Le Projet Fedorov : Première partie



Prologue

Le Projet Fedorov : Première partie
2039, la conquête spatiale se poursuit sans répit. Des milliers de planètes doivent être colonisées pour accueillir les ressuscités. La première phase du Projet Fedorov est en passe d'être accomplie.
Nicolas Fedorov (1828-1903), le père du cosmisme russe, est l'auteur de la Philosophie de l’œuvre commune qui a exercé une influence décisive sur le président américain George W. Bush, assassiné en 2016 par un membre fanatisé du groupuscule baptisé «Planet A».
En 2003, le texan décide, en concertation avec le Chef d’Etat-Major des armées, d’annuler l’Opération Liberté irakienne. Toutes les troupes américaines sont rapatriées aux Etats-Unis. La guerre d’Irak n’aura pas lieu. L’année suivante, George Bush lance un programme spatial fondé sur l'eschatologie fedorovienne. En 2012, les premières expéditions partent vers des mondes au-delà du nôtre.
La solidarité morale des hommes dans l'ordre du temps ou dans la succession de l'existence, c'est là le thème central de l'enseignement de Nicolas Fedorov. Ce penseur, se réclamant de l'Orthodoxie, croyait d'une foi absolue dans les possibilités de la science. Il appelait les hommes à une «œuvre commune» où la religion, la science et la technique s'uniraient pour préparer la résurrection de tous les hommes ayant vécu sur la terre.
«Pour les hommes de la Terre, écrivait Fedorov en 1880, les mondes de l'Espace abriteront les maisons de leurs ancêtres, et ces mondes seront accessibles aux ressuscités et à ceux qui ressusciteront. L'exploration de l'Espace Intersidéral signifie la recherche de ces mondes habitables, et la préparation de ces maisons.
Cette conquête de la route de l'Espace nous est absolument imposée comme un devoir pour préparer la Résurrection. Sans la prise de possession de nouveaux espaces, il n'y aura pas assez de place sur Terre pour la co-existence de toutes les générations ressuscitées.» (Nicolas Fedorov, L'Avenir de l'Astronomie et la Nécessité de la Résurrection, 1880).

2040 : L'évêque-cosmonaute de la Fraternité Saint-Pie X, Jim Foley, revient sur terre après un périple intergalactique. Il a repéré au cours de son odyssée une petite planète habitable, baptisée Antiquus. Son dessein est d'y instaurer le culte de la Tradition, de bâtir une société parfaite où tous les hommes se soumettraient sans broncher à «l'ordre voulu par Dieu».
Quelques mois après, tout ce qui reste de la Chrétienté embarque dans l'Arche du Salut, la navette spatiale de la Fraternité. Un homme manque... un homme qui a osé dire non... le bâtisseur, l'homme d'action, le canonnier de la Fraternité, le puissant abbé Aulagnier, qui a eu le front de s'élever contre les ambitions du spationaute fou... Depuis ce temps, à bord de son vaisseau, le Saint Michel, il erre dans l'espace à la recherche d'une planète accueillante.

Episode 1

L'abbé Aulagnier
2040, l’année décisive entre toutes. Des milliers de caravanes spatiales affluent vers les Nouveaux Mondes. Des aventuriers, des scientifiques, des explorateurs, des familles, des missionnaires viennent peupler les colonies humaines disséminées dans tous les systèmes planétaires explorés. Unis dans l’œuvre commune de la «Ressuscitation» des morts, les hommes redécouvrent la fraternité, la solidarité essentielle exaltée par l'inspirateur de l' «Œuvre commune», Nicolas Fedorov : «Il ne s'agit pas de vivre pour soi-même (égoïsme), écrivait le penseur russe, ni pour les autres (altruisme) : il s'agit de vivre avec et pour tous».
Triompher des forces aveugles de la nature, préalable à la domination de la mort, transformer l'amor fati en «haine ardente et totale du sort», étendre l'empire de l'homme, son action régulatrice à tous les mondes et à tous les systèmes sidéraux, ce sont là les principaux objectifs du «Projet Fedorov», culminant avec la tâche universelle de la Résurrection des ancêtres. Cette entreprise mobilise toute l'humanité. L'exploration de l'univers n'est qu'une étape dans la mission universelle de lutte contre la mort et de la Résurrection. Des savants fous, des gourous, des occultistes se livrent aux expériences les plus ahurissantes. Certains ont recours à la magie, d'autres s'adonnent à la nécromancie. Il n'est pas jusqu'aux croyances occultes des Francs-maçons du siècle des Lumières qui ne soient l'objet de folles expérimentations. Des illuminés prétendent ainsi récolter la «poussière des aïeux», rassembler les parcelles des corps de tous les défunts, lesquelles selon eux n'ont pu sortir des limites de l'espace.
La décadence de la foi est telle en ce troisième millénaire que la majorité des hommes projettent une résurrection immanente, réalisée avec des méthodes techniques et scientifiques très développées et grâce à des manipulations génétiques... Des millions de cadavres sont exhumés, des ossements humains sont extraits des profondeurs abyssales de la terre pour en extraire l'ADN. On fouille sur toute l'étendue des continents, on dévaste la nature...les espaces vierges sont investis par les machines... tout est ratissé... La terre se transforme en un immense chantier. Bientôt, elle sera abandonnée des hommes.
Personne n'envisage un corps ressuscité et transfiguré par la grâce de Dieu, hormis les rares chrétiens qui s'adonnent encore à la contemplation des mystères. Eux-seuls prennent au sérieux cet avertissement de l'Apôtre : «Nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous transformés». Il y a aussi les néo-pharisiens et les musulmans qui attendent le jour du jugement où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Les élus seuls seront sauvés, pour les autres, la massa damnata, la résurrection sera l'expression de la colère divine. Cette possibilité d'une damnation éternelle répugne aux chrétiens du nouveau sens religieux, qui cherchent «le salut total et universel, et non un salut partiel et réservé, où les uns sont condamnés aux souffrances éternelles, et les autres à contempler éternellement celles-ci...»
Les prophéties apocalyptiques sont conditionnelles, professait Fedorov. Elles se réaliseront si l'homme ne collabore pas à l’avènement du Royaume de Dieu. La fin du monde dépend de son activité créatrice. En se soumettant à une «œuvre commune» où chacun est appelé à collaborer au salut du monde, l'humanité peut éviter le jugement dernier et les châtiments éternels...
.............
Rome, le Vatican...
Le Cardinal Esteban, Préfet de la Congrégation du Clergé, a convoqué une réunion plénière de la Commission pour le retour à la communion des frères séparés de la Tradition, avec tous ses membres, auxquels se sont joints les Préfets de la congrégation pour la doctrine de la foi et du culte divin.
– Messieurs, l'heure est grave. Nos frères séparés de la Fraternité Saint-Pie X ont pris la poudre d'escampette. Selon nos informateurs, ils filent à toutes vitesse vers une petite planète située en dehors de notre galaxie. Ils ont embarqué tous leurs fidèles. Ces braves gens ont-ils la moindre idée des dangers qu'ils vont devoir affronter ? Ils pourraient subir l’incursion de pirates de l’espace. Cela s’est déjà vu. Un immense trou noir pourrait les engloutir. J’ai des sueurs froides rien qu’en y pensant. Imaginez, mes frères, les derniers vestiges de la Chrétienté dissous dans le néant....
– À quelque chose malheur est bon dit le dicton. Ce radicalisme a pu susciter une réaction salutaire chez certains de leurs membres. Connaissez-vous, Eminence, l'abbé Aulagnier ?
– L'abbé Aulagnier... Oui, son nom ne m'est pas inconnu. Il s'agit, si je ne m'abuse, d'un de ces serviteurs fieffés de la Tradition qui nous mènent la vie dure depuis des années...
– Humm...un serviteur qui fait aujourd'hui moins le malin. Il a tenté de mener une fronde contre le terrible Monseigneur Foley peu avant le grand départ. Le temps lui a manqué. Un seul homme contre une telle organisation, le combat était perdu d'avance. Personne ne l'a suivi.
– Où est-il maintenant ?
– L'abbé s'en est allé mourir sur la Planète Morte. C'est terrible. Deux de nos meilleurs agents ont retrouvé sa trace. Louons le courage de ces jeunes garçons qui risquent leur vie. Les Réfractaires ont tôt fait de reconnaître ceux qui ne sont pas des leurs. Malheur à qui s'y aventure sans idée de mort. Il subira le triste sort de tous ces touristes de l'horreur qui pourrissent maintenant dans quelque charnier de ce lieu de malédiction.
– Sa Sainteté est-elle au courant ?
– Bien sûr. Il a demandé que tout soit mis en œuvre pour retrouver cet abbé. Vous savez combien il est attaché au Ritus Antiquus dont ces gens sont la mémoire vivante.

