Si je devais résumer en une phrase ces cinq albums hautement dignes d’intérêt, je dirais ceci : Léo est un AUTEUR, un vrai. Il sait en effet créer, avec un égal bonheur, une histoire et des personnages, il sait créer par l’image un monde entièrement imaginaire, il sait surtout raconter, c'est-à-dire dérouler sans cahots son scénario, et l’illustrer par des vignettes magistralement composées, au point que je suis tenté de parler de « rythme visuel ». Il suffit de regarder les couvertures des albums, et notamment celle du second épisode.
Aldébaran est le nom d’une étoile, comme nous le savons ; mais la série n’est pas une œuvre de science-fiction. C’est un récit de voyage et d’aventure. A son commencement, la planète est déjà colonisée ; il y a des villages, des villes, et un pouvoir autoritaire en place. Les principaux paramètres du monde sont exposés : la planète n’est pas encore totalement explorée ; les zoologues et les botanistes, notamment, se basent sur un grand travail de recensement des espèces vivants qui est relativement ancien et incomplet. La planète est très largement recouverte par un océan ; les créatures de haute mer sont peu connues et potentiellement dangereuses.
La zone connue de la planète, en revanche, est plus agréable que la terre : le climat y est doux est ensoleillé, et il y a très peu d’animaux dangereux, sauf dans des zones bien déterminées.
Un dernier point, capital : du fait d’une succession d’échecs dans les voyages Terre-Aldébaran, les liaisons avec la Terre sont interrompues : il n’y a plus ni communications ni voyages ; la planète est livrée à elle-même depuis plusieurs décennies.
En réalité, le pays dépeint par Leo ressemble à un Brésil fantasmé : immense, aimable, inépuisable, avec une nature omniprésente, incomplètement connue. Ne dit-on pas que l’Amazone renferme des centaines d’espèces de poissons que l’on n’a jamais répertoriées ? Peut-être même au Brésil de la dictature militaire : le gouvernement oppresseur ici s’est allié à un clergé répressif de prêtres habillés en complets gris perle, avec une carvate pourpre, avides de pouvoir plus que de grâce.
S’il y a un génie immédiat chez Leo (lui-même brésilien), c’est cette inventivité visuelle et textuelle, ce sens du détail qui fait mouche car, même si on le sait inventé, on l’accepte comme réel. La plupart des animaux ont des noms qui sont en fait des prénoms. Un nestor, par exemple, s’échoue sur une place. Un troupeau de grégoires apparaît plus loin. C’est comme si les zoologues qui ont classifié la faune avaient du nommer des centaines d’espèces en même temps, et on choisi un « thème » suffisamment vaste pour les nommes tous d’un coup.
Les images véhiculent une même impression de vraisemblance. On ne lit pas, je l’ai dit, une BD de science fiction mais une BD réaliste qui se passe sur un monde qui n’existe pas. Les maisons, l’océan, la plage, les dirigeables, ressemblent à ceux de la terre. Les hommes aussi ; la société est un melting pot à l’américaine. Les bateaux sont des voiliers classiques. La flore, elle, est atypique : on devine la végétation luxuriante, les grands arbres, les fruits généreux, les formes bombées - mais ce ne sont plus les formes végétales terrestres. Il n’y a pas de «petites » plantes sur cette planète. Quant à la faune, elle est dans son ensemble étrange. De nombreuses créatures marines, observées nulle part ; et (dans le tome 4), des créatures des marais qui valent le détour.
Et puis il y a surtout la mantrisse. C’est la star de la faune de Leo ; mais est-ce un animal ? Tout ce qu’on peut dire, c’est que la mantrisse est une… chose… qui vit dans l’eau, qui semble douée de conscience, qui est polymorphe et qui se manifeste, à intervalles réguliers, sous des aspects particulièrement marquants, et parfois dévastateurs.
