Désireux de poursuivre sur le thème de la liturgie, je tiens à diffuser ici quelques notes prises au cours de ma lecture du très intéressant ouvrage de Jean Hani, Symbolisme du Temple Chrétien. Pour cet article, je me limiterai à l’étude de l’Autel et à sa signification symbolique. Vous trouverez un lien vers un extrait du texte profond et inspiré de Frank-Duquesne, tiré d’un opuscule que j’ai retrouvé récemment, intitulé Le Symbolisme mystique du Sanctuaire Chrétien. L’intégralité de ce texte (étude symbolique de l’autel, des nappes couvrant l’autel et du luminaire) sera publiée prochainement aux Editions de Sombreval sous forme d’un recueil d’articles de l’écrivain catholique. Le texte de Jean Hani a quelques parentés avec celui de Frank-Duquesne (on retrouve la notion d’autel céleste, archétype de l’autel terrestre) mais ce dernier insiste davantage sur la rupture introduite par le christianisme en ce qui concerne la montée à l’autel, symbolisée par les «trois marches», qui faisait l’objet d’un interdit chez les juifs de l’Ancienne Alliance (l’écrivain nous explique pourquoi…) Frank-Duquesne propose une très riche méditation des trois degrés conduisant au maître-autel. Pour éclairer le symbolisme de cette ascension mimée par la montée des trois marches, il se reporte à plusieurs passages de l’Exode (en particulier Exode 10). Pour certains liturgistes, ces trois marches représentent les trois vertus théologales de foi, d'espérance et de charité qui mènent à Jésus-Christ. S’appuyant sur la Bible, Frank-Duquesne voit en elles la représentation des trois stades de la vie mystique : purgative, illuminative, unitive.
Voici son texte : Symbolisme mystique de l’Autel
L'autel, d'un mot latin altare, qui signifie chose élevée, alta res, est le centre de l’Eglise, ce centre d’où tout rayonne et vers lequel tout converge. Pour Jean Hani, c’est « l’objet le plus sacré du temple, la raison de son existence et son essence même, puisqu’on peut, en cas de nécessité, célébrer la divine liturgie hors d’une église, mais qu’il est absolument impossible de le faire sans un autel de pierre… L’autel, c’est la pierre du sacrifice qui, pour l’humanité déchue, est le seul moyen de prendre contact avec Dieu. L’autel est le lieu de ce contact : par l’autel Dieu vient à nous et nous allons à Lui. Il est l’objet le plus sain du temple, puisqu’on le salue, on le baise, on l’encense… »
Jean Hani, dans son ouvrage, consacre plusieurs passages à l’examen des similitudes entre autel chrétien et autel hébreu. L’autel est également pour lui le point de jonction, de rencontre entre liturgie céleste et liturgie terrestre, celle-ci étant l’ombre, la représentation, l’«imitation» de celle-là (voir mon article sur ce sujet).
Ainsi, écrit-il, « la grande préface du Pontifical romain, chantée au moment de la consécration de l’autel, rattache rituellement l’autel chrétien à tous les autels hébraïques, à l’autel de Moïse, à celui de Jacob, à celui d’Abraham ; mieux, il se rattache à tous les autels de l’humanité ab origine mundi, de l’autel de Melchisédek à celui d’Abel. On voit ainsi de quelle tradition vénérable l’autel est héritier par une tradition ininterrompue ; c’est toute l’histoire religieuse du monde qui, pour ainsi dire, s’y concrétise. Mais il y a plus. L’autel terrestre tient sa sublimité et son caractère sacré de sa conformité à son archétype, l’autel céleste. Car l’autel de nos temples n’est que le symbole terrestre de cet archétype céleste, de même que la liturgie terrestre "imite" la liturgie céleste décrite dans l’Apocalypse. Le Sursum corda est une invitation à contempler l’Archétype éternel de la liturgie visible. "Puisque, dit Théodore de Mopsueste à propos du sacrifice eucharistique, ce sont les signes des réalités du ciel qu’en figure il accomplit, il faut donc que ce sacrifice en soit aussi la manifestation ; et le pontife fait une sorte d’image de la liturgie qui a lieu au ciel". L’officiant reproduit donc le service célébré par le Christ Pontife pénétrant, revêtu de son propre Sang, dans le tabernacle qui n’a pas été fait de main d’homme. "Nous t’en supplions, dit le prêtre au canon de la messe romaine, Dieu Tout-Puissant, fais porter ces offrandes par la main de Ton saint Ange là-haut, sur Ton autel sublime, en présence de ta divine Majesté"…»
Frank-Duquesne montre également dans son texte que l’autel de pierre, la pierre sacrificielle n’est que le symbole d’une réalité transcendante, à savoir «l'Autel véritable, l'Autel de Dieu, divin, céleste, l'Autel où Dieu Lui-même, préfiguré par Abraham, "le père élevé de la multitude", offre Son Isaac, nous l'offre, Le sacrifie à cause de nous – cet Autel sur quoi le Fils adore et implore, et qui est l'Humanité déifiée du Verbe incarné».
