Nissa la bella (Le Projet Fedorov, épisode 12)



Nissa la bella (Le Projet Fedorov, épisode 12)
La Grande Mue s’est déjà produite. Le monde a été configuré à la mesure de la techno-science dominatrice. Voici maintenant arrivé le moment cyborg de l’humanité. Ce moment où l’on peut s’éprendre d’une jeune femme neuroprogrammée, s’assoir avec elle à une terrasse au bord de mer, les yeux fixés sur la traînée d’or laissée dans le ciel par les navettes filant vers Alpha du Centaure.

Nicolas S est resté plusieurs jours sans voir Laura. Il préparait son départ. Il préparait sa fuite. Inquiète de son silence, la Sœur de la Charité est venue lui rendre visite. Elle fait partie des rares personnes à connaître son adresse, avec l’instructeur des Chevaliers de Colomb et un Cardinal de la Curie romaine. C’est lui qui a mis à sa disposition le petit studio meublé qu’il occupe depuis plusieurs semaines. Nicolas S a déposé boissons et gâteaux sur la petite table au milieu de la pièce, une Digitable avec projecteur holographique intégré. Sœur Agnès s’est assise et a pianoté quelques mots sur le clavier virtuel. Soudainement une image est apparue au milieu de la pièce et des pages internet ont commencé à défiler sur le mur en face. Une grande image en 3D du fils Daudet surnommé le gros Léon à son époque, et des informations ayant trait à un phénomène courant de l’activité mentale : le rêve éveillé. Elle a downloadé une œuvre de Daudet, surligné quelques passages avant de les rétroprojeter sur différents pans du mur.
- Qu’est-ce que le rêve, Nicolas ? Vous allez peut-être me répondre qu’il s’agit d’un attribut du sommeil. Eh bien pas seulement car le rêve, comme l’explique notre auteur, est sans cesse mêlé à notre vie courante, même éveillée. Chez chacun de nous le rêve éveillé existe à l'état presque constant. Je le cite : il est «un passage continuel, à l'horizon mental, de lambeaux de souvenirs, d'images de toute sorte, elles-mêmes fragments de personnes héréditaires». Vous faites le rapprochement avec Laura ?
- Je crois. Elle souffre d’une forme mutante du rêve éveillé, provoquée par la technique de la refabrication mémorielle. L’hérédité et la neuroprogramnation mettent en œuvre les mêmes mécanismes psychiques.
- Oui mais ne séparez pas les deux processus. Que Laura ait été conçue naturellement ou artificiellement importe peu. Megan Garner reste sa mère.
- Une mère dévoratrice, devriez-vous ajouter. Sa mère porteuse a loué son ventre, certes. Mais elle l’a portée dans sa chair pendant tout le temps de la grossesse. Elle ne la connaitra jamais. L’autre…
- Nous n’avons aucune information sur la conception de Laura. Il vaut mieux ne rien savoir. N’abordez jamais ce sujet avec elle. Megan Garner est sa mère. C’est la seule certitude à laquelle nous devons nous accrocher.
Surpris par le ton sec et sévère de Sœur Agnès, Nicolas S est resté quelques instants silencieux. Puis il a lu à voix basse quelques passages des textes projetés sur le mur… Notre mémoire est hantée par le spectre de nos ancêtresUn ou plusieurs fantômes se superposent à notre personnalité et nous entraînent dans des directions que nous n’avons pas choisies, qui nous répugnentLa volonté peut modifier les phénomènes héréditaires, en agissant sur les images intérieures. Sœur Agnès l’a alors interrompu :
- Vous comprenez pourquoi il fallait intervenir très vite avec Laura et empêcher que le fantôme de l’actrice américaine ne prît le contrôle d’elle-même. Son atout maître, c’est sa force de volonté. Elle a toujours cherché à repousser les souvenirs et les images reliés à sa mémoire truquée. Car aucune contrainte, aucune technologie ne pourra jamais annihiler cette part libre et intransmissible de la personnalité, que Daudet appelle le soi, sorte de régulateur du rêve éveillé. Laura était prête au combat, depuis le commencement. Je l’ai seulement accompagnée. Et c’est à votre tour maintenant de l’aider.
- Comment… comment ça ?
- Vous l’aiderez et elle vous aidera.
- Mais mon départ est proche, je vais partir…. Elle ne pourra pas…
Sœur Agnès s’est tue quelques instants.
- Mon cher Nicolas, je crois qu’une petite pause ne serait pas superflue. Et si nous sortions un peu ? Allons nous balader sur la Promenade des Anglais.
- Malgré toutes les caméras de surveillance ? Vous savez bien que…
- Le meilleur moyen de sa cacher c’est encore de se fondre dans la foule, de faire comme tout le monde. Quant aux caméras… si vous saviez…
Nicolas S n’a pas compris le sens de ses paroles. A force d’insistance elle a fini par le convaincre de l’accompagner. Sa première sortie sur la Promenade...
Nissa la bella, à jamais associée à Laura. Il partira et ne les reverra peut-être plus. La Ville, sa Baie des Anges et la jeune femme programmée. Ils ont marché. Sont-ce les caméras qui l’ont repéré ou lui qui les a repérées ? Il n’aurait su le dire. Elles sont partout. Cameras rotatives Gear 360, à peine visibles sur les palmiers ou bien en vue de tous sur des pylônes, tous les 50 mètres. Cameras bulles sur les façades des immeubles rescapés de la Belle Époque. Il a regardé avec fascination le ballet des drones survolant la Promenade, avec nanocaméras embarquées. C’est dangereux mais c’est beau s’est-il dit. Ils ont croisé des rocketskaters, des robocops, d’étranges anibots chargés du nettoyage de l’avenue et des plages, d’innombrables vacanciers qui n’ont pas changé de look depuis des décennies : style Quicksilver ou Bikini.
………....
Sœur Agnès ralentit le pas depuis quelques minutes. Ils ont longé le Palais de la Méditerranée et se dirigent vers la Colline du Château. Au milieu du Quai des États-Unis elle s’arrête soudainement.
- Voilà, nous allons nous quitter. Laura nous attend, près de la plage du Castel. Elle est assise sur une chaise, voyez là-bas, sur une de ces chaises bleues niçoises qui sont un peu le symbole de la Promenade. Vous allez l’inviter au restaurant, sur la plage ou dans la vielle ville. Nos chemins se séparent maintenant, vous comprenez ?
Elle lui prend la main et la tient quelques instants. Puis elle s’éloigne, en direction de l’Église du Vœu. Que faire alors ? Nicolas S hésite à rebrousser chemin. Elle est là-bas, la jeune femme programmée. Sa silhouette se précise à mesure qu’il s’approche. Sa couleur de peau est celle de l’ambre ensoleillée. Elle porte un short bleu clair et un léger débardeur. Elle est brune et elle est belle…


02/09/2016
Sombreval





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