C’est une de ses manifestations qui a poussé Marc et Kim, lycéens dans une colonie reculée d’Aldébaran, à une errance sur la planète. Ils croisent et recroisent Driss et Alexa, deux hors-la-loi qui étudient la mantrisse et sont traqués par le gouvernement, et un vieux filou, Monsieur Pad, qui leur joue alternativement des tours pendables et leur sauve la vie.
Les héros de Leo sont ordinaires, dessinés à gros traits, un peu naïvement, un peu maladroitement. Ce ne sont pas des jeunes premiers. Leurs équivalents dans un film seraient des acteurs normaux, sur lequel le réalisateur ferait volontairement des plans rapprochés pour montrer qu’ils ont des boutons ou les dents de travers. Mais Marc comme Kim ont des visages engageants ; ils sont tout de suite sympathiques au lecteur et on perce, à les voir, leur caractère. Rien d’artificiel dans tout cela.
Je regrette en revanche les méchants ; Leo n’est pas très crédible dans les méchants, spécialement dans les prêtres. Loomis marine dans le vinaigre et ne semble pas capable de la moindre once de bonté à un point que c’en est caricatural.
Une fois encore, disons-le : ce n’est pas un récit politique, et c’est à peine une histoire psychologique, encore que Marc et Kim mûrissent au fur et à mesure. « Aldébaran » est avant tout un récit d’exploration. Leo excelle à faire partager au lecteur les découvertes de ses héros, au moment même où elles sont faites. Le récit procède, classiquement, par révélations successives. Tout n’est pas expliqué tout de suite ; il y a même de nombreuses choses qui ne sont pas expliquées du tout. Les « révélations » ou les scènes-clés sont amenées avec un soin méticuleux. La mantrisse, comme nous l’avons dit, a le pouvoir de prendre plusieurs formes ; elle a aussi pouvoir sur l’eau de mer et peut la sculpter en colonnes, en faire une cuvette, ce qu’elle veut. Elle a également le pouvoir sur les animaux qui vivent dans la mer. Dans une scène particulièrement soignée, un banc de « grégoires », des animaux marins qui tiennent de la raie et de l’orque, est observé ; puis il fait nuit, on se doute que la mantrisse est présente ou se manifeste invisiblement. La zone est éclairée brièvement ; on aperçoit les grégoires empilés dans l’air, bougeant dans tous les sens, et puis plus rien. La mantrisse est-elle ces animaux ? Les a-t-elle mangés ? Le lendemain, il n’y a plus un grégoire en vue.
Plus loin, la mantrisse elle-même apparaît, au terme d’un passage éloquent. Sur une pleine page, une tête qui évoque un cétacé sort de la mer. Elle est immense, haute comme dix ou vingt fois le bateau dans lequel se trouvent les héros. Elle reste muette, mais le dessin traduit bien que c’est un être pensant ; le visage est grave, ennuyé, impénétrable ; puis rien ne se passe et la mantrisse disparaît.
Autre grande impression visuelle : l’araignée géante du tome 5, qui apparaît en noir sur fond de ciel nocturne.
En de nombreux endroits, Leo découpe sa planche originalement, de façon à renforcer son propos. C’est le cas du tout début, où trois trips sur toute la largeur font un zoom sur un nestor agonisant qui sort de la mer. 1er strip : la mer, des vagues. « La catastrophe avait été précédée de plusieurs signes avant-coureurs ». 2ème strip : le nestor se hisse avec ses bras hors de la mer. « … que malheureusement nous ne sûmes pas interpréter ». 3ème strip : gros plan sur la gueule du nestor, qui pousse un cri que l’on devine d’agonie. Puis on le voit (gros strip un peu plus large, vue en plongée) se hisser sur la plage ; et l’on coupe vers l’école où se trouve Kim. Voilà une manière efficace de rentrer dans le sujet.