Episode 2

On pourrait s'interroger sans fin sur l'impulsion subite qui a conduit l'abbé Aulagnier à poser son Saint Michel sur la Planète Morte. Est-ce le désespoir ? Le sentiment de sa déchéance ? L'odeur de la mort ? Cet homme unique, providentiel, dont la fidélité admirable à la mémoire du fondeur de la Fraternité Saint-Pie X et à l'Église romaine est cause de tous ses malheurs, a senti l'Espérance mourir en lui, au point de s'identifier avec la lie de l'humanité, les profanateurs de l'«œuvre commune» : les Réfractaires, ces monstres humains qui se nourrissent de la haine de Dieu et refusent de ressusciter.
Depuis plusieurs jours il erre sans but sur leurs terres désolées, arides, de nuit baignées, ces terres désertées par les organisations humanitaires de l'espace et sur lesquelles aucune mission chrétienne n'a réussi à s'implanter. Les derniers religieux qui ont osé s'aventurer dans cet enfer se sont fait massacrer.
Accompagnons un peu notre errant. Il n'est plus que l'ombre de lui-même. Sa contenance est inerte, son geste endormi et mort. Il marche au ralenti, comme quelqu'un qui a donné sa démission de la vie. En vérité on dirait un fantôme. Extérieurement il ressemble à une loque humaine comme on rencontre parfois dans les grandes métropoles de la Terre. Il porte une soutane crasseuse, déchiquetée, puante. «Encore un prêtre apostat qui vient nous rejoindre, ricanent des Réfractaires à son passage... sa foi est morte... Il est des nôtres...» Son visage exsangue, rongé par une barbe poisseuse, ses yeux caves, son front labouré trahissent une désolation sans nom. Il n'est pas rare de le voir parler tout seul. Mais il est si faible que les mots restent accrochés à sa bouche. On dirait qu'il essaie par ces balbutiements pathétiques d'exorciser l'obsession qui ravage son esprit : «La Fraternité s'est envolée vers des rivages célestes inaccessibles, gémit-il... Elle s'est détachée de la famille humaine, irrémédiablement... l'organisation a été démantelée, les paroisses sont maintenant vides, désertes, images tragiques de ma solitude... il ne reste plus rien... tout est à l'abandon... je suis seul, atrocement seul... Et si j'allais les rejoindre... il est peut-être encore temps... supplier le Supérieur... lui demander pardon... Non, non, c'est impossible... ils font fausse route... ils courent à leur perte... mon Dieu, mon Dieu, donnez-moi la force... secourez-moi... il faut les sauver».
– Oui monsieur l'abbé vous avez raison, nous devons les sauver. Il est encore temps.
D'où provient cette voix mystérieuse ? Une main s'est posée délicatement sur son épaule. L'abbé se retourne lentement. Ses gestes sont faibles, laborieux... Un jeune homme se tient devant lui. Ce doux sourire, ce visage aux traits si fins, si nobles... c'est un étranger... que vient-il faire sur le territoire des Réfractaires ? Est-ce une apparition ? un Envoyé ?... Et si la mort l'avait déjà happé ?
– Je suis un Chevalier de l'Eglise. Mon nom est Nicolas S. Vous m'entendez monsieur l'abbé ? Je suis venu pour vous ramener à Rome... Le Pape vous attend. Il veut vous confier une mission. Une mission à votre mesure, digne d'un prêtre de votre stature. Vous avez l'étoffe d'un Maître. Je sens encore en vous le pouvoir de la Force. Elle repousse les puissances ténébreuses qui vous assaillent. Mais elle faiblit, elle se désagrège, cependant que le Néant vous aspire. Vous devez lutter monsieur l'abbé. Luttez, pour l'amour de l'Eglise catholique.
Le jeune homme lui tend la main, mais l'abbé la repousse avec rage...
– Fuyez démon, fuyez...Vision infâme...les ombres de la mort m'entourent, elles m'envahissent... ahahahah, voyez elles approchent...Venez maudits ! Je me livre à vous. Je vous appartiens...
L'abbé a les yeux désorbités. Il tourne la tête dans toutes les directions, tel un dément qu'on ne peut plus maîtriser. Le jeune chevalier reste un instant abasourdi par sa réaction. Il essaie de le maîtriser, se débat contre lui. Mais il s'arrête tout à coup. Il vient de les voir lui aussi. Des Réfractaires, mi-vampires, mi-zombies, s'approchent en meutes. Cela dépasse en épouvante tout ce qu'il avait pu imaginer. Combien sont-ils ? La lumière chrétienne qui émane du jeune chevalier les attire comme des vautours.
Notre chevalier ferme les yeux. Il plonge en lui-même pour y puiser des forces spirituelles, seules capables de le garantir de la terreur. Ils affluent de toutes parts. Impossible de fuir. Les Réfractaires se sont organisés instinctivement pour encercler leurs proies. Nicolas S sort son émetteur : «Allo Espace 2... ici corsaire de l'espace... Bertrand tu m'entends ?»
Les Réfractaires sont de plus en plus nombreux. Ils ont faim. Le jeune chevalier dont c'est la première mission peine à garder son sang-froid. La peur commence à l'envahir...
– Bertrand, réponds bon sang...
– Allo oui Nicolas... Excuse-moi, j'étais en train de changer une pièce du moteur. Alors les Réfractaires, ils ressemblent à quoi ?
– Déconne pas ! Ici c'est pas l'ambiance hawaïenne. Si tu ne rappliques pas tout de suite, on va se faire dévorer tout cru. Ils sont des dizaines, ils arrivent de partout. On dirait qu'ils veulent tâter mon sabre laser. Dégagez sales bestioles... Bertrand, magne-toi... je ne pourrai pas tenir longtemps... Restez près de moi monsieur l'abbé... On va s'en sortir... Bertrand... Bertrand....

Episode 3

Fedorov
Le jeune chevalier mobilise toutes ses forces pour repousser la marée des Réfractaires assoiffés de sang. Sa défense acharnée et héroïque les enferme, lui et l'abbé Aulagnier, dans un petit cercle que les zombies n'arrivent à pénétrer. Comment expliquer le prodige de cette résistance ? Pour comprendre, il faut revenir en arrière.
Nicolas S, après de brillantes études universitaires, marquées par l'obtention d'une licence de thomisme et d'un doctorat sur la philosophie religieuse russe des 19 et 20e siècles, a choisi de devenir un serviteur de la cause religieuse en intégrant une Confrérie conciliaire organisée pour lutter contre la mainmise des athées et des Francs-maçons sur le Projet Fedorov. C'est dans ce dessein qu'il est devenu un Chevalier de l'Eglise. Mais on ne s'improvise pas chevalier. Il faut des compétences, des dons, un sens du sacrifice, et surtout cette innéité de la Force que les Maîtres de l'Église ont rapidement décelée en lui. Pour devenir chevalier, il a dû se soumettre à un entraînement intensif et suivre une formation spéciale durant trois longues années. C'est ainsi qu'il a appris à piloter les navettes spatiales les plus puissantes et surtout, en étant guidé par des Maîtres spirituels, à maîtriser la Force. Ces Maîtres l'ont également initié au Ju-Jitsu, l'art martial de self-défense par excellence, et au maniement du sabre laser, son arme maîtresse, la plus adaptée aux règles strictes de la légitime défense. Aucun catholique ne pourrait soutenir en 2039 que l'idée de la non-résistance au mal exaltée en son temps par Léon Tolstoï puisse être interprétée dans un sens chrétien.
Formé par les prévôts d'escrime de l'Église romaine, il est passé maître dans cette noble science. Il restait des journées entières dans les salles d'armes du Vatican à peaufiner ses bottes, à affiner ses ripostes et mettre au point des coups imparables. L'aisance avec laquelle il se meut, l'épée à la main, sa souplesse naturelle, son agilité, sa régularité académique, alliée à un don d'improvisation, une audace sans pareils, le rendent proprement redoutable. Ayant atteint à l'excellence dans la pratique de l'escrime, il a poursuivi sa formation auprès des Maîtres qui lui ont enseigné l'art du sabre laser.
Son combat contre les Réfractaires marque le début de la mission Wojtyla pour laquelle toutes les forces du catholicisme ont été mobilisées. Le premier objectif est clair : réaliser l'union des Chrétiens....
Avant de poursuivre notre récit haletant, il convient de brosser le portrait de Fedorov, qui va éclairer bien des zones d'ombre.
C'est un honneur que de présenter Nicolas Fedorov, misanthrope génial dont le nom resta de son vivant inconnu du grand public, obscur bibliothécaire au musée Roumiantsev de Moscou, penseur fécond dont les idées originales influencèrent les plus grands auteurs russes de son temps, Vladimir Soloviev, Léon Tolstoï et Fiodor Dostoïevski. Beaucoup de russes aiment à le représenter comme un saint non canonisé.
Fedorov brûlait d'une vie spirituelle intense. Il occupait une chambre minuscule, dormait quelques heures par nuit, sur une malle. Il se nourrissait de thé et de petits pains ou encore de poisson salé, se passant de plats chauds pendant des mois. L'argent lui était odieux («c'est un vrai chrétien, disait de lui Léon Tolstoï. Etant pauvre, il donne tout ; il est toujours gai et humble»). Il recevait un salaire minime et refusait toute augmentation. Il ne voulait posséder aucune propriété personnelle, ne portait jamais manteau d'hiver et se déplaçait à pied. Doué d'une grande humilité, il refusait toute publicité pour son œuvre, publiait ses articles sous un pseudonyme et parfois ne les publiait pas du tout. Sans le dévouement de ses amis qui firent éditer son œuvre majeure, La Philosophie de l’oeuvre commune, on n'aurait jamais rien su de cet homme obscur qui a changé la face du monde.
Dans le secret de sa petite cellule qu'il occupait pendant sa formation de chevalier, Nicolas S a pu méditer en profondeur la doctrine de Fedorov, tout entière éclairée par l'Evangile chrétien de la Résurrection. Fedorov était un fils de l'Orthodoxie dont Pâques est le mystère central. «Le Christ est ressuscité !» Au fond de sa doctrine étrange il y a une idée religieuse, une aspiration puissante à un salut entier et universel, en consonance avec la propre quête spirituelle de notre chevalier : «Nous sommes les gardiens de nos frères, ruminait-il bien souvent, la nuit venue, dans sa cellule plongée dans l'obscurité... Nous devons tendre de toutes les forces de notre esprit à ce que tous les hommes participent au salut... Urs von Balthasar le disait déjà... Nous devons nous sauver tous ensemble, en communion et non pas isolément... se résigner à la perdition de tous... non, non c'est impossible... nous devons faire de cette œuvre commune que les hommes entreprennent de réaliser une œuvre vitalement chrétienne. Le Projet Fedorov nous ouvre les portes de l'espace... Il nous faut maintenant travailler à la spiritualisation et à la transfiguration du cosmos, lui donner son sens christologique, collaborer à l’œuvre divine du salut, préparer la Résurrection transcendante. Le christianisme n'est pas une doctrine, une conception de la vie, une idéologie, c'est l’œuvre, oui c'est l’œuvre même du salut... La passivité, la paralysie des chrétiens, est une conséquence du monophysisme et de leur rupture avec la divino-humanité... impuissants à appréhender le mystère terrible de la liberté, ils s'accrochent comme des mouches à une notion fétichiste et pitoyable de la Providence qui achève de les discréditer...rien n'est dû...oui, rien n'est dû...» Nicolas S achevait ces colloques intérieurs dans des convulsions quasi-épileptiques. En proie à des tensions d'âme indicibles, saisi de frénésies, trempé de sueur, il se précipitait hors de sa cellule et s'en allait sur les routes et par les chemins déserts pour essayer d'échapper à ce monologue torturant. Ce n'est qu'au petit matin qu'il retrouvait un semblant de paix.
.............

Cerné par des hordes de Réfractaires, Nicolas S se bat comme un beau diable. Mais il commence à faiblir, ses forces déclinent, sa respiration devient haletante. Il va bientôt céder. Et surtout il vient de s'apercevoir que l'abbé Aulagnier n'est plus à ses côtés. Il a échappé à sa protection. Le malheureux est là, à quelques mètres de lui, hébété, sans défense... des zombies l'ont attrapé... horreur... l'abbé s'écroule sous leur poids, il est traîné sur le sol comme une bête ... ils vont le saigner, lui sucer le sang... Puisant dans ses dernières forces, notre chevalier tente de se défaire des monstres pour venir à son secours. Il frappe maintenant en aveugle, dans tous les sens... peine perdue, un Réfractaire vient de le saisir par la gorge, tous les autres lui tombent dessus. C'est la fin, pour lui, l'abbé... et la Tradition, vouée sans son sauveur à une perdition certaine. Mais au moment où tout paraissait perdu, un miracle se produit. Une énorme déflagration retentit à quelques mètres des deux malheureux... et puis une autre... Bertrand D vient d'entrer en action... Les missiles éclatent dans tous les coins... les Réfractaires gémissent, hurlent, fuient. Victoire. Les deux hommes sont sauvés. Nicolas S lève la tête. L'Espace 2 décrit des cercles triomphants dans le ciel... L'opération «sauvetage de la Tradition» peut maintenant commencer.

