euros)
« Le libéralisme est un péché » (dom Sarda y salvany)
« La conjuration antichrétienne » (Mgr Delassus)
Et bien d’autres s’il vous reste du temps libre.
On retrouve Mgr Gaume :
Traité du St Esprit (69 euros)
La révolution (12 tomes, 189 euros)
« Le libéralisme est un péché » (dom Sarda y salvany)
« La conjuration antichrétienne » (Mgr Delassus)
Et bien d’autres s’il vous reste du temps libre.