Mais il montre surtout ce qui oppose foncièrement l’autel de la religion mosaïque et l’autel chrétien, comme dans ce passage qui m’avait beaucoup frappé lors de ma lecture :
Trois marches mènent au Propitiatoire chrétien, alors que, dans l'Exode, Dieu dit à Moïse : «Tu ne monteras pas à Mon Autel par des marches, afin que ta nudité ne soit pas découverte» (Exode, 20:26)
Le sacerdoce mosaïque approchait l'Autel de plain-pied ; ou plutôt l'Autel demeurait au niveau des sacrificateurs. La réalité transcendante restait absente, et tout le rite – purement symbolique et figuratif – était extérieur, en dehors du seul et unique Sacrifice valable devant Dieu, par conséquent conventionnel, ombre du Corps à venir (…)
L'autel de l'Ancienne Alliance se trouvait au niveau des fidèles, parce qu'il leur manquait de quoi gravir les marches (…) Rien, dans la nature humaine, n'était changé ; l'Adam Nouveau n'était pas encore suscité dans les âmes. Quiconque eût alors tenté de «surélever l'Autel», de surnaturaliser hinc et nunc la religion mosaïque, de transsubstantier moto proprio l'ombre en réalité, la figure en événement véritable, somme toute, de pratiquer le Christianisme sans l'Incarnation ni Golgotha ; quiconque eût prétendu gravir les marches, les degrés mystiques alors qu'il n'avait pas encore «revêtu Jésus-Christ», ne pouvait manquer – Dieu le dit à Moïse – de «découvrir sa nudité», comme l'invité dans la Parabole du Festin nuptial (Exode, 20-26 ; Matt, 22.11 ; cf. 2 Cor, 5:2-3 ; Apoc, 3:17-18).
Mais nous, Chrétiens, nous voici «revêtus de justice» (Job, 29:15), active et passive ; nous avons, dans le Christ, accès à la double perfection : divine et humaine ; prêtres «en esprit», peuple sacerdotal (1 Pierre, 2:5.9 ; Apoc, 1:6), nous sommes, deux fois revêtus du Christ, de l'Homme-Dieu ; nous portons l'aube et la chasuble. Aussi, depuis le Calvaire, nous est-il possible et permis, voire enjoint, de gravir les trois marches de l'Autel céleste et transcendant, car «le vêtement, dit saint Cyrille de Jérusalem, signifie la plénitude de la grâce» (Catech. myst, 17:12 et 1:10).
Voici son texte : Symbolisme mystique de l’Autel
L'autel, d'un mot latin altare, qui signifie chose élevée, alta res, est le centre de l’Eglise, ce centre d’où tout rayonne et vers lequel tout converge. Pour Jean Hani, c’est « l’objet le plus sacré du temple, la raison de son existence et son essence même, puisqu’on peut, en cas de nécessité, célébrer la divine liturgie hors d’une église, mais qu’il est absolument impossible de le faire sans un autel de pierre… L’autel, c’est la pierre du sacrifice qui, pour l’humanité déchue, est le seul moyen de prendre contact avec Dieu. L’autel est le lieu de ce contact : par l’autel Dieu vient à nous et nous allons à Lui. Il est l’objet le plus sain du temple, puisqu’on le salue, on le baise, on l’encense… »
Jean Hani, dans son ouvrage, consacre plusieurs passages à l’examen des similitudes entre autel chrétien et autel hébreu. L’autel est également pour lui le point de jonction, de rencontre entre liturgie céleste et liturgie terrestre, celle-ci étant l’ombre, la représentation, l’«imitation» de celle-là (voir mon article sur ce sujet).