Episode 4

L'Espace 2 se pose lentement sur le sol. La rampe d’accès s'ouvre devant Nicolas S dont le visage ensanglanté donne une idée de la violence du combat qui vient de se dérouler. Armé de son seul sabre laser, il a terrassé des dizaines de monstres tout en protégeant l'abbé Aulagnier, venu chercher la mort sur cette planète funèbre. Notre vaillant chevalier est à bout de forces, c'est à peine s'il arrive encore à tenir debout. Le malheureux abbé gît inanimé à quelques mètres de là sur le sol terreux, le corps recouvert de poussière. On ne discerne même plus sa soutane.
Bertrand D sort du cockpit. Débraillé comme à son habitude, la chemise ouverte, les cheveux ébouriffés, la barbe de trois jours, il fait partie de cette nouvelle génération de catholiques insoucieux des apparences et des convenances, libres intérieurement, unis par la quête eschatologique du Royaume de Dieu et de la Transfiguration universelle en Christ. Face à lui, Nicolas S a des allures d'enfant de chœur. Qui pourrait croire que ce garçon, le pilote le plus prometteur de sa génération, est un des fers de lance de la Tradition catholique, un de ses plus nobles serviteurs et que ses meilleurs amis sont des moines bénédictins ? Bertrand D est très pieux. Mais sa piété se conjugue avec un sens de l'action qui le distingue de la plupart de ses coreligionnaires qui semblent frappés par une maladie de la volonté. Il a en commun avec Nicolas S de s'illustrer aussi bien dans les missions périlleuses que dans les controverses intellectuelles. Il est l'auteur d'une brillante étude sur la portée cosmique de la liturgie tridentine, dont des prélats modernistes ont tenté de bloquer la publication. L'intervention du Préfet de la Congrégation pour doctrine de la foi a mis fin à leur odieuse entreprise. Il n'y a pas l'ombre d'une réticence dans son attachement au Ritus Antiquus. La Croix rédemptrice, selon sa thèse, peut seule ouvrir la voie à la transfiguration de l'univers, à la libération du cosmos. Il n'existe pas d'autre voie... S'il a accepté la «Mission Wojtyla», c'est pour sauver ce rite vénérable, conservé comme une relique, et à leur seul profit, par les traditionalistes de la Fraternité Saint-Pie X partis vers les confins de l'espace...
Bertrand est arrivé à la rescousse au moment le plus critique du combat. À quelques secondes près, Nicolas S et l'abbé Aulagnier se faisaient déchiqueter par les hordes de morts-vivants. 
Il se précipite vers son ami et dans un élan impétueux le serre dans ses bras. Nicolas S se raidit sous l'effet de la douleur :
– Ola Bertrand, trêve d'effusions, mon bras est blessé, je suis cassé de partout...
– Bordel Nicolas ! tu ne peux pas t'imaginer ma frayeur. J'ai vraiment cru que j'arrivais trop tard. Ce foutu moteur refusait de démarrer. Quelle saleté ! C'est vrai que t'as l'air mal en point. On va te remettre sur pied, tu vas voir...Et ?..
Bertrand D parcourt du regard le sol jonché de cadavres fumants.
– Et l'abbé Aulagnier ? Il est...?
– Non, t'inquiète, il est sain et sauf, juste un peu amoché. Il a perdu connaissance. Ce qui m'inquiète le plus en fait, c'est son état spirituel. La Force l'a déserté. Le départ de ses amis prêtres et des fidèles l'a comme anéanti. C'est toute sa vie qui s'est envolée avec eux.
– Il se remettra. Maintenant, il est temps de déguerpir. Des brigands et des Raskols stationnent au-dessus de la Planète Morte. Tu sais bien que les forces de sécurité interplanétaire ont ordre de ne jamais franchir son orbite. C'est une zone de non-droit. Il faut foutre le camp, et rapido... S'ils nous repèrent, nous sommes foutus...Va prendre ta place dans le cockpit. Je vais chercher l'abbé et on s’en va direct... Nous retournons à Rome. Il n'y a plus une minute à perdre.

Episode 5

Nicolas S se tient debout sur la petite passerelle de l'Espace 2. Il jette un dernier regard sur la terre ténébreuse où il a failli perdre la vie, «terre de misère et de ténèbres, couverte de l'ombre de la mort ; où ne se trouve nul ordre et nulle rédemption, mais où habite la sempiternelle horreur» (Matines des morts). Une lumière jaunâtre émanant d'un soleil agonisant dans les profondeurs de cette galaxie abandonnée renforce l'impression de cauchemar... Des ombres émergent des nappes de poussière soulevées par le vent glacial. Ce sont eux. Ils reviennent... Ils fondent sur les cadavres pour sucer leur sang encore chaud... Ce sera sa dernière vision de cet enfer où les missionnaires catholiques, les messagers de l’Évangile, n'ont jamais pu planter la Croix... Images de la perdition éternelle... Nicolas S est parcouru par des frissons d'épouvante. Il sait, car la science de ce jeune chevalier est immense, que dans l'autre enfer le supplice de la privation de Dieu surpasse infiniment tous les autres supplices, toutes les horreurs vues et imaginées... Il ferme la porte brutalement et rejoint le cockpit, le cœur oppressé.
L'Espace 2 s'élève lentement du sol. L'abbé Aulagnier a été placé dans la capsule médicale. Nicolas S s'est installé au poste de co-pilotage, derrière Bertrand Décaillet. Après avoir traversé une zone de turbulence, le vaisseau pénètre dans l'espace. Déjà Bertrand D s'apprête à activer les propulseurs V3 pour rejoindre le point de saut Omega mais il est arrêté dans son geste par une énorme secousse. Le vaisseau fait une terrible embardée mais Bertrand parvient à le redresser. Une alarme assourdissante retentit... Un missile les a atteints.
– Bordel, c'est un Raskol isolé... Nicolas, donne-moi le rapport des dégâts ?
Les deux garçons communiquent par micros-oreillettes
– Un impact à l'arrière, côté gauche de la carlingue. C'est assez grave je crois... Le bouclier thermique est hors-circuit. Et... mince... l'hyper-propulseur est endommagé.
– Bon sang c'est pas vrai...estimation des dégâts ?
– Perte d ‘énergie de l'ordre de 1/6 par minute.
– C’est pas vrai... sans bouclier nous sommes à la merci du moindre tir bidon de ce gogo... Si l'hyperpropulseur pète, nous n'atteindrons jamais le point de saut. Aucune aide à attendre, nulle part, dans cette galaxie déserte... nos signaux de détresse se perdront dans son immensité glauque...
– Bertrand, un autre chasseur fonce droit dans notre direction... Point G4 du radar... Il atteindra notre zone dans 54 secondes.
– Ok Nicolas, enregistre les coordonnés du point de saut, et attends mon signal pour enclencher les hyperpropuleurs... À nous deux mon gros... J'ai quarante-sept secondes pour te dégommer et trouver la bonne trajectoire de propulsion.
Bertrand D enfile ses lunettes radars de combat. En utilisant toute la puissance des réacteurs, il pique vers l'avant en tournoyant sur lui-même, puis redresse brusquement son vaisseau, harcelé par une volée de missiles que lui décoche le Raskol et qui s'en vont éclater dans le vide. L'Espace 2 bondit alors vers le zénith et après avoir exécuté une boucle vertigineuse, plonge vers le chasseur ennemi et, en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire, le pulvérise. Un seul tir a suffi... Bertrand D amorce alors un virage et stabilise la navette qui s'apprête à entrer en hyperpropulsion.
– Nicolas, tiens-toi prêt, j'ai presque la bonne trajectoire.
– Bertrand, l'autre chasseur...il approche...un missile longue portée... droit sur nous...
– Attends un peu... j'y suis presque... GO
.............
Quelques minutes ont passé.
– Le point de saut est devant nous Nicolas. En sortant de l'hyperespace, nous nous trouverons non loin de la lune. Rien ne m'enchante tant que d'orbiter autour d'elle, tel un galantin voletant près de sa chérie. J'aime à m'imprégner de sa clarté bienfaisante. Il m'est alors loisible de méditer sur sa symbolique cosmique. La lune qui diminue, disparaît puis croît à nouveau correspond pour nous chrétiens au mystère de la mort et de la résurrection. Ce Signe au-dessus de nos têtes, depuis toujours. Quelle source d'espérance pour tous les hommes ! Cette douce et chère lune...
– On pourra peut-être s'accorder près de cette bien-aimée une petite halte méditative mon cher Bertrand... On l'a bien mérité.
– Hélas, le temps nous est compté. L'Arche du Salut de la Fraternité Saint-Pie X poursuit sa folle course dans l'espace. Ils doivent être déjà loin. Au sortir du point de saut nous retournerons directement à Rome. Nous attendrons que l'abbé Aulagnier se rétablisse, puis, avec lui, nous nous lancerons à leur poursuite.
– Dis-moi, Bertrand tu n'as pas un programme plus réjouissant ? Tout de même, je me demande bien comment ils ont organisé leur vie à l'intérieur de l'Arche.
– M'est avis que seul un auteur de récits bouffons pourrait nous le dire. Je n'ai pas cette compétence. N'oublie pas seulement une chose : la plus parfaite des communautés peut être le plus horrible des enfers...