Grâce donc à son imagination, à ses talents de conteur, Leo a su, au fil de ces cinq volumes, raconter une histoire, camper des personnages, et en somme rendre crédible tout un monde imaginaire. Les aventures vécues stimulent la curiosité du lecteur et l’emportent d’un bout à l’autre des cinq albums avec un intérêt renouvelé.
Un site complet sur la série
Aldébaran est le nom d’une étoile, comme nous le savons ; mais la série n’est pas une œuvre de science-fiction. C’est un récit de voyage et d’aventure. A son commencement, la planète est déjà colonisée ; il y a des villages, des villes, et un pouvoir autoritaire en place. Les principaux paramètres du monde sont exposés : la planète n’est pas encore totalement explorée ; les zoologues et les botanistes, notamment, se basent sur un grand travail de recensement des espèces vivants qui est relativement ancien et incomplet. La planète est très largement recouverte par un océan ; les créatures de haute mer sont peu connues et potentiellement dangereuses.
La zone connue de la planète, en revanche, est plus agréable que la terre : le climat y est doux est ensoleillé, et il y a très peu d’animaux dangereux, sauf dans des zones bien déterminées.
Un dernier point, capital : du fait d’une succession d’échecs dans les voyages Terre-Aldébaran, les liaisons avec la Terre sont interrompues : il n’y a plus ni communications ni voyages ; la planète est livrée à elle-même depuis plusieurs décennies.
En réalité, le pays dépeint par Leo ressemble à un Brésil fantasmé : immense, aimable, inépuisable, avec une nature omniprésente, incomplètement connue. Ne dit-on pas que l’Amazone renferme des centaines d’espèces de poissons que l’on n’a jamais répertoriées ? Peut-être même au Brésil de la dictature militaire : le gouvernement oppresseur ici s’est allié à un clergé répressif de prêtres habillés en complets gris perle, avec une carvate pourpre, avides de pouvoir plus que de grâce.
S’il y a un génie immédiat chez Leo (lui-même brésilien), c’est cette inventivité visuelle et textuelle, ce sens du détail qui fait mouche car, même si on le sait inventé, on l’accepte comme réel. La plupart des animaux ont des noms qui sont en fait des prénoms. Un nestor, par exemple, s’échoue sur une place. Un troupeau de grégoires apparaît plus loin. C’est comme si les zoologues qui ont classifié la faune avaient du nommer des centaines d’espèces en même temps, et on choisi un « thème » suffisamment vaste pour les nommes tous d’un coup.
Les images véhiculent une même impression de vraisemblance. On ne lit pas, je l’ai dit, une BD de science fiction mais une BD réaliste qui se passe sur un monde qui n’existe pas. Les maisons, l’océan, la plage, les dirigeables, ressemblent à ceux de la terre. Les hommes aussi ; la société est un melting pot à l’américaine. Les bateaux sont des voiliers classiques. La flore, elle, est atypique : on devine la végétation luxuriante, les grands arbres, les fruits généreux, les formes bombées - mais ce ne sont plus les formes végétales terrestres. Il n’y a pas de «petites » plantes sur cette planète. Quant à la faune, elle est dans son ensemble étrange. De nombreuses créatures marines, observées nulle part ; et (dans le tome 4), des créatures des marais qui valent le détour.
Et puis il y a surtout la mantrisse. C’est la star de la faune de Leo ; mais est-ce un animal ? Tout ce qu’on peut dire, c’est que la mantrisse est une… chose… qui vit dans l’eau, qui semble douée de conscience, qui est polymorphe et qui se manifeste, à intervalles réguliers, sous des aspects particulièrement marquants, et parfois dévastateurs.
C’est une de ses manifestations qui a poussé Marc et Kim, lycéens dans une colonie reculée d’Aldébaran, à une errance sur la planète. Ils croisent et recroisent Driss et Alexa, deux hors-la-loi qui étudient la mantrisse et sont traqués par le gouvernement, et un vieux filou, Monsieur Pad, qui leur joue alternativement des tours pendables et leur sauve la vie.
