Un disciple de Nietzsche, pourvu qu'il occulte certains thèmes fâcheux, a de bonnes chances de jouir d'une large audience. Il n'est que de constater les succès de librairie de notre nietzschéen national, Michel Onfray. Son vitalisme libertin, son «matérialisme sensualiste», son «utilitarisme jubilatoire» font fureur. Ce philosophe qui se réclame de Stirner et de Nietzsche et se présente comme un «Nietzschéen de gauche» (si, si, ça existe), condamne dans son nouvel essai «cette démiurgie des temps modernes» qu'est la biologie. Le Nietzschéisme à la carte a aussi ses fervents. La vie, du coup, n'hésite pas à lui faire un petit coup de pub. Peu importe son aversion du christianisme, qu'il étale misérablement dans tous ses bouquins ( le désir d'être un volcan (sic) et autres), l'important c'est son hostilité à l'eugénisme. Le magazine met en exergue dans son dossier sur le clonage cette perle du philosophe, qui va ravir ses étudiants de terminale (l'opposition basique nature / culture ) : «Il n'y a pas que la nature pour faire un homme. Il y a la culture. Nous ne sommes pas réductibles à du matériel génétique...».
Le journaliste sollicite donc la bonne parole de notre penseur libertaire : «On pourrait d'ailleurs remonter bien au-delà de ces vingt dernières années pour inscrire le clonage dans l'histoire de nos folies. Le philosophe Michel Onfray , qui rédige un livre, «Féeries anatomiques, généalogiques du corps faustien» (sic), à paraître prochainement chez Grasset, rappelle «ces vieux mythes de la créature artificielle, Prométhée, Faust, Frankenstein». L'homme fut de tout temps tenté d'en découdre avec les mystères de la création, de triompher de la fatalité biologique, de devenir maître de la vie. Et, le clonage est à cet égard, une fantastique éprouvette magique...(La vie, 3 janvier 2003, p.44)».
Signalons au passage que pour La vie, le clonage constitue avant tout une régression. Ce n'est pas un crime contre Dieu, mais contre l'Evolution : «Voilà un milliard d'années, l'Evolution inventait la sexualité (!!!!). Depuis pour faire un enfant il faut une mère, un père...et le hasard. Ce dernier préside à la loterie de la recombinaison des gênes fournis pour moitié par chacun des parents. Une fantastique machine à créer de la diversité, sans laquelle l'espèce humaine n'aurait jamais émergé et conquis la planète. Vouloir cloner l'homme, c'est donc, biologiquement parlant, faire un bond en arrière de dix millions de siècle et réduire notre espèce au niveau des coraux, des éponges et des méduses, qui eux, continuent de se reproduire selon l'ordre ancien de la scissiparité».
Nietzsche, athée conséquent, misait au contraire sur la science, les progrès de la biologie, pour éliminer l'homme grégaire et favoriser l'avènement du Surhomme. Sachant que le clonage humain est une forme d'eugénisme qui peut tendre à l'organisation de la sélection des personnes, Nietzsche l'aurait bien entendu préconisé.
Onfray, ce pourfendeur du grégarisme, du social, du communautaire, et nietzschéen de foire, verse lui dans le biologiquement correct. Sa «transvaluation de toutes les valeurs» accouche d'un pseudo-libertinage à l'usage des lycéens, d'un plaidoyer pour un «érotisme solaire», d'une «théorie du corps amoureux» (sic). Piètre nietzschéen ! Farceur !