Episode 6

L'Espace 2 se pose sur un astroport de la banlieue de Rome. Un haut prélat sort de sa papa-speedair pour accueillir les jeunes aventuriers. Il est accompagné par une équipe médicale chargée de transporter la capsule où repose l'abbé Aulagnier au grand hôpital de Rome. Bertrand Décaillet sort le premier :
– Eh bien, je ne suis pas mécontent de poser à nouveau les pieds sur notre bonne vieille terre. Je n’ai jamais vraiment goûté les aventures intergalactiques. Elles me conduisent toujours trop loin du monastère, ma seule véritable demeure. Mais puisque nous sommes d'abord au service de l'Eglise, il faut bien se soumettre, n'est-ce pas ?
Le Cardinal Gonzales s'approche, tout sourire.
– Mes hommages Éminence... Mission accomplie... Je n'ai rien d'autre à ajouter, lance Bertrand d'un ton jovial.
– Félicitations mes jeunes amis. J'ai appris, poursuit-il en se tournant vers Nicolas S, que notre apprenti s'était particulièrement illustré pendant la bataille. Vous vous êtes acquitté avec brio de votre première mission jeune homme. Vous allez maintenant pouvoir intégrer l'Ordre. En attendant je vous invite à me suivre. Nous allons vous conduire jusqu'à vos quartiers où vous pourrez vous reposer quelques heures. Ce soir doit se tenir la réunion du Grand Conseil qui sera présidé par le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, assisté par le secrétaire particulier du Saint-Père. Tous les Maîtres y assisteront. Vous y êtes bien sûr conviés. Nous n'aborderons peut-être pas le sujet de la désertion de la Fraternité Saint-Pie X. Nous sommes confrontés à d'autres urgences. Des événements inouïs sont survenus pendant votre absence... des clones...des clones, rendez-vous compte...
Ces derniers mots sont prononcés d'une voix tremblante, presque inaudible. Une expression d'effroi se dessine soudainement sur son visage. Ses traits se contractent. On dirait qu'il se débat contre une vision d'épouvante. Que voit-il ? Que sait-il ? Ce changement si brusque dans la physionomie bonhomme du cardinal impressionne nos deux héros qui ne savent plus que dire.
– Et notre mission, lui demande tout à coup Nicolas S, après un long silence, l'opération «sauvetage de la Tradition» ?
– Patience messieurs, vous en saurez plus ce soir.
Tous trois se dirigent silencieusement vers la voiture volante du Cardinal. Avant de s'y engouffrer, Nicolas S se tourne vers la navette. Les infirmiers en ont sorti la capsule médicale. Ils l'introduisent avec force précautions dans une ambulance.
– Ne vous inquiétez pas pour lui. L'abbé Aulagnier va être confié aux soins des meilleurs spécialistes catholiques...Vous l'avez tiré du séjour des morts, au péril de votre vie. Mais on n’en sort pas sans graves séquelles. Il lui faudra du temps pour recouvrer toutes ses forces.
Nos deux héros pénètrent dans la papa-speedair et prennent place en face du Cardinal.
La voiture décolle et en quelques secondes elle se trouve au-dessus du centre de Rome.
.............
Le Vatican
Un garde suisse introduit Nicolas S et Bertrand D dans une grande salle majestueuse. Le Préfet, le secrétaire du Pape, le Cardinal Gonzales dont dépendent les Chevaliers du Concile, les Maîtres et un homme dont ils ignorent l'identité, sont assis en cercle, selon l'usage du Grand Conseil. L'atmosphère qui y règne est silencieuse et solennelle. Après les salutations d'usage, nos deux héros vont rejoindre leur place. Leur attention est aussitôt accaparée par l'inconnu qui leur fait face, placé entre le Préfet et le Cardinal Gonzales. Voûté, replié sur lui-même, cet homme, d'une trentaine d'années, au visage blafard, semble atteint d'une maladie dégénérescente. Il est immobile. Quelques lueurs de vie brillent encore dans ses yeux désorbités, implorant on ne sait quoi, un secours, une aide, la mort même, tel un cancéreux en phase terminal suppliant ses proches du regard de l'euthanasier. Cet homme inspire une pitié indicible.
Le Préfet prend la parole.
– Messieurs tous vos exploits nous ont été narrés ici-même par le Cardinal Gonzales qui ne tarit pas d'éloges à votre égard. Une telle bravoure ne peut rester inactive. C'est pourquoi, dans l'attente du rétablissement de l'abbé Aulagnier, nous avons décidé de vous intégrer à l'opération « menace clonale ». Je vous vois ouvrir de grands yeux jeunes hommes. Venons-en donc au fait. Cette mission est en rapport avec ce monsieur assis en face de vous. Je vous présente M. Valent, décédé il y a trente ans d'un terrible accident de voiture et revenu à la vie par ce que d'aucuns appellent les «miracles de la science».
Nos deux héros sont comme frappés de stupeur. Bertrand Décaillet, écrasé par cette révélation, se lève brutalement de son siège.
– C'est, c'est un ?
Les mots restent accrochés à sa bouche. Le Préfet acquiesce d'un signe de la tête.
– Mais... il nous entend, il peut parler...
– Non il ne le peut plus. Ses jours sont comptés... Il va mourir... pour la seconde fois.
– Est-ce possible ?
– Hélas oui. L'interprétation matérialiste du Projet Fedorov semble avoir débridé l'imagination de quelques gourous et savants fous. Nous ne maîtrisons plus rien. Nous sommes complètement dépassés. Le Projet passe par une phase d'activisme humaniste et scientiste absolument incontrôlable. Des laboratoires ouvrent partout dans le plus grand secret et en tout illégalité. La résistance que nous opposons au projet de résurrection des ancêtres par des moyens scientifiques semble décupler la rage de nos ennemis qui n'hésitent plus à financer ces œuvres du démon. Nous voyons en ce moment se réaliser ce que le père Boulgakov présentait jadis comme de sinistres hypothèses relevant d'une fantaisie macabre... fantaisie macabre devenue messieurs une réalité sordide. Permettez-moi de vous lire quelques lignes du grand théologien, qui jettent une lumière prophétique sur les derniers événements. Elles sont tirées d'une étude sur Nicolas Fedorov. Il y démontre que toute tentative de résurrection immanente repose sur l'idée que l'âme revient en vertu d'une nécessité naturelle dès que le corps est rétabli, idée absurde car, note-t-il, «tant que son corps n'est pas restauré, l'âme demeure dans une sorte d'anabiose, dans un état de pure potentialité. Cela exclut à l'avance la possibilité pour une âme qui a franchi les portes de la mort de revenir dans un corps nécrosé et détruit pour lui rendre la vie, puisqu'elle aussi a perdu la force vitale». Je vous épargne les détails. Tout cela, vous le savez parfaitement. La résurrection, de même que la naissance, est un acte créateur de la toute-puissance divine. C'est une effusion de la force vivifiante de Dieu sur une âme humaine, à savoir un acte «théurgique». Ainsi donc, à supposer que, je le cite, «les fils parviennent à reproduire exactement l'organisme des défunts selon leur composition extérieure et interne, et que ceux-ci auraient conscience de leur liaison et même de leur identité avec leur précédent double, rien ne serait plus effroyable que cette idée infernale et plus ignoble que cet ersatz de résurrection, que ces automates en mouvement, exactement pareils à des organismes naguère vivants, mais détériorés et cassés ? On est saisi d'un effroi mystique et d'une invincible horreur à la pensée que nous pourrions rencontrer des espèces de doubles mécaniques, contrefaçons d'êtres qui nous étaient chers, et complètement semblables à ceux-ci. Que nous pourrions les toucher, les caresser». Cette frayeur est devenue nôtre messieurs. M.Valent est un de ces clones «détériorés». Le malheureux a été découvert dans un laboratoire italien démantelé par la police. Sans les informations apportées par un de nos agents dépêchés sur place, ce laboratoire poursuivrait encore son activité criminelle.
Puis se tournant vers nos deux héros :
– Dès demain, après la première messe, vous partirez enquêter sur un réseau scientifique basé en Belgique et qui dispose semble-t-il de grands moyens pour mener à bien ses recherches. Il vous faudra de grandes forces spirituelles pour supporter ce que vous allez voir. Toutes nos prières vous accompagneront pendant votre mission périlleuse...

Episode 7

Telle est la misère de l’homme moyen en ce 21ème siècle qu’on ne peut même plus le distinguer d’un clone, de son double artificiel. L’ingénierie biologique a réalisé des prouesses les premières années. Mais il y a eu beaucoup de ratés qui n’ont pas découragé les plus résolus des scientifiques travaillant sur des projets de résurrection immanente. Autant d’apprentis sorciers qu’on ne peut plus arrêter ni contrôler. Déjà on annonce des clones de nouvelle génération, indemnes de ces erreurs de transcription qui ont été fatales aux premiers. Parmi ces derniers, beaucoup ont fini par mourir, atteints de malformations et de dégénérescence précoce.
Avant d’entrer dans le feu de l’action, Nicolas S et Bertrand D ont étudié la question du clonage sous tous les angles possibles. Ils ont cherché à obtenir des conseils auprès de théologiens éminents rattachés à l’Académie pontificale pour la vie. Car leur réaction d’horreur face à l’état des premiers clonés les a induits à rechercher les solutions les plus expéditives : saboter ou détruire les laboratoires clandestins de clonage humain. Mener des actions concertées avec des groupuscules islamo-fachistes ou des écolos afin de détruire toutes les saloperies cherchant à s’implanter ici et là, souvent en toute illégalité et dans l’impunité la plus complète.
Ils ont d’abord pensé que les clones n’ont pas d’âme. Mais, autre hypothèse, à supposer qu’ils aient une âme, de quelle âme s’agit-il ? Et la mémoire, ainsi que tout ce qui constitue l’identité de la personne ? Comment dupliquer une personnalité ? Quelle part de la mémoire les implants neuroprogrammés pourront-ils restituer ? Le clonage est-il un projet antichristique, portant en outre atteinte à la dignité de l’homme, à son «droit à un génome unique et non prédeterminé» ? Les questions ne cessaient d’affluer, sans trouver de réponses. Ils avaient besoin de certitudes avant d’agir mais ils s’orientaient dans de mauvaises directions et perdaient de vue le sens de leur mission. L’Espace 2 n’avait plus quitté son hangar depuis des semaines. Mais une seule phrase, une simple phrase, prononcée par Bertrand D, a fini par tout dénouer. C’était au cours d’une conversation. Nicolas S continuait à dénier toute âme aux clonés (il songeait alors à l'âme spirituelle, l’«esprit» dans l’optique des trichotomistes). Un peu lassé, Bertrand D a fini par lui rétorquer :
– Ah parce que tu crois que l’homme moderne se préoccupe d'avoir une âme ?
Interloqué, Nicolas S a regardé un instant son ami, son visage s’est animé et il a été pris d’un grand rire libérateur.
À supposer, en effet, que l’origine d’un clone nous soit divulguée, en quoi pourrait-on le différencier de l’homme de ce siècle, l’homme sans Dieu, sans âme, sans cette scintilla dont parlent les mystiques et les théologiens, cette étincelle détachée du brasier divin, et qui nous fait devenir ce que nous sommes ? Peu à peu, nos deux héros se sont rendus à l’évidence : cette discrimination n’est plus permise. Cette Bonne Nouvelle qu’il faut apporter à l’Univers, selon saint Marc, ils doivent la recevoir comme tout un chacun. Ils font partie du Projet Fedorov : des milliards d’humains et leurs ersatz, robots et anibots, tous appelés à partir à la conquête de nouveaux mondes.
Ces dernières semaines, Bertrand D et Nicolas S ont réussi à contrecarrer des opérations menées par des groupuscules d’écolos contre des usines dédiées à la fabrication d'engins stellaires et de systèmes de propulsion. Avec le soutien d’autres agents de leur Confrérie, Nicolas S et Bertand D ont pu les neutraliser grâce à des tasers à longue portée. Ces écolos sont devenus des experts dans le sabotage et la destruction de tout ce qui se rattache au projet Fedorov. Ils veulent empêcher à tout prix le Grand Départ.
Grâce aux informations fournies par leurs indics, ils ont aussi pu libérer des gamines identifiées comme clones et prêtes à être livrées à des djihadistes d’Afrique et du Proche Orient. Elles ont été confiées à des Sœurs de la Charité qui doivent pourvoir à leur éducation.
D’autres communautés ont accepté d’accueillir des néo-humains dont la seule vue ferait reculer d’effroi les plus endurcis des missionnaires. Des manipulations rétro-génétiques les ont transformés en hommes-singes. On a expérimenté sur eux la possibilité d’une évolution régressive grâce à des procédures relevant du retro-engineering. Lorsqu’il les a découverts pour la première fois, Nicolas S n’a pu réprimer un mouvement de terreur. Mais il s’est souvenu alors de la vieille légende orientale de saint Christophe. Cette légende le dépeint comme un barbare cynocéphale, à tête de chien, faisant fuir d’épouvante tous ceux qui se risquent à l’approcher. Il a fallu une métamorphose, la vraie métamorphose, celle qu’accomplit la conversion, pour faire de lui le Christophore, le Porte-Christ, mort héroïquement en défendant la population chrétienne de Rome persécutée par l'empereur Décius. C’est sous le patronage de ce saint Christophe que se sont placés tous les missionnaires et les chevaliers engagés dans le Projet Fedorov.
Les communautés dans lesquelles vivent maintenant ces êtres infra-humains sont nées dans la deuxième décennie du 21e siècle. Le Pape d’alors exhortait les catholiques à répondre à leur vocation missionnaire et à se tourner vers les «périphéries». C’est chose faite, au-delà de tout ce qu'il était alors possible d’imaginer. Maintenant ils sont prêts. Le Projet Fedorov entre dans sa phase de maturité et l’Église catholique est appelée à y jouer un rôle de premier plan, le rôle central, qui répond exactement à sa tâche la plus essentielle, celle à laquelle elle ne peut se dérober et qui lui est constitutive : la transformation du Chaos en Cosmos.