Ainsi, écrit-il, « la grande préface du Pontifical romain, chantée au moment de la consécration de l’autel, rattache rituellement l’autel chrétien à tous les autels hébraïques, à l’autel de Moïse, à celui de Jacob, à celui d’Abraham ; mieux, il se rattache à tous les autels de l’humanité ab origine mundi, de l’autel de Melchisédek à celui d’Abel. On voit ainsi de quelle tradition vénérable l’autel est héritier par une tradition ininterrompue ; c’est toute l’histoire religieuse du monde qui, pour ainsi dire, s’y concrétise. Mais il y a plus. L’autel terrestre tient sa sublimité et son caractère sacré de sa conformité à son archétype, l’autel céleste. Car l’autel de nos temples n’est que le symbole terrestre de cet archétype céleste, de même que la liturgie terrestre "imite" la liturgie céleste décrite dans l’Apocalypse. Le Sursum corda est une invitation à contempler l’Archétype éternel de la liturgie visible. "Puisque, dit Théodore de Mopsueste à propos du sacrifice eucharistique, ce sont les signes des réalités du ciel qu’en figure il accomplit, il faut donc que ce sacrifice en soit aussi la manifestation ; et le pontife fait une sorte d’image de la liturgie qui a lieu au ciel". L’officiant reproduit donc le service célébré par le Christ Pontife pénétrant, revêtu de son propre Sang, dans le tabernacle qui n’a pas été fait de main d’homme. "Nous t’en supplions, dit le prêtre au canon de la messe romaine, Dieu Tout-Puissant, fais porter ces offrandes par la main de Ton saint Ange là-haut, sur Ton autel sublime, en présence de ta divine Majesté"…»
Frank-Duquesne montre également dans son texte que l’autel de pierre, la pierre sacrificielle n’est que le symbole d’une réalité transcendante, à savoir «l'Autel véritable, l'Autel de Dieu, divin, céleste, l'Autel où Dieu Lui-même, préfiguré par Abraham, "le père élevé de la multitude", offre Son Isaac, nous l'offre, Le sacrifie à cause de nous – cet Autel sur quoi le Fils adore et implore, et qui est l'Humanité déifiée du Verbe incarné».
Mais il montre surtout ce qui oppose foncièrement l’autel de la religion mosaïque et l’autel chrétien, comme dans ce passage qui m’avait beaucoup frappé lors de ma lecture :
Trois marches mènent au Propitiatoire chrétien, alors que, dans l'Exode, Dieu dit à Moïse : «Tu ne monteras pas à Mon Autel par des marches, afin que ta nudité ne soit pas découverte» (Exode, 20:26)
Le sacerdoce mosaïque approchait l'Autel de plain-pied ; ou plutôt l'Autel demeurait au niveau des sacrificateurs. La réalité transcendante restait absente, et tout le rite – purement symbolique et figuratif – était extérieur, en dehors du seul et unique Sacrifice valable devant Dieu, par conséquent conventionnel, ombre du Corps à venir (…)
L'autel de l'Ancienne Alliance se trouvait au niveau des fidèles, parce qu'il leur manquait de quoi gravir les marches (…) Rien, dans la nature humaine, n'était changé ; l'Adam Nouveau n'était pas encore suscité dans les âmes. Quiconque eût alors tenté de «surélever l'Autel», de surnaturaliser hinc et nunc la religion mosaïque, de transsubstantier moto proprio l'ombre en réalité, la figure en événement véritable, somme toute, de pratiquer le Christianisme sans l'Incarnation ni Golgotha ; quiconque eût prétendu gravir les marches, les degrés mystiques alors qu'il n'avait pas encore «revêtu Jésus-Christ», ne pouvait manquer – Dieu le dit à Moïse – de «découvrir sa nudité», comme l'invité dans la Parabole du Festin nuptial (Exode, 20-26 ; Matt, 22.11 ; cf. 2 Cor, 5:2-3 ; Apoc, 3:17-18).
Mais nous, Chrétiens, nous voici «revêtus de justice» (Job, 29:15), active et passive ; nous avons, dans le Christ, accès à la double perfection : divine et humaine ; prêtres «en esprit», peuple sacerdotal (1 Pierre, 2:5.9 ; Apoc, 1:6), nous sommes, deux fois revêtus du Christ, de l'Homme-Dieu ; nous portons l'aube et la chasuble. Aussi, depuis le Calvaire, nous est-il possible et permis, voire enjoint, de gravir les trois marches de l'Autel céleste et transcendant, car «le vêtement, dit saint Cyrille de Jérusalem, signifie la plénitude de la grâce» (Catech. myst, 17:12 et 1:10).