Bernard Edelman, dans son essai sur Nietzsche, souligne la cohérence de sa conception de l'être biologique : «Ainsi pour Nietzsche tout est «biologique», la conscience , la morale, les valeurs, la raison. Il n'existe rien en dehors des conditions de survie et d'accroissement de tel groupe humain. Mais cette «biologie» est immédiatement « politique » puisqu'elle s'organise en signes, en institutions, en système moral et religieux. Dès lors une politique matérialiste devra prendre parti : soit elle perpétuera l'illusion d'une conscience falsificatrice, et l'humanité se perdra corps et bien dans le nihilisme, soit elle militera en faveur d'un réalisme biologique, et se «constituera» en réalisme biologique. C'est ce que Nietzsche entend par transvaluation de toutes les valeurs. Bref ou l'homme chrétien et ses succédanés - la démocratie, la «solidarité», le grégarisme ou le libéralisme - ou bien une organisation nouvelle de la société. On a haï Nietzsche d'avoir pensé cela; on l'a vilipendé d'avoir anticipé l'eugénisme et critiqué l'hypocrisie des valeurs démocratiques. En fait on lui a reproché sa cohérence, c'est à dire d'avoir déduit toutes les conséquences sociales, politiques, morales de l'homme «biologique». Et il est de fait que nous autres, bons démocrates, nous ne procédons pas aussi brutalement : nous respectons les valeurs des droits de l'homme. Seulement sous l'égalité, nous oeuvrons en faveur de l'inégalité ; sous l'alibi d'une science au service de l'humanité, nous introduisons subrepticement l'eugénisme ; sous le couvert d'une «bioéthique» chargée d'instaurer les limites de la biologie , nous lui ouvrons tout l'espace. Nous autres, bons démocrates, nous sommes formalistes, ce qui nous donne bonne conscience» ( Bernard Edelman, Nietzsche, Un continent perdu, PUF, 1999, p. 14 )
Plus loin, dans un chapitre sur le surhomme et l'évolution, l'auteur expose la vision de Nietzsche sur l' «Homme futur». Elle fait froid dans le dos : «Si on se contentait de l'apparition quasi-miraculeuse d'un Grand Homme qui surviendrait , de temps à autre, d'un siècle à l'autre, et traverserait le ciel tel un météorite, pour sombrer dans la nuit, aucun avenir délibéré ne serait possible : les hommes, de-ci, de-là, seraient éclairés d'une lumière éblouissante et retomberaient bien vite dans leur médiocrité. Rien de stable, rien de durable n'adviendrait jamais : le grégarisme emporterait tout sur son passage, le nihilisme s'étendrait comme une marée noire, et l'humanité pourrait disparaître dans l'inexpiable dégoût d'elle-même.
Or, aujourd'hui, au point où nous en sommes arrivés, après tant et tant d'épreuves, tant et tant de désillusions, autre chose est peut-être possible. «Ne serait-il pas temps, vu le développement auquel est arrivé le type de l' «homme grégaire» en Europe, de tenter la sélection méthodique, artificielle et consciente du type opposé ? ( La volonté de puissance, IV, §303 )». En d'autres termes, ne serait-il point temps de rendre active la volonté de puissance, d'abandonner la volonté de néant, de prendre en main notre propre évolution et de contraindre la nature à accoucher d'un nouveau projet, à jouer pour nous et non contre nous ? C'est donc une nouvelle perspective de l'évolution que nous serions amenés à mettre en œuvre. [...] L'objectif sera donc le suivant : constituer à l'échelle de l'humanité, les conditions qui ont permis l'apparition des Grands Hommes ; ne plus compter sur le «hasard», sur le fait que des «mémoires» spéciales, raffinées, sélectionnées de générations en générations, se sont «miraculeusement» condensées sur un seul ; tout au contraire, accumuler les forces, méthodiquement, scientifiquement, pour créer une autre «race» [...] Tout d'abord il ne faut pas craindre de se conduire comme l'évolution s'est elle même conduite, c'est à dire tout essayer, tout tenter, produire des sortes de «prototypes» qu'on n'hésitera pas à jeter au rebut. L'évolution, dit-on, «bricole», et il ne faut pas hésiter à «bricoler»; ou mieux encore on procèdera à la manière de l'artiste qui ne cesse de tâtonner, qui dessine ébauche sur ébauche avant de parvenir à une forme convenable. On essaiera donc de « modeler l'homme en divers sens, pour tirer de lui ses diverses virtualités, le briser dès qu'un certain type a atteint son apogée, de travailler ainsi à construire et à détruire» (VP,IV,§144) » [...] On se gardera donc, tout comme l'évolution, de toute sensiblerie, de tout jugement porté en termes de «bon» ou de «mauvais», de toute pitié mal placée, de toute commisération. On sera totalement, radicalement «immoral», car on sait bien où mène la moralité» : «Premier principe : être capable de sacrifier des êtres innombrables, afin d'en tirer un profit quelconque pour l'humanité (VP, IV, §197)». [...] C'est donc cela agir avec l'évolution, contre l'évolution : d'un côté aller plus vite qu'elle, l'anticiper, la rationaliser, devancer « l'extraordinaire lenteur du processus de sélection et montrer d'avance ce que serait l'homme parvenu à son but (VP, IV, 470 )»
( Bernard Edelman, Nietzsche, un continent perdu, p.320 ).