Episode 8

«J'ignore le nom de mon âme, j'ignore d'où elle est venue et, par conséquent, je ne sais absolument pas qui je suis.» (Léon Bloy, Méditations d'un solitaire)

– Bonsoir messieurs, vous venez jouer dans mon nouveau film ? Je suis contente de vous rencontrer. Je m’appelle Wonder Woman.
Ce sont là les premiers mots que la jeune femme sans nom a adressés à ses visiteurs du soir. Cette première rencontre avec Nicolas S et Bertrand D remonte à plus de deux semaines. Depuis, ils viennent régulièrement la voir pour s’enquérir de son état. Elle occupe une chambre au service psychiatrique de l’Hôpital Sainte-Marie à Nice.
Nicolas S a choisi de l’appeler Laura. Peut-être serait-il plus juste de dire qu’elle s’est nommée elle-même, à travers lui. On ne lui connaît pas d’autre nom, sauf celui qu’on a incrusté dans son cerveau et qui lui tient lieu d’identité. Celui de Megan Garner, star du cinéma américain, connue pour avoir interprété des années durant le rôle d’une brune flamboyante portant un lasso et des bracelets magiques. Un rôle plus complexe qu’il n’y paraît et qui, grâce au succès des films, lui a permis d’intégrer la prestigieuse A-list d’Hollywood.
Laura doit avoir vingt ans tout au plus. Elle n’a pas quitté sa chambre d’hôpital depuis des semaines. Elle reste muette parfois pendant des heures avant, subitement, de se répandre en considérations sur tel film de Megan Garner, tel épisode de sa vie, telle idée qui lui vient à brûle-pourpoint. Ses yeux laissent parfois percer la lutte effrayante qu’elle mène au plus intime d’elle-même, en son ultime réduit, en cette mystérieuse «pointe de l’âme» où, selon les grands mystiques rhénans, s’opère l’ineffable origine de notre être.
Physiquement, on pourrait la confondre avec Megan Garner, si l’on en juge d’après les photographies de la star. Mais celle-ci s’était teint les cheveux et portait dans ses films des faux seins prothétiques pour ressembler à Wonder Woman. Elle avait tout misé sur ce rôle qui devait la propulser au pinacle de la célébrité. Laura, elle, est une vraie brune, à la poitrine généreuse de surcroît. La nature reniée semble avoir pris sa revanche sur l’artifice. Wonder Woman, c’est elle. Pas de doute. La ressemblance est d’autant plus flagrante que l’actrice lui a légué ses yeux bleus. Sa transformation en Laura, le «devenir ce qu’elle est», s’annonce difficile et douloureuse.
Sur son passé, on ne dispose d’aucune information vérifiable. Elle a pu avoir plusieurs mères et aucun père, son grand-père devant être alors tenu comme le seul père biologique. Dans le domaine de la reproduction non sexuée, les hommes de ce siècle ont expérimenté tous les possibles. On l’a trouvée un jour errant, non loin de l’hôpital. Elle balbutiait quelques mots en anglais et en français. Elle semblait avoir été abandonnée. Par qui ? On a découvert sur elle des papiers au nom de Megan Garner, mais celle-ci est morte depuis plusieurs années. Après une courte enquête, l’Evêché a décidé de la prendre en charge car il ne fait aucun doute qu’elle est un clone. Mais un clone qui a subi une neuroprogrammation visant à la dépouiller de son identité et à la conformer à son modèle, à sa mère donneuse. Sa mémoire est maintenant saturée de tout ce qui a constitué la trame de la vie d’une autre, de tout ce que Megan Garner a voulu immortaliser : sa naissance, son enfance, son premier Spring Break, ses mariages, ses succès, ses convictions idéologiques, ses appétences sexuelles, son chiwawa. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. L’intrusion transpsychique a provoqué en elle des résistances inexplicables. Quelque chose a échappé aux programmeurs. Quelque chose qui déjoue tous les calculs, quelque chose qui est de l’ordre de l’imprévisible. Certes, Laura a appris à vivre avec un cerveau piraté. Mais maintenant son état va en empirant. Et on envisage déjà de la confier aux Sœurs de la Charité, les seules à accepter de s’occuper des rebuts. Elle restera alors cloîtrée, amputée de son nom, à jamais aliénée.
Ce soir encore Bertrand D et Nicolas S sont venus lui rendre visite car son cas ne laisse pas de les inquiéter. Elle se repose. Ils se sont assis des deux côtés du lit…
– Tu sais Nicolas, lui dit Bertrand D, il y a deux manières d’être. La première est très simple : un individu n’est que ce qu’il devient, ce que les interventions extérieures le font, au physique et au moral. Cette jeune femme, on n’a reculé devant rien pour qu’elle devienne Megan Garner. Mais un individu peut être aussi tellement lui-même, s’être si plénièrement réalisé, qu’il cesse d’être ce qu’il devient, pour devenir ce qu’il est.
– Laura ? Tu veux dire ce nom ?
– Oui et ce n’est pas pour rire, innocemment, que tu lui as donné ce nom. Car dans le monde spirituel, le nom, c’est la personne elle-même, c’est la clef d’un être, c’en est le secret.
– Ce nom, nos noms, tous nos noms, dont le dernier livre de la Bible nous enseigne qu’ils sont inscrits dans le registre de vie depuis la fondation du monde.
– Prenons garde, Nicolas, qu’ils n’y soient pas retranchés. Prenons garde que ces paroles redoutables du Rédempteur ne nous soient adressées le jour du Jugement : «Je ne vous ai jamais connus : retirez-vous de Moi».
Ils regardent Laura quelques instants puis partent rejoindre leur équipe. Nicolas S se sent mystérieusement lié à la jeune femme, car c’est lui qui a divulgué son nom, ce nom inconnu d’elle-même et des autres. Laura, ces deux simples syllabes suscitent en lui d’étranges résonnances. Laura, c’est la femme qu’on aime et qu’on chante, à la manière d’un troubadour chrétien des âges anciens. C’est aussi la femme libre et intrépide dont lui et sa Confrérie ont besoin. Nicolas S sait qu’elle finira par se joindre à eux. Mais maintenant une nouvelle mission les attend. Elle doit les conduire à un centre de nanosciences et de nanotechnologies, situé en Belgique. C’est le jour J-1. Ce centre n’a rien de clandestin mais les expériences qui s’y déroulent laissent présager le pire. L’alerte rouge a été déclenchée.

Episode 9

Le Projet Fedorov : Première partie
Go, Go, Go… Placé à la tête de son unité, Nicolas S, la lentille nanotech fixée sur la rétine, organise le déploiement de son équipe. Son œil bionique lui permet de maîtriser tous les paramètres d’intervention, quel que soit son angle de vision. Le bâtiment de l’entreprise qui occupe une vaste surface est structuré autour du centre de recherche en nanosciences. Phase 1 : neutralisation en mode furtif des gardes extérieurs. Phase 2 : explosion de la porte. Vigiles, gardes affluent. Les jeunes chevaliers du Concile essuient des tirs nourris à l’arme automatique. Phase 3 : Abrités derrière leur bouclier blindé, ils lancent des grenades fumigènes. Les gardes tirent à l’aveugle mais, faute de repères, pris d’hésitation, ils cessent un moment de tirer. La tension est à son comble. C’est le moment que Nicolas S choisit pour passer à la phase 4. C’est le moment qu’il choisit pour lancer les hommes-singes. Non pas les bombes-singes que certains armuriers fabriquent encore en hommage au vieux wargame Call of Duty, et à l’efficacité diabolique. C’est pire que ça. Des hommes qui ont voulu se transformer en singes, des hommes-cobayes qui ont été transformés en singes. Des singes-hurleurs qui vont se jeter sur leurs proies pour les neutraliser. L’arme devient inutile. Ils sont l’arme. Dociles aux ordres, capables d’agir en parfaite coordination, agiles et rapides, doués d’une vision en 3D, ils s’enfoncent dans le brouillard de fumigènes. Sidération… Cris… hurlements… Ils ne laissent aucune chance aux vigiles et autres gardes surarmés. Glacés d’effroi, ceux-ci restent prostrés sur le sol. Le sang n’a pas été versé, à aucun moment.
À cet instant précis, Nicolas S comprend que sa Confrérie vient de passer un cap, qu’elle devient proprement redoutable. Il passe en revue son équipe. Voilà les hommes-singes, issus de la technobiologie la plus avancée et qu’ils ont su mettre à leur service. C’est là plus que «se faire des amis du Mammon d’iniquité», pour parler comme l’Évangile ; c’est en faire des serviteurs de l’Œuvre Commune, des serviteurs de Dieu. Voilà Antoine G qui a appris auprès d’un ermite orthodoxe à contenir la fureur des bêtes meurtrières. Xavier A qui le complète le mieux est connu pour maîtriser la technique dite des «hommes-léopards» appartenant à la tribu des Aniotas en Afrique, technique qui le rend apte à téléguider des bêtes sauvages et à les tourner contre des ennemis. Mais ils ont acquis d’autres dons encore : don de télépathie, capacité de contrôler et diriger la «matrix magique de l’imagination», qui prolongent et même dépassent toutes leurs techniques martiales. Bertrand D lui est un pilote hors-pair. L’Espace 2 est devenu comme un prolongement de lui-même. D’autres encore les rejoindront lors de prochaines missions. Mais ce qui les réunit avant tout, c’est la foi. La foi, au sens médiéval et chevaleresque, et qui fait d’eux les féaux, les hommes-liges, les compagnons de combat du divin Roi. Une question traverse alors l’esprit de Nicolas S : si Jésus refuse le concours guerrier de «douze légions d’anges», n’est-ce pas justement parce qu’Il entend continuer la véritable lutte à la tête des «douze tribus d’hommes fidèles » appelés en dernière instance à «juger les Anges eux-mêmes» ?
Absorbé par cette pensée, il s’avance avec ses amis vers le sas d’accès au centre de recherche. Au début du 21ème siècle, les start-ups sur les nanotechnologies ne cessaient de se développer grâce à l’afflux de crédits provenant aussi bien des Etats que des multinationales. Elles devaient devenir le cœur de la prochaine révolution industrielle. Lorsque l’Homme a commencé à se répandre dans le Cosmos, elles étaient parvenues au faîte de leur développement. Les Armées, les Agences spatiales utilisaient l’implant de nanos dans le cerveau à des fins de perfectionnement. Beaucoup de tâches restaient encore inaccessibles aux robots, devenus en cette nouvelle ère les auxiliaires de l’humain.
Bertrand D, en quelques minutes, parvient à débloquer la porte-sas fermant l’accès au centre de recherche. Ils entrent, laissant les hommes-singes à l’arrière pour garder les agents de sécurité. Ils parcourent lentement le couloir central. Tous les ingénieurs, médecins, infirmières, paniqués, effrayés par les détonations et par l'irruption de ces inconnus, ont cessé leurs activités et se sont regroupés dans les salles de confinement, l’animalerie, les chambres d’hospitalisation ou le bloc opératoire futuriste. Ils passent devant une chambre. Des infirmières, tapies dans un coin, sanglotent, croyant à l’intrusion de fanatiques islamistes. Nicolas S et Bertrand D se dirigent vers le bloc opératoire. Deux hommes en blouse blanche se tiennent debout, près du fauteuil ambulatoire sur lequel est allongé un homme, endormi. Sans doute un de ces patients qui a donné son «consentement éclairé», pense en souriant Nicolas S. Les médecins dévisagent nos deux héros avec mépris et d’un œil scrutateur pour essayer de découvrir leurs motivations. Avant d’entrer tous deux dans le bloc, Bertrand D prend par l’épaule son ami et lui murmure ces quelques mots :
– N’oublie surtout pas Nicolas… N’oublie surtout pas ce texte de saint Paul dont nous avons souvent parlé : ce qui compte, ce n’est pas tellement de connaître Dieu, mais d’en être soi-même connu.
Nicolas S garde un instant le silence, hoche la tête et pénètre dans la salle opératoire.

