Lors de son voyage apostolique aux Etats-Unis, le pape Benoît XVI a rappelé aux évêques américains qu'il restait «encore beaucoup à faire pour réaliser la vision conciliaire de la liturgie comme exercice du sacerdoce commun». Cette notion de sacerdoce commun, comme celle, corrélative, de «participatio actuosa», de participation active des fidèles à l’action liturgique, a été l’objet depuis la fin du Concile Vatican II de nombreuses mésinterprétations.
Les traditionalistes les plus conservateurs estiment qu’elle a engendré une confusion entre le sacerdoce ministériel propre aux prêtres ordonnés et celui que partagent tous les fidèles baptisés. Pour l’abbé de La Rocque, de la Fraternité Saint Pie X, «un vent de lutte des classes a soufflé sur l’Église des années soixante» (sic), favorisé par cette nouvelle théologie du laïcat promue par les textes conciliaires. Elle serait à l’origine de cette laïcisation du clergé et cette cléricalisation des laïcs dénoncées récemment par le Cardinal Arinze.
Au cours de mes recherches sur Frank-Duquesne, j’ai retrouvé un texte de l’écrivain catholique, publié en 1954, consacré à l’examen du rôle du laïcat dans l’Eglise. La thèse du sacerdoce royal des fidèles, d’origine néo-testamentaire, y donne lieu à de nombreux développements.
Voici le texte en format PDF : Le rôle du laïcat
Cet article est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord il s’agit d’une recension d’un ouvrage du Chanoine Gérard Philips (1898-1972), intitulé : Le Rôle du Laïcat dans l'Eglise (1954). Gerard Philips, en tant que secrétaire adjoint de la Commission théologique de Vatican II, fut un des experts ayant le plus largement contribué à la rédaction de Lumen Gentium. Jan Grootaers, dans Actes et Acteurs du Concile Vatican II a consacré une quarantaine de pages à l’œuvre de Philips au Concile : «L’apport personnel du professeur Philips, écrit-il, aux mouvements des idées créatrices qui apportèrent à Vatican II leur force de renouveau se retrouvera dans les questions ayant trait au laïcat et à l’apostolat des laïcs. Ce ne fut pas seulement un thème important dans Lumen Gentium, mais cela constitue en réalité un des axes de l’ensemble des textes conciliaires […] Ses écrits, tout comme sa participation active aux congrès mondiaux pour l’apostolat des laïcs à Rome (1951-1957) ont largement préparé les travaux du Concile et contribué à la maturation des courants d’idées conciliaires». On notera que Frank-Duquesne, après avoir rappelé la nécessité pour l’Eglise Catholique de s’ouvrir aux laïcs, souvent retranchés dans une piété individualiste, spectateurs d’une liturgie devenue le monopole des clercs, peu formés (et qui, partant, confondent souvent apostolat et activisme), tenus à l’écart de certains secteurs de la vie ecclésiale : enseignement, formation (mon expérience m’indique que nombre de prêtres gagneraient à être formés par certains laïcs, parfois plus compétents sur certaines matières, même théologiques…), l’écrivain donc s’attache à définir la notion de «sacerdoce universel des fidèles» sur laquelle s’appuie sa démonstration et celle de Gerard Philips. C’est surtout dans la participation à la divine liturgie que s’exerce pleinement ce sacerdoce d’ordre spirituel, ce spirituale sacerdotium, pour employer une expression de saint Thomas d’Aquin qui l’applique aux fidèles, à l’ensemble des chrétiens régénérés par le Baptême. Il ne s’agit pas d’abord d’une participation circonscrite au cérémonial proprement dit comme nos néo-liturges cherchent à s’en persuader, mais à l’action liturgique, au chef-d’œuvre de la Rédemption, rendu présent devant nous à chaque fois qu’une messe est célébrée. Cette participation est d’autant plus profonde et intense qu’elle est silencieuse (ou discrète quand on récite le Confiteor ou le Credo), en dehors bien entendu des moments où le fidèle doit ratifier la prière du prêtre. Frank-Duquesne nous rappelle qu’au temps de saint Jérôme, la foule, à deux moments de la Messe, «poussait de véritables rugissements : au dialogue précédant la Préface, et au per omnia saecula terminant le Canon par un acquiescement collectif ». Aujourd’hui nos néo-liturges croient que la participation du fidèle à la messe se mesure à sa capacité à donner de la voix, à pousser des beuglements à chaque fois que foule entonne un cantique vaseux (tendance qui se rencontre aussi chez les tradis qui, à mon avis, ne verraient pas d’un mauvais œil la substitution au Credo d'un bon vieux «Catholique et Français, toujours» ou «Vers Chartres nous marchons» ou «Trône et Autel nous unirons»).