Les héros de Leo sont ordinaires, dessinés à gros traits, un peu naïvement, un peu maladroitement. Ce ne sont pas des jeunes premiers. Leurs équivalents dans un film seraient des acteurs normaux, sur lequel le réalisateur ferait volontairement des plans rapprochés pour montrer qu’ils ont des boutons ou les dents de travers. Mais Marc comme Kim ont des visages engageants ; ils sont tout de suite sympathiques au lecteur et on perce, à les voir, leur caractère. Rien d’artificiel dans tout cela.
Je regrette en revanche les méchants ; Leo n’est pas très crédible dans les méchants, spécialement dans les prêtres. Loomis marine dans le vinaigre et ne semble pas capable de la moindre once de bonté à un point que c’en est caricatural.
Une fois encore, disons-le : ce n’est pas un récit politique, et c’est à peine une histoire psychologique, encore que Marc et Kim mûrissent au fur et à mesure. « Aldébaran » est avant tout un récit d’exploration. Leo excelle à faire partager au lecteur les découvertes de ses héros, au moment même où elles sont faites. Le récit procède, classiquement, par révélations successives. Tout n’est pas expliqué tout de suite ; il y a même de nombreuses choses qui ne sont pas expliquées du tout. Les « révélations » ou les scènes-clés sont amenées avec un soin méticuleux. La mantrisse, comme nous l’avons dit, a le pouvoir de prendre plusieurs formes ; elle a aussi pouvoir sur l’eau de mer et peut la sculpter en colonnes, en faire une cuvette, ce qu’elle veut. Elle a également le pouvoir sur les animaux qui vivent dans la mer. Dans une scène particulièrement soignée, un banc de « grégoires », des animaux marins qui tiennent de la raie et de l’orque, est observé ; puis il fait nuit, on se doute que la mantrisse est présente ou se manifeste invisiblement. La zone est éclairée brièvement ; on aperçoit les grégoires empilés dans l’air, bougeant dans tous les sens, et puis plus rien. La mantrisse est-elle ces animaux ? Les a-t-elle mangés ? Le lendemain, il n’y a plus un grégoire en vue.
Plus loin, la mantrisse elle-même apparaît, au terme d’un passage éloquent. Sur une pleine page, une tête qui évoque un cétacé sort de la mer. Elle est immense, haute comme dix ou vingt fois le bateau dans lequel se trouvent les héros. Elle reste muette, mais le dessin traduit bien que c’est un être pensant ; le visage est grave, ennuyé, impénétrable ; puis rien ne se passe et la mantrisse disparaît.
Autre grande impression visuelle : l’araignée géante du tome 5, qui apparaît en noir sur fond de ciel nocturne.
En de nombreux endroits, Leo découpe sa planche originalement, de façon à renforcer son propos. C’est le cas du tout début, où trois trips sur toute la largeur font un zoom sur un nestor agonisant qui sort de la mer. 1er strip : la mer, des vagues. « La catastrophe avait été précédée de plusieurs signes avant-coureurs ». 2ème strip : le nestor se hisse avec ses bras hors de la mer. « … que malheureusement nous ne sûmes pas interpréter ». 3ème strip : gros plan sur la gueule du nestor, qui pousse un cri que l’on devine d’agonie. Puis on le voit (gros strip un peu plus large, vue en plongée) se hisser sur la plage ; et l’on coupe vers l’école où se trouve Kim. Voilà une manière efficace de rentrer dans le sujet.
Grâce donc à son imagination, à ses talents de conteur, Leo a su, au fil de ces cinq volumes, raconter une histoire, camper des personnages, et en somme rendre crédible tout un monde imaginaire. Les aventures vécues stimulent la curiosité du lecteur et l’emportent d’un bout à l’autre des cinq albums avec un intérêt renouvelé.
Un site complet sur la série