Episode 10

Ils ont prévu de tout détruire. Pour la première fois ils vont lutter contre le nihilisme avec des armes nihilistes. Nicolas S et Bertrand D se sont maintenant accoutumés aux fantaisies de la science rock-and-roll, née avec la convergence des technologies à l’orée du 21ème siècle. La conquête de l’espace et ses vaisseaux transporteurs, dont des ingénieurs russes et américains ont réussi à inverser la masse pour franchir la barrière luminique, les essais de résurrection immanente, l’émergence d’humanoïdes, tout concourt à faire de la science la voie maitresse de l’expansion de l’homme, de la réalité augmentée. C’est à peine s’ils s’étonnent encore de la ferveur médiatique que suscitent les concours de bricolage du vivant, véritables joutes en biologie qui opposent des jeunes candidats-chercheurs sélectionnés pour leur inventivité. Ce sont des fils de leur époque, qui ont connu la naissance du Projet Fedorov. Rien ne leur répugnerait autant que d’être accusés de néo-luddisme, rangés parmi les saboteurs écolo-fanatiques. Alors pourquoi cette irruption dans ce Centre de recherches, antenne de la Life Extension Corporation ? Pourquoi deux de leurs compagnons commencent-ils à disséminer des charges C4 dans différents endroits du laboratoire, tandis qu’un autre fait évacuer le personnel apeuré ? Pourquoi cette résolution froide de Nicolas S ?
Il est entré dans le bloc et se tient maintenant face aux deux individus qui dirigent les activités du Centre. Le premier est un neurochirurgien, le second, son assistant-ingénieur, fait office de mind-uploader. Leur technique chirurgicale consiste à associer des cellules neuronales humaines à des dispositifs artificiels.
– Qui êtes-vous, que voulez-vous à la fin ? s’exclame le jeune nano-technicien, la voix empreinte de mépris.
– Nous sommes là pour vous faire partir. Nous ne vous laissons pas d’autre choix que de quitter le bâtiment avec les autres membres du personnel. Nous allons nous occuper de votre… comment dire ? votre patient ?
– Mais savez-vous à quelle organisation vous osez vous attaquer ?
– Oui, elle est des plus puissantes, nous le savons. C’est pourquoi nous souhaitons qu’elle comprenne bien le message, l’avertissement solennel.
– Pauvres fous ! A partir de cet instant vous ne serez plus en sécurité nulle part. Est-ce que vous vous rendez bien compte ? Le bâtiment est truffé de nano-caméras et de capteurs. Vos visages sont déjà scannés, votre voix a été numérisée, vos empreintes décryptées. Il suffira d’une seule donnée pour établir votre identité. Partez pendant qu’il est encore temps.
Nicolas S se tait. Il sait la menace qu’il fait peser sur sa Confrérie. C’est une véritable traque qu’ils vont devoir affronter. La Life Extension Corporation, depuis la promulgation du droit à l’immortalité, érigé en droit universel, n’a cessé d’étendre ses ramifications. Elle rassemble un magma de sociétés spécialisées dans l’ingénierie de la mort, et brasse des milliards pour mener à bien ses projets. Elle ne propose pas seulement à l’homme de repousser les limites de l’âge, mais aussi de devenir a-mortel. Éterniser sa vie, ressusciter hic et nunc, telles sont les grandioses perspectives qu’elle lui promet de réaliser.
La compagnie met à la disposition de ses clients un large panel de techniques : de la plus rudimentaire, la cryogénisation, à la plus évoluée, l’uploading mémories pour les corps déjà ressuscités. Comme le corps-copie de Megan Garner, qui a voulu s’immortaliser par le truchement de la jeune femme sans nom, conçue comme artefact reproductible. Ce corps qui est celui de Laura, ce corps qui lui appartient et par lequel elle signifie sa présence au monde. Nicolas S sait qu’il s’expose à la mort en voulant contrecarrer les projets de cette compagnie toute-puissante. Mais il doit l’accepter car, avec ses compagnons, il a pour mission de sauvegarder ce qu’il y a de plus fragile et de plus précieux à la fois, ce que l’homme moderne a choisi de répudier, cet élément sacré que les Grecs et les Chrétiens ont toujours reconnu dans l’être individuel. L’individualité est intangibilis, lui avaient enseigné ses Maîtres du Vatican. Qu’est-ce que cela signifie, sinon que «chaque être créé a un sens qui lui est propre» selon les mots de sainte Edith Stein, dont il a toujours gardé souvenance. Ce sens correspond à son idée, à son thème, à son image sophianique qui ne peut aucunement se répéter : il ne peut y avoir de jumeaux ontologiques. Megan Garner a déjà suivi sa trajectoire. Laura suivra la sienne, dans la liberté, cette liberté de créature qui fait de l’homme l’agent responsable des destinées du Cosmos.
Un silence de mort règne maintenant dans le Centre. Les deux hommes sont conduits à l’extérieur, sous la garde des hommes-singes. Nicolas S est seul. Il s’apprête à enclencher le minuteur. Dans dix minutes tout aura explosé. La traque alors s’organisera et, pour échapper aux représailles, ils devront se disperser, puis vivre quelque temps cachés en camouflant leur identité. La Confrérie sera dissoute provisoirement. Bertrand D trouvera refuge dans un monastère bénédictin, tandis que ses autres compagnons rejoindront une communauté missionnaire en Afrique ou en Asie. Nicolas S, quant à lui, restera à découvert à Nice jusqu’à ce que Laura soit guérie. Le compte à rebours vient de commencer.

Episode 11

Can't you be my cosmic woman ?
I need you, I want you to be my cosmic girl
For the rest of time (Jamiroquai)

Il est heureux que la presse à sensation n’ait jamais été informée de la présence à Nice de la mystérieuse jeune femme qui a prêté sa structure corporelle à Megan Garner. Le secret, en effet, a été bien gardé. Laura a quitté le centre neuropsychiatrique de l’hôpital Sainte-Marie depuis quelques jours. Les Sœurs missionnaires de la Charité ont accepté de l’accueillir dans l’une de leurs institutions. Elle occupe maintenant une petite chambre dans un immeuble du Vieux-Nice appartenant à la congrégation.
Nicolas S vient souvent lui rendre visite à la tombée de la nuit. C’est pour elle qu’il est revenu. Il limite au minimum ses déplacements pour éviter d’être repéré. Nul doute que les meilleurs agents de la Life extension Corporation sont déjà à ses trousses. Il sait qu’il n’est pas en sécurité à Nice, ville ultra-surveillée. Des milliers de caméras 360, équipées de morpho-analyseurs, balaient chaque quartier, chaque rue, en ses moindres recoins. Il est évident que l’organisation dispose des ressources technologiques pour se connecter à n’importe quel réseau de surveillance. Jusqu’à quand pourra-t-il échapper à ses traqueurs ? Le temps lui est compté et rien ne permet d’assurer que Laura puisse un jour sortir de son enfermement intérieur. Il se sent responsable de ce qui va advenir à la jeune femme. Car il lui a donné un nom. Pas n’importe lequel. Un nom nouveau, personnel, abolissant le nom-simulacre, sorte de monstre onomastique qui absorbe toutes ses forces vives. L’implant mémoriel connecté à son système nerveux la rend toujours sujette à des troubles dissociatifs. Elle est assaillie de manière récurrente par des pensées, des suggestions et des souvenirs intrusifs. Porteuse d’un fantôme psychique, elle va devoir apprendre à lutter, à le maintenir sous le contrôle de son esprit. Compos mentis disait le latin. Ce fantôme, généré par la technologie dite du nano-remplacement, n’a de cesse de la tourmenter, de faire défiler sur son écran mental des fragments de souvenirs non-vécus, des séquences parfois ininterrompues d’images, qu’elle ne parvient pas à juguler et ordonner. Les programmeurs ont eu tôt fait de constater l’échec de l’opération d’uploading. Ils ont conclu à la bio-incompatibilité de la nanostructure injectée dans son cerveau. C’est ainsi que jeune femme est devenue un rebut, sans identité propre, sans famille, vampirisée par sa mère donneuse mais aussi abandonnée par elle. Car Megan Garner, devenue adepte de spiritisme au soir de sa vie, a sans doute été déjà uploadée vers d’autres supports, «non matériels» cette fois. Les plus grandes firmes de technologie axent depuis longtemps leurs recherches sur le transfert de personnalité vers des ordinateurs ou des robots. Il est d’ailleurs probable que Megan Garner possède quelque part son avatar en trois dimensions activable à tout moment.
Une sœur s’est très vite prise d’affection pour la jeune Américaine. Elle s’appelle Agnès. Elle s’est installée dans une chambre contigüe à celle de Laura. Elle se décrit comme une revenante, qui a su échapper à la perpétuité du «rêve éveillé». On l’a souvent interrogée sur cette étrange expression, qui désigne un état ordinaire de l’être humain, susceptible de dégénérer en pathologie. Elle l’a empruntée à Léon Daudet, pamphlétaire truculent et vitupérant de l’Action Française au siècle dernier. On ignore souvent qu’il a publié des études scientifiques du plus haut intérêt sur le rôle de l’hérédité et de l’esprit dans l’homme. Le rêveur éveillé, c’est celui qui à tout instant est envahi par une pléthore de perceptions, de sensations, de sentiments, d'idées, et mû sans le savoir par ces protagonistes psychiques héréditaires que Daudet appelle les «personimages», ces habitants du moi. Il ne pouvait pas soupçonner à son époque la possibilité d’existence de personimages artificiels. Laura est habitée par le sien, programmé pour l’envahir tout entière et se substituer à elle. 

............. 

Les jours passent et les semaines aussi. La jeune femme ne se souvient toujours pas de son passé. Tout se passe comme si sa mémoire artificielle avait interféré dans sa mémoire individuelle, au point de la court-circuiter. Sœur Agnès la soutient à tout instant dans sa lutte intime. Elle l’aide à porter son fardeau, comme elle le faisait pour d’autres lorsqu’elle appartenait à la branche des coopérants souffrants de l’ordre des Missionnaires de la Charité. Elle la guide aussi afin qu’elle puisse se passer d’aide. Elle lui apprend à devenir maîtresse d’elle-même, mais aussi à exercer sa volonté et son jugement lorsque son esprit est traversé par des pensées programmées. La neuroprogrammation a eu pour conséquence de décupler ses capacités métacognitives. C’est ainsi que le poison est devenu un remède. Sa pensée peut se déployer sur plusieurs plans à la fois. Sans même avoir à s’abstraire de son environnement, elle est capable de fixer son attention sur une chose précise et, simultanément, d’effectuer une plongée mentale visant à désobstruer son espace intérieur, sans cesse menacé par l’afflux d’images parasites. Elle s’adonne régulièrement à des exercices de double et même de triple focalisation afin de garder en toutes circonstances le contrôle de son personimage. Sa conscience s’éclaircit et elle commence à s’ouvrir au monde extérieur...