La liturgie, «source et sommet» de la vie chrétienne, requiert donc une «participation active, pleine, consciente» dont l’efficace est avant tout d’ordre spirituel. C’est ce que rappellera Jean-Paul II dans son encyclique, Ecclesia De Eucharistia : «En donnant son sacrifice à l'Église, le Christ a voulu également faire sien le sacrifice spirituel de l'Église, appelée à s'offrir aussi elle-même en même temps que le sacrifice du Christ. Tel est l'enseignement du Concile Vatican II concernant tous les fidèles: “Participant au Sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, ils offrent à Dieu la victime divine, et s'offrent eux-mêmes avec elle”».
On ne peut également se dispenser d’une participation corporelle à l’office de la messe, reflet de la «liturgie céleste», d’En-Haut, «qui se célèbre dans la sainte cité de Jérusalem… où le Christ siège à la droite de Dieu, comme ministre du sanctuaire et du vrai tabernacle» (Sacrosanctum Concilium, §8). De là l’importance des agenouillements dédaignés par tous ceux qui considèrent la messe comme une sorte d’auto-célébration communautaire, sans perspective transcendante. Comme l’écrit Nicolas Bux, dans un article de la revue Catholica, «sans la conscience d’être rendus participants il n’y pas de participation liturgique. A la participation appartient de façon éminente le fait de s’agenouiller ou de s’incliner profondément, principale attitude d’adoration, qui unit entre autres les catholiques aux orthodoxes mais aussi aux juifs et aux musulmans. Cela signifie revenir à la Bible, où l’agenouillement a une importance centrale : rien que dans le Nouveau Testament, il apparaît 59 fois, dont 24 dans l’Apocalypse, ce livre de la liturgie céleste qui est présenté à l’Eglise comme modèle et critère pour la liturgie terrestre. Enfin il faut éliminer les applaudissements qui assimilent et rabaissent la liturgie au niveau d’une sorte de divertissement d’inspiration religieuse ». Revenir à la Bible, c’est d’ailleurs ce qu’entreprend Frank-Duquesne dont les aperçus sur la liturgie céleste se fondent sur une exégèse rigoureuse et profonde de l’épître aux Hébreux et de l’Apocalypse…
J’y reviendrai…
Les traditionalistes les plus conservateurs estiment qu’elle a engendré une confusion entre le sacerdoce ministériel propre aux prêtres ordonnés et celui que partagent tous les fidèles baptisés. Pour l’abbé de La Rocque, de la Fraternité Saint Pie X, «un vent de lutte des classes a soufflé sur l’Église des années soixante» (sic), favorisé par cette nouvelle théologie du laïcat promue par les textes conciliaires. Elle serait à l’origine de cette laïcisation du clergé et cette cléricalisation des laïcs dénoncées récemment par le Cardinal Arinze.
Au cours de mes recherches sur Frank-Duquesne, j’ai retrouvé un texte de l’écrivain catholique, publié en 1954, consacré à l’examen du rôle du laïcat dans l’Eglise. La thèse du sacerdoce royal des fidèles, d’origine néo-testamentaire, y donne lieu à de nombreux développements.
