Absent pendant plusieurs semaines, je n’ai guère eu le temps de préparer des articles. Je projette d’en diffuser deux sous peu sur un thème que la théologie pseudo-rationaliste et négatrice du mystère a voulu reléguer dans le cimetière des vieilles croyances moyenâgeuses : celui de la préexistence des créatures en Dieu. Vous savez ma passion pour le moyen-âge chrétien et mon mépris pour ses contempteurs. J’ai donc décidé d’accorder à ce thème une place de choix dans les premières semaines. Dans de précédents articles j’ai montré que, jusqu'au quatorzième siècle, la traduction usuelle du quatrième verset du prologue johannique était la suivante : «Ce qui a été fait/en lui était vie. Et la vie était la lumière des hommes» (voir par exemple la traduction de l’Evangile selon saint Jean commenté par saint Thomas d’Aquin, aux Ed. du Cerf). On la retrouve quasiment inchangée chez tous les grands témoins de la tradition, depuis les Pères jusqu’aux mystiques rhénans. Les plus anciens manuscrits des Evangiles ne comportaient pas de ponctuation. Fait remarquable : c’est la traduction la moins évidente pour les modernes qui s’est imposée à tous les Pères de l’Eglise, aux théologiens médiévaux, aux béguines du XIIIe siècle, à Maître Eckhart, celle qui présuppose la doctrine de la préexistence. Voici un passage de la Somme contre le Gentils (IV, 13) qui expose avec clarté cette doctrine de la préexistence des choses (en tant qu’idée, archétype) dans la pensée divine : «Il faut remarquer qu’une chose faite par un intellect préexiste dans la notion qui est pensée avant d’exister également en elle-même : la maison est en effet dans la notion de l’artisan avant d’être conduite à l’acte. Or le Verbe de Dieu, c’est la notion de toutes choses faites par Dieu. Toutes ces choses doivent donc avoir préexisté dans le Verbe de Dieu avant d’exister également en leur nature propre… Les choses faites par Dieu ont dû préexister dans le Verbe de Dieu de toute éternité, de manière immatérielle, sans aucune composition… C’est pour cette raison que Jean écrit : “Tout ce qui a été fait était vie en lui”»
Ce verset de saint Jean cité par Thomas d’Aquin a inspiré à Frank-Duquesne de beaux morceaux d’exégèse. Boulgakov ne fait pas référence à cette traduction (du moins d’après les lectures que j’ai pu faire de ses ouvrages) mais son anthropologie sophiologique se rattache à la doctrine de la préexistence. Comme il le note dans sa Philosophie de l’économie, «la doctrine de la préexistence de l’homme en Dieu et de sa création dans la liberté est à la base même de la philosophie chrétienne. Elle se fait jour dans le monde antique, chez Platon ; elle acquiert une grande netteté chez Plotin. Selon la conception chrétienne, elle est clairement exprimée par Origène, saint Grégoire de Nysse, saint Maxime le confesseur, l’Aréopagite, Jean Scot Erigène, par la théologie mystique de Jacob Boehme et de Franz Baader. Dans la philosophie moderne, elle a surtout été développée par Schelling ; Soloviev la rejoint à cet égard. Kant, lui-même, malgré son rationalisme, se rapproche de cette doctrine par sa théorie de la liberté intelligible de la volonté».
De nombreuses autres références pourraient être mentionnées. Dans sa thèse intitulée La mystique de Ruysbroeck l’Admirable (1928), Melline d’Asbeck a consacré un chapitre à citer les grands témoignages des quatorze premiers siècles en faveur de cette idée. J’ai de mon côté rassemblé une vaste documentation sur ce thème. Au vingtième siècle, Boulgakov, Frank-Duquesne, Edith Stein, Louis Bouyer et Jacques Maritain dans Approches de Dieu, et plus près de nous encore, le philosophe Stanislas Breton, ont apporté une contribution décisive à l’approfondissement de cette doctrine qui ressortit tout à la fois à la philosophie, la théologie et à la mystique.
Ce verset de saint Jean cité par Thomas d’Aquin a inspiré à Frank-Duquesne de beaux morceaux d’exégèse. Boulgakov ne fait pas référence à cette traduction (du moins d’après les lectures que j’ai pu faire de ses ouvrages) mais son anthropologie sophiologique se rattache à la doctrine de la préexistence. Comme il le note dans sa Philosophie de l’économie, «la doctrine de la préexistence de l’homme en Dieu et de sa création dans la liberté est à la base même de la philosophie chrétienne. Elle se fait jour dans le monde antique, chez Platon ; elle acquiert une grande netteté chez Plotin. Selon la conception chrétienne, elle est clairement exprimée par Origène, saint Grégoire de Nysse, saint Maxime le confesseur, l’Aréopagite, Jean Scot Erigène, par la théologie mystique de Jacob Boehme et de Franz Baader. Dans la philosophie moderne, elle a surtout été développée par Schelling ; Soloviev la rejoint à cet égard. Kant, lui-même, malgré son rationalisme, se rapproche de cette doctrine par sa théorie de la liberté intelligible de la volonté».
De nombreuses autres références pourraient être mentionnées. Dans sa thèse intitulée La mystique de Ruysbroeck l’Admirable (1928), Melline d’Asbeck a consacré un chapitre à citer les grands témoignages des quatorze premiers siècles en faveur de cette idée. J’ai de mon côté rassemblé une vaste documentation sur ce thème. Au vingtième siècle, Boulgakov, Frank-Duquesne, Edith Stein, Louis Bouyer et Jacques Maritain dans Approches de Dieu, et plus près de nous encore, le philosophe Stanislas Breton, ont apporté une contribution décisive à l’approfondissement de cette doctrine qui ressortit tout à la fois à la philosophie, la théologie et à la mystique.