.............
Nicolas S a amené la jeune femme dans une salle d’arts martiaux, qu’il fréquente le soir avec les Chevaliers de Colomb, membres d’une organisation de bienfaisance réservée aux hommes. Il sait que le danger approche et il ne veut pas perdre la main.
L’entraînement bat son plein. Un instructeur propose d’initier Laura aux rudiments du sport de combat. Tous les garçons se regroupent autour du tatami. «Je vais appliquer la version douce» lui dit-il, le sourire en coin. Ce qui signifie : aucune frappe, aucun geste brusque, respect de la personne considérée dans sa totalité. Mais l’inattendu se produit. Laura esquive la tentative de saisie et d’un balayage soudain le projette au sol.
Décontenancé, le jeune instructeur décide une attaque de niveau 2 qu’elle repousse avant de lui asséner un high-kick si puissant que le choc l’envoie rouler à nouveau sur le sol. La stupéfaction est générale. Comment a-t-elle pu acquérir si jeune une telle maîtrise ? Cela a certainement à voir avec le programme qu’on lui a imposé en vue de la conformer à Megan Garner et, à travers elle, à la belle Amazone de DC Comics.
Les niveaux se succèdent et, à chaque fois, le jeune homme se retrouve au tapis. Il se dirige alors vers Nicolas S et lui dit, d’un ton amusé :
– Tu ne m’avais pas dit que ton amie était encore en convalescence ? Franchement, parfois je regrette que notre organisation soit réservée aux seuls garçons. En tout cas les leçons de Kali Arnis, ça sera pour une autre fois, avec d’autres. Je n’ai pas envie de me faire battre à coups de bâton par une fille, aussi charmante soit-elle.
– Je te le déconseille en effet
– En tout cas elle a piqué ma curiosité. Elle fait partie de votre groupe, de la Confrérie ?
Nicolas S reste un moment silencieux puis répond d’un ton hésitant :
– Je ne sais pas encore.
Il se retourne vers la jeune femme, le cœur serré. Quel sens pourrait-il donner maintenant à sa présence auprès d’elle ? Il est voué à pérégriner ici et à travers des essaims d’étoiles dont lui-même ignore encore l’existence. Il ne pourra jamais s’établir. Laura a repris possession de son identité, de son être véritable. Une nouvelle vie commence pour elle à Nice. Elle peut repartir à zéro. Il la regarde. Ses longs cheveux noirs déployés en cascade, l’harmonie sculpturale de ses formes, l’équilibre de ses proportions, la force qu’elle dégage, font rayonner sa beauté sauvage, païenne. Les garçons papillonnent autour d’elle. Il va partir….

Episode 12

La Grande Mue s’est déjà produite. Le monde a été configuré à la mesure de la techno-science dominatrice. Voici maintenant arrivé le moment cyborg de l’humanité. Ce moment où l’on peut s’éprendre d’une jeune femme neuroprogrammée, s’assoir avec elle à une terrasse au bord de mer, les yeux fixés sur la traînée d’or laissée dans le ciel par les navettes filant vers Alpha du Centaure.

Nicolas S est resté plusieurs jours sans voir Laura. Il préparait son départ. Il préparait sa fuite. Inquiète de son silence, la Sœur de la Charité est venue lui rendre visite. Elle fait partie des rares personnes à connaître son adresse, avec l’instructeur des Chevaliers de Colomb et un cardinal de la Curie romaine. C’est lui qui a mis à sa disposition le petit studio meublé qu’il occupe depuis plusieurs semaines. Nicolas S a déposé boissons et gâteaux sur la petite table au milieu de la pièce, une Digitable avec projecteur holographique intégré. Sœur Agnès s’est assise et a pianoté quelques mots sur le clavier virtuel. Soudainement une image est apparue au milieu de la pièce et des pages internet ont commencé à défiler sur le mur en face. Une grande image en 3D du fils Daudet surnommé le gros Léon à son époque, et des informations ayant trait à un phénomène courant de l’activité mentale : le rêve éveillé. Elle a downloadé une œuvre de Daudet, surligné quelques passages avant de les rétroprojeter sur différents pans du mur.
– Qu’est-ce que le rêve, Nicolas ? Vous allez peut-être me répondre qu’il s’agit d’un attribut du sommeil. Eh bien pas seulement, car le rêve, comme l’explique notre auteur, est sans cesse mêlé à notre vie courante, même éveillée. Chez chacun de nous le rêve éveillé existe à l'état presque constant. Je le cite : il est «un passage continuel, à l'horizon mental, de lambeaux de souvenirs, d'images de toute sorte, elles-mêmes fragments de personnes héréditaires». Vous faites le rapprochement avec Laura ?
– Je crois. Elle souffre d’une forme mutante du rêve éveillé, provoquée par la technique de la refabrication mémorielle. L’hérédité et la neuroprogramnation mettent en œuvre les mêmes mécanismes psychiques.
– Oui mais ne séparez pas les deux processus. Que Laura ait été conçue naturellement ou artificiellement importe peu. Megan Garner reste sa mère.
– Une mère dévoratrice, devriez-vous ajouter. Sa mère porteuse a loué son ventre, certes. Mais elle l’a portée dans sa chair pendant tout le temps de la grossesse. Elle ne la connaitra jamais. L’autre…
– Nous n’avons aucune information sur la conception de Laura. Il vaut mieux ne rien savoir. N’abordez jamais ce sujet avec elle. Megan Garner est sa mère. C’est la seule certitude à laquelle nous devons nous accrocher.
Surpris par le ton sec et sévère de Sœur Agnès, Nicolas S est resté quelques instants silencieux. Puis il a lu à voix basse quelques passages des textes projetés sur le mur… Notre mémoire est hantée par le spectre de nos ancêtresUn ou plusieurs fantômes se superposent à notre personnalité et nous entraînent dans des directions que nous n’avons pas choisies, qui nous répugnentLa volonté peut modifier les phénomènes héréditaires, en agissant sur les images intérieures. Sœur Agnès l’a alors interrompu :
– Vous comprenez pourquoi il fallait intervenir très vite avec Laura et empêcher que le fantôme de l’actrice américaine ne prît le contrôle d’elle-même. Son atout maître, c’est sa force de volonté. Elle a toujours cherché à repousser les souvenirs et les images reliés à sa mémoire truquée. Car aucune contrainte, aucune technologie ne pourra jamais annihiler cette part libre et intransmissible de la personnalité, que Daudet appelle le soi, sorte de régulateur du rêve éveillé. Laura était prête au combat, depuis le commencement. Je l’ai seulement accompagnée. Et c’est à votre tour maintenant de l’aider.
– Comment… comment ça ?
– Vous l’aiderez et elle vous aidera.
– Mais mon départ est proche, je vais partir…. Elle ne pourra pas…
Sœur Agnès s’est tue quelques instants.
– Mon cher Nicolas, je crois qu’une petite pause ne serait pas superflue. Et si nous sortions un peu ? Allons nous balader sur la Promenade des Anglais.
– Malgré toutes les caméras de surveillance ? Vous savez bien que…
– Le meilleur moyen de sa cacher c’est encore de se fondre dans la foule, de faire comme tout le monde. Quant aux caméras… si vous saviez…
Nicolas S n’a pas compris le sens de ses paroles. À force d’insistance elle a fini par le convaincre de l’accompagner. Sa première sortie sur la Promenade...
Nissa la bella, à jamais associée à Laura. Il partira et ne les reverra peut-être plus. La Ville, sa Baie des Anges et la jeune femme programmée. Ils ont marché. Sont-ce les caméras qui l’ont repéré ou lui qui les a repérées ? Il n’aurait su le dire. Elles sont partout. Cameras rotatives Gear 360, à peine visibles sur les palmiers ou bien en vue de tous sur des pylônes, tous les 50 mètres. Cameras bulles sur les façades des immeubles rescapés de la Belle Époque. Il a regardé avec fascination le ballet des drones survolant la Promenade, avec nanocaméras embarquées. C’est dangereux mais c’est beau, s’est-il dit. Ils ont croisé des rocketskaters, des robocops, d’étranges anibots chargés du nettoyage de l’avenue et des plages, d’innombrables vacanciers qui n’ont pas changé de look depuis des décennies : style Quicksilver ou Bikini.
………....
Sœur Agnès ralentit le pas depuis quelques minutes. Ils ont longé le Palais de la Méditerranée et se dirigent vers la Colline du Château. Au milieu du Quai des États-Unis, elle s’arrête soudainement.
– Voilà, nous allons nous quitter. Laura nous attend, près de la plage du Castel, en bas du Château. Elle est assise sur une chaise, voyez là-bas, sur une de ces chaises bleues niçoises qui sont un peu le symbole de la Promenade. Vous allez l’inviter au restaurant, sur la plage ou dans la vielle ville. Nos chemins se séparent maintenant, vous comprenez ?
Elle lui prend la main et la tient quelques instants. Puis elle s’éloigne, en direction de l’Église du Vœu. Que faire alors ? Nicolas S hésite à rebrousser chemin. Il avance quand même vers le Château... Elle est là-bas, la jeune femme programmée. Sa silhouette se précise à mesure qu’il s’approche. Sa couleur de peau est celle de l’ambre ensoleillée. Elle porte un short bleu clair et un léger débardeur. Elle est brune et elle est belle…