Voici le texte en format PDF : Le rôle du laïcat
Cet article est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord il s’agit d’une recension d’un ouvrage du Chanoine Gérard Philips (1898-1972), intitulé : Le Rôle du Laïcat dans l'Eglise (1954). Gerard Philips, en tant que secrétaire adjoint de la Commission théologique de Vatican II, fut un des experts ayant le plus largement contribué à la rédaction de Lumen Gentium. Jan Grootaers, dans Actes et Acteurs du Concile Vatican II a consacré une quarantaine de pages à l’œuvre de Philips au Concile : «L’apport personnel du professeur Philips, écrit-il, aux mouvements des idées créatrices qui apportèrent à Vatican II leur force de renouveau se retrouvera dans les questions ayant trait au laïcat et à l’apostolat des laïcs. Ce ne fut pas seulement un thème important dans Lumen Gentium, mais cela constitue en réalité un des axes de l’ensemble des textes conciliaires […] Ses écrits, tout comme sa participation active aux congrès mondiaux pour l’apostolat des laïcs à Rome (1951-1957) ont largement préparé les travaux du Concile et contribué à la maturation des courants d’idées conciliaires». On notera que Frank-Duquesne, après avoir rappelé la nécessité pour l’Eglise Catholique de s’ouvrir aux laïcs, souvent retranchés dans une piété individualiste, spectateurs d’une liturgie devenue le monopole des clercs, peu formés (et qui, partant, confondent souvent apostolat et activisme), tenus à l’écart de certains secteurs de la vie ecclésiale : enseignement, formation (mon expérience m’indique que nombre de prêtres gagneraient à être formés par certains laïcs, parfois plus compétents sur certaines matières, même théologiques…), l’écrivain donc s’attache à définir la notion de «sacerdoce universel des fidèles» sur laquelle s’appuie sa démonstration et celle de Gerard Philips. C’est surtout dans la participation à la divine liturgie que s’exerce pleinement ce sacerdoce d’ordre spirituel, ce spirituale sacerdotium, pour employer une expression de saint Thomas d’Aquin qui l’applique aux fidèles, à l’ensemble des chrétiens régénérés par le Baptême. Il ne s’agit pas d’abord d’une participation circonscrite au cérémonial proprement dit comme nos néo-liturges cherchent à s’en persuader, mais à l’action liturgique, au chef-d’œuvre de la Rédemption, rendu présent devant nous à chaque fois qu’une messe est célébrée. Cette participation est d’autant plus profonde et intense qu’elle est silencieuse (ou discrète quand on récite le Confiteor ou le Credo), en dehors bien entendu des moments où le fidèle doit ratifier la prière du prêtre. Frank-Duquesne nous rappelle qu’au temps de saint Jérôme, la foule, à deux moments de la Messe, «poussait de véritables rugissements : au dialogue précédant la Préface, et au per omnia saecula terminant le Canon par un acquiescement collectif ». Aujourd’hui nos néo-liturges croient que la participation du fidèle à la messe se mesure à sa capacité à donner de la voix, à pousser des beuglements à chaque fois que foule entonne un cantique vaseux (tendance qui se rencontre aussi chez les tradis qui, à mon avis, ne verraient pas d’un mauvais œil la substitution au Credo d'un bon vieux «Catholique et Français, toujours» ou «Vers Chartres nous marchons» ou «Trône et Autel nous unirons»).
La liturgie, «source et sommet» de la vie chrétienne, requiert donc une «participation active, pleine, consciente» dont l’efficace est avant tout d’ordre spirituel. C’est ce que rappellera Jean-Paul II dans son encyclique, Ecclesia De Eucharistia : «En donnant son sacrifice à l'Église, le Christ a voulu également faire sien le sacrifice spirituel de l'Église, appelée à s'offrir aussi elle-même en même temps que le sacrifice du Christ. Tel est l'enseignement du Concile Vatican II concernant tous les fidèles: “Participant au Sacrifice eucharistique, source et sommet de toute la vie chrétienne, ils offrent à Dieu la victime divine, et s'offrent eux-mêmes avec elle”».
On ne peut également se dispenser d’une participation corporelle à l’office de la messe, reflet de la «liturgie céleste», d’En-Haut, «qui se célèbre dans la sainte cité de Jérusalem… où le Christ siège à la droite de Dieu, comme ministre du sanctuaire et du vrai tabernacle» (Sacrosanctum Concilium, §8). De là l’importance des agenouillements dédaignés par tous ceux qui considèrent la messe comme une sorte d’auto-célébration communautaire, sans perspective transcendante. Comme l’écrit Nicolas Bux, dans un article de la revue Catholica, «sans la conscience d’être rendus participants il n’y pas de participation liturgique. A la participation appartient de façon éminente le fait de s’agenouiller ou de s’incliner profondément, principale attitude d’adoration, qui unit entre autres les catholiques aux orthodoxes mais aussi aux juifs et aux musulmans. Cela signifie revenir à la Bible, où l’agenouillement a une importance centrale : rien que dans le Nouveau Testament, il apparaît 59 fois, dont 24 dans l’Apocalypse, ce livre de la liturgie céleste qui est présenté à l’Eglise comme modèle et critère pour la liturgie terrestre. Enfin il faut éliminer les applaudissements qui assimilent et rabaissent la liturgie au niveau d’une sorte de divertissement d’inspiration religieuse ». Revenir à la Bible, c’est d’ailleurs ce qu’entreprend Frank-Duquesne dont les aperçus sur la liturgie céleste se fondent sur une exégèse rigoureuse et profonde de l’épître aux Hébreux et de l’Apocalypse…
J’y reviendrai…