Le journaliste sollicite donc la bonne parole de notre penseur libertaire : «On pourrait d'ailleurs remonter bien au-delà de ces vingt dernières années pour inscrire le clonage dans l'histoire de nos folies. Le philosophe Michel Onfray , qui rédige un livre, «Féeries anatomiques, généalogiques du corps faustien» (sic), à paraître prochainement chez Grasset, rappelle «ces vieux mythes de la créature artificielle, Prométhée, Faust, Frankenstein». L'homme fut de tout temps tenté d'en découdre avec les mystères de la création, de triompher de la fatalité biologique, de devenir maître de la vie. Et, le clonage est à cet égard, une fantastique éprouvette magique...(La vie, 3 janvier 2003, p.44)».
Signalons au passage que pour La vie, le clonage constitue avant tout une régression. Ce n'est pas un crime contre Dieu, mais contre l'Evolution : «Voilà un milliard d'années, l'Evolution inventait la sexualité (!!!!). Depuis pour faire un enfant il faut une mère, un père...et le hasard. Ce dernier préside à la loterie de la recombinaison des gênes fournis pour moitié par chacun des parents. Une fantastique machine à créer de la diversité, sans laquelle l'espèce humaine n'aurait jamais émergé et conquis la planète. Vouloir cloner l'homme, c'est donc, biologiquement parlant, faire un bond en arrière de dix millions de siècle et réduire notre espèce au niveau des coraux, des éponges et des méduses, qui eux, continuent de se reproduire selon l'ordre ancien de la scissiparité».
Nietzsche, athée conséquent, misait au contraire sur la science, les progrès de la biologie, pour éliminer l'homme grégaire et favoriser l'avènement du Surhomme. Sachant que le clonage humain est une forme d'eugénisme qui peut tendre à l'organisation de la sélection des personnes, Nietzsche l'aurait bien entendu préconisé.
Onfray, ce pourfendeur du grégarisme, du social, du communautaire, et nietzschéen de foire, verse lui dans le biologiquement correct. Sa «transvaluation de toutes les valeurs» accouche d'un pseudo-libertinage à l'usage des lycéens, d'un plaidoyer pour un «érotisme solaire», d'une «théorie du corps amoureux» (sic). Piètre nietzschéen ! Farceur !
Bernard Edelman, dans son essai sur Nietzsche, souligne la cohérence de sa conception de l'être biologique : «Ainsi pour Nietzsche tout est «biologique», la conscience , la morale, les valeurs, la raison. Il n'existe rien en dehors des conditions de survie et d'accroissement de tel groupe humain. Mais cette «biologie» est immédiatement « politique » puisqu'elle s'organise en signes, en institutions, en système moral et religieux. Dès lors une politique matérialiste devra prendre parti : soit elle perpétuera l'illusion d'une conscience falsificatrice, et l'humanité se perdra corps et bien dans le nihilisme, soit elle militera en faveur d'un réalisme biologique, et se «constituera» en réalisme biologique. C'est ce que Nietzsche entend par transvaluation de toutes les valeurs. Bref ou l'homme chrétien et ses succédanés - la démocratie, la «solidarité», le grégarisme ou le libéralisme - ou bien une organisation nouvelle de la société. On a haï Nietzsche d'avoir pensé cela; on l'a vilipendé d'avoir anticipé l'eugénisme et critiqué l'hypocrisie des valeurs démocratiques. En fait on lui a reproché sa cohérence, c'est à dire d'avoir déduit toutes les conséquences sociales, politiques, morales de l'homme «biologique». Et il est de fait que nous autres, bons démocrates, nous ne procédons pas aussi brutalement : nous respectons les valeurs des droits de l'homme. Seulement sous l'égalité, nous oeuvrons en faveur de l'inégalité ; sous l'alibi d'une science au service de l'humanité, nous introduisons subrepticement l'eugénisme ; sous le couvert d'une «bioéthique» chargée d'instaurer les limites de la biologie , nous lui ouvrons tout l'espace. Nous autres, bons démocrates, nous sommes formalistes, ce qui nous donne bonne conscience» ( Bernard Edelman, Nietzsche, Un continent perdu, PUF, 1999, p. 14 )
Plus loin, dans un chapitre sur le surhomme et l'évolution, l'auteur expose la vision de Nietzsche sur l' «Homme futur». Elle fait froid dans le dos : «Si on se contentait de l'apparition quasi-miraculeuse d'un Grand Homme qui surviendrait , de temps à autre, d'un siècle à l'autre, et traverserait le ciel tel un météorite, pour sombrer dans la nuit, aucun avenir délibéré ne serait possible : les hommes, de-ci, de-là, seraient éclairés d'une lumière éblouissante et retomberaient bien vite dans leur médiocrité. Rien de stable, rien de durable n'adviendrait jamais : le grégarisme emporterait tout sur son passage, le nihilisme s'étendrait comme une marée noire, et l'humanité pourrait disparaître dans l'inexpiable dégoût d'elle-même.
Or, aujourd'hui, au point où nous en sommes arrivés, après tant et tant d'épreuves, tant et tant de désillusions, autre chose est peut-être possible. «Ne serait-il pas temps, vu le développement auquel est arrivé le type de l' «homme grégaire» en Europe, de tenter la sélection méthodique, artificielle et consciente du type opposé ? ( La volonté de puissance, IV, §303 )». En d'autres termes, ne serait-il point temps de rendre active la volonté de puissance, d'abandonner la volonté de néant, de prendre en main notre propre évolution et de contraindre la nature à accoucher d'un nouveau projet, à jouer pour nous et non contre nous ? C'est donc une nouvelle perspective de l'évolution que nous serions amenés à mettre en œuvre. [...] L'objectif sera donc le suivant : constituer à l'échelle de l'humanité, les conditions qui ont permis l'apparition des Grands Hommes ; ne plus compter sur le «hasard», sur le fait que des «mémoires» spéciales, raffinées, sélectionnées de générations en générations, se sont «miraculeusement» condensées sur un seul ; tout au contraire, accumuler les forces, méthodiquement, scientifiquement, pour créer une autre «race» [...] Tout d'abord il ne faut pas craindre de se conduire comme l'évolution s'est elle même conduite, c'est à dire tout essayer, tout tenter, produire des sortes de «prototypes» qu'on n'hésitera pas à jeter au rebut. L'évolution, dit-on, «bricole», et il ne faut pas hésiter à «bricoler»; ou mieux encore on procèdera à la manière de l'artiste qui ne cesse de tâtonner, qui dessine ébauche sur ébauche avant de parvenir à une forme convenable. On essaiera donc de « modeler l'homme en divers sens, pour tirer de lui ses diverses virtualités, le briser dès qu'un certain type a atteint son apogée, de travailler ainsi à construire et à détruire» (VP,IV,§144) » [...] On se gardera donc, tout comme l'évolution, de toute sensiblerie, de tout jugement porté en termes de «bon» ou de «mauvais», de toute pitié mal placée, de toute commisération. On sera totalement, radicalement «immoral», car on sait bien où mène la moralité» : «Premier principe : être capable de sacrifier des êtres innombrables, afin d'en tirer un profit quelconque pour l'humanité (VP, IV, §197)». [...] C'est donc cela agir avec l'évolution, contre l'évolution : d'un côté aller plus vite qu'elle, l'anticiper, la rationaliser, devancer « l'extraordinaire lenteur du processus de sélection et montrer d'avance ce que serait l'homme parvenu à son but (VP, IV, 470 )»
( Bernard Edelman, Nietzsche, un continent perdu, p.320 ).