Episode 13

La statue de la Liberté niçoise est implantée au milieu du Quai des États-Unis. Laura s’arrête pour l’observer. Cette statue a été dressée il y a une trentaine d’années pour célébrer les liens séculaires unissant Nice et les États-Unis d’Amérique. Nicolas S se tient tout près de la jeune femme et la regarde du coin de l’œil. Elle paraît d’abord troublée. Mais, bientôt, un doux sourire se dessine sur son visage. Des souvenirs implantés, remontant à la période la plus glorieuse de la carrière de Megan Garner, émergent à la surface de sa mémoire. Elle voit son étoile rose sur le Hollywood Walk of Fame. Elle la voit rayonnante aux avant-premières de ses films à Londres et Los-Angeles ou au Comic Con de San Diego. Elle la voit monter les marches du Festival de Cannes. Laura est heureuse pour elle. Mais ces images, qui défilent les unes après les autres, menacent d’envahir tout le champ de sa conscience. Elle sait qu’elle doit contrôler son personimage. Son soi qui régit en elle la gravitation mentale des images lui envoie ce signal : off.
Ils finissent par s’éloigner de la statue. Des badauds se retournent sur le passage de la jeune femme. Nicolas S comprend qu’il est de temps de trouver un endroit discret, à l’abri des caméras et des regards fureteurs. La plage du Beau Rivage fera l’affaire. Sa grande terrasse face à la mer offre le cadre idéal pour un déjeuner en tête-à-tête. Nicolas se surprend à regarder fébrilement autour de lui. Les plagistes et les droïdes serveurs s’affairent. Il ne détecte aucune présence suspecte. Les voiles d’ombrage vont les protéger de l’œil des drones.
Tous deux s’assoient. Laura détache ses cheveux maintenus en chignon flou. Ses longues mèches de jais retombent en cascade ondoyante sur ses épaules. Pour masquer son trouble, Nicolas S s’empare d’un menu digital card, glisse ses doigts sur la surface tactile en faisant mine de s’y connaitre en matière de gastronomie locale. Il opte en entrée pour un tataki de Thon rouge au sésame et sa sauce sucrée au wasabi et choisit en plat un saumon en escalope cuit vapeur émulsion de fenouil. Il relève la tête et s’aperçoit que la jeune femme ne l’écoute pas, qu’elle semble ailleurs, comme absorbée dans son rêve éveillé. Son regard, tourné vers la mer, se perd dans le lointain, vers le ciel, là où les navettes se métamorphosent en nuées lumineuses, avant de disparaître dans l’espace. Puis elle lui dit après un moment de silence :
– C’est étrange, je n’ai pas de souvenirs relatifs à la conquête spatiale. J’étais déjà née lorsque les premières colonies interstellaires ont vu le jour. Sœur Agnès m’a parlé un peu, vaguement, du Projet Fedorov. Je me suis parfois aventurée jusqu’au cosmodrome… mais je n’ai pas de souvenirs et…
Après un moment d’hésitation elle ajoute :
– Mon programme… il ne me dit rien…
Nicolas S la coupe aussitôt :
– Ce n’est pas au programme que vous devez vous fier. Je vous apprendrai ce qu’il faut savoir, au fur et à mesure…
– J’ai surtout besoin qu’on me dise la vérité. Vous m’excuserez, d’ailleurs, de vous poser cette question toute simple. Ce projet de Fedorov, il a d’abord pour but la résurrection de nos parents et de nos ancêtres, je me trompe ?
Nicolas S reste un moment silencieux, puis lui répond :
– C’est en partie vrai. Mais, à mon sens, il a surtout servi à justifier le financement de l’exploration spatiale. Ce projet de résurrection artificielle des morts nécessite au préalable la découverte de nouvelles planètes habitables. Il a donc permis de donner une impulsion définitive aux recherches sur les technologies de navigation interstellaire. Il n'a été en fait qu'un prétexte. L’explosion démographique, les invasions migratoires, l’épuisement des ressources de la planète, les dérèglements climatiques ont rendu la «solution Fedorov» acceptable pour tous. C’est pourquoi une coalition internationale s’est rapidement mise en place. Tout a été très vite.
– Pourtant, il me semble que les premières expériences pour faire ressusciter les défunts ont coïncidé avec le lancement des premières missions d’exploration. Elles n’ont jamais cessé depuis lors. Et il y a eu des prototypes…
Nicolas S ne répond rien. Laura plante son regard dans le sien. Il comprend qu’elle est en train de le passer au scanner. Il doit vite trouver un sujet de diversion. Heureusement, la jeune femme prend les devants.
– Vous savez, je me suis documentée, lui dit-elle d’une voix enjouée. Je crois qu’il est temps de commander, non ?
– Vous avez choisi ?
– J’ai passé le menu au peigne fin, dans ma tête, pendant que nous discutions. Pour moi donc ce sera un simple Chicken burger maison, accompagné d’un Cherry coke.
– Le Burger ? lui dit-il en reprenant sa tablette. Un menu américain donc… vos origines sans doute ?
– Non, juste une question de goût… Et j’ai beau être américaine, je parle couramment votre langue. Je suis un peu française, non ?
– Sans doute. Vous pouvez ainsi au gré de votre fantaisie choisir d’être une azuréenne ou une californienne. Mais vous n'en restez pas moins une fille du soleil.
Laura esquisse un léger sourire amusé, puis pianote à nouveau sur sa tablette.
– Voilà, j’ai aussi commandé des Snow cones en dessert. Que diriez-vous d’aller les savourer après le repas sur deux de ces beaux transats bleus et blancs, au bord de l’eau ?
Nicolas S saute sur l’occasion. Il a besoin de marcher un peu, de détendre son esprit.
– Avec plaisir. Je m’en vais de ce pas les réserver.
Il se lève et se dirige vers un plagiste qui zigzague entre les transats… Des snow cones, c’est quoi ça, se demande-t-il…
.............

Bercé par le clapotis des vagues, Nicolas S se prélasse sur son transat couleur du ciel. Face à lui, la mer. Ou plutôt un petit groupe de jeunes munis de capteurs et de lunettes à réalité augmentée. Directement connectés à Virtuanet, ils sont immergés dans un jeu en ligne multijoueur. Ils ont adopté le mode escarmouche dans une énième version de Warcraft. Leurs propres clones virtuels s’animent dans un décor peuplé de furbolgs, de trolls, de gnolls, tous plus vrais que nature. Nicolas S cherche Laura du regard. Elle se baigne tout près du groupe. Sa silhouette ambrée, qui évoque celle d’une sauveteuse de Malibu, se découpe sur fond d’azur. Elle rejoint le ponton de la plage pour s’y allonger. Sa peau ruisselante d’eau scintille par endroits sous les rayons du soleil parvenu au zénith. Elle est maintenant dans le champ de vision des joueurs, là où ont pris position des orcs aux crocs dégoulinant d’une bave noirâtre. Elle se couche sur le dos, une jambe tendue, l’autre pliée, campée dans une pose sculpturale...
Les jeunes ont interrompu leur jeu et finissent par s’éloigner. Nicolas S ferme les yeux à son tour mais il ne parvient pas à s’assoupir. Ses pensées le ramènent toujours à la jeune femme. Surtout, il cherche à analyser l’étrange impression qu’il a ressentie à plusieurs reprises en la regardant se baigner. L’impression de voir sa mère reviviscente en elle. L’actrice. La bombshell américaine, comme la surnommait un critique des Cahiers du Cinéma. La femme technicolor. S’agit-il là de l’effet d’une autosuggestion ? Nicolas S n’arrive toujours pas à accepter l’idée que cette femme ait voulu se répliquer. Mais la technologie serait-elle seule en cause dans ce dédoublement qu’il a cru ou voulu percevoir ? Devra-t-il plutôt l’imputer à cette force, à cette magie mystérieuse de la nature qui la rend capable de conformité dans la multiplicité ? Sœur Agnès lui a appris que les personimages peuvent véhiculer les systèmes verbaux, auditifs, visuels et même corporels des ancêtres. «N’essayez jamais de rompre l’attachement naturel qu’elle éprouve pour sa mère», lui avait-elle rappelé avec fermeté. Oui, se dit-il, mais Megan Garner est bel et bien morte. Que reste-t-il maintenant de son vœu d’immortalité ? Un hologramme en 3D ? Elle a cherché à ruser avec la mort mais elle a perdu la partie. Un rictus de contentement se dessine sur les lèvres de Nicolas S. Mais la voix de Sœur Agnès lui parle encore, quelque part. Il la revoit en pensée et l’entend à nouveau. Que lui dit-elle ?
– Écoutez bien cher Nicolas... La mère de Laura a voulu prendre part à sa propre résurrection. Elle a partagé les chimères de Fedorov. Il ne reste d’elle qu’une insaisissable présence numérique, activable selon le bon vouloir de ses derniers proches. Les films qui ont fait sa renommée n’intéressent plus personne. Son nom même tombera bientôt dans l’oubli. Pourtant, il reste ce lien indéfectible qui la relie à sa fille. Ce lien qui ne peut être tranché. Ce lien qui oblige Laura à se porter garante de sa mère et à racheter ses fautes. C’est pourquoi elle va vous suivre et vous aider... Voilà... Maintenant, Nicolas, prenez ce flyer que vous tend la jeune fille et préparez-vous à passer une belle soirée au clair de lune avec Laura. Profitez-en car demain sera un autre jour et une mission des plus redoutables vous attend.
Il ouvre les yeux. Une jeune fille lui tend un flyer coloré en souriant. C’est un carton d’invitation à une Beach Party qui se tient en face du Negresco. Il lit quelques lignes au dos : «... au cœur de la plage privée nouvelle génération Blue Beach qui mêle détente, luxe et art de vivre authentique, une programmation exigeante et éclectique vous est réservée. Notre piste de danse équipée de la technologie Hologram dance dance revolution vous promet des moments inoubliables». Encore un truc en 3D japonais, se dit-il en soupirant. Cette dernière phrase lui paraît destinée : «... sous le ciel parsemé d’étoiles et de navettes spatiales, les couples se rapprocheront aux sons de nos Love Songs soigneusement sélectionnées». Love Songs... Ces mots pleins de promesse le remplissent d’inquiétude. Saura-t-il se montrer à la hauteur ? Il ne peut pas se permettre d’échouer. Toutes les cartes sont entre ses mains.

Episode 14

Wonder Woman
L’inconnu descend les derniers degrés qui conduisent à la plage. Il embrasse d’un regard circulaire ce lieu iconoclaste, peu propice à une halte méditative. La fête bat son plein et il y a foule. Autour de lui, on va et vient, on bavarde, on rit, on danse. Ces manifestations de joie le laissent de marbre, absorbé qu’il est par sa tâche immédiate. Il doit trouver Nicolas S.
Touristes, jeunesse de nuit, aventuriers de l’espace, habitués du Negresco, se mélangent dans un décor à la fois cosy et néo-futuriste. Serveuses stylées et droïdes s’activent entre les tables. L’inconnu cherche un endroit convenable pour voir sans être vu. Il se poste finalement dans un coin excentré de la plage et laisse son attention errer quelques instants. Il finit par la fixer sur la grande piste de danse dressée devant la mer.
Masquée par les autres danseurs, réels et virtuels confondus, la jeune femme ne lui apparaît d’abord qu’à travers les inflexions de son corps. Puis elle se détache en pleine lumière, simplement vêtue, mais royalement parée de sa beauté brune. C’est elle. Pas de doute. Un hologramme a synchronisé ses mouvements aux siens, servant de faire-valoir à l’unique centre qu’elle est. Le rythme de ses pas, ses ondoiements épousent naturellement le rythme de la musique. Son aisance s’explique par le fait qu’elle a été très tôt confiée par l’actrice aux soins des meilleurs maîtres. Enfant, elle a passé de nombreuses heures dans les studios de danse. Tout cela, Laura l’ignore. Elle ne se souvient de rien. Mais le corps lui n’oublie pas. Le corps est une mémoire en actes.
Tournant la tête, l’inconnu aperçoit Nicolas S, à l’écart de la piste, les coudes posées sur une table haute et qui semble plongé dans ses pensées. Quelques minutes s’écoulent avant que la jeune femme ne le rejoigne, et comme elle s’étonne de ne pas le voir danser, il lui dit : « Ah vous savez, le virtuel et moi...»
– Dansons ensemble alors, lui répond-elle sur un ton amusé.
– C’est que… tout de suite ?
– Plus tard, il sera trop tard.
Elle ne pense pas si bien dire.
– Il n’est jamais trop tard pour danser... un slow, réplique Nicolas S qui a encore en tête les mots du flyer.
– Danser un slow avec un hologramme ? fait-elle, le sourire en coin. Quelle drôle d’idée ! J’ai hâte de voir comment vous allez vous y prendre.
L’inconnu ne les quitte pas de yeux. Comme guidé à son insu, Nicolas S finit par s’éloigner avec Laura de la piste de danse. Tous deux s’assoient dans un coin tranquille de la plage, où personne n’est censé les déranger. Ils commandent des glaces à un droïde.
L’homme s’approche alors de leur table et se poste devant eux :
– Pardonnez cette intrusion…
Puis se tournant vers Laura, il enchaîne :
– Tandis que je vous regardais danser, il m’est revenu en mémoire la phrase d’un illustre écrivain que j’ai découvert pendant mes études en France : «La danse est une musique que l’on regarde». Quoi d’étonnant quand on sait que «l’œil écoute», selon les dires mêmes du poète ? Les citations, voyez-vous, c’est une manie chez moi. Ma besace en est pleine. En voici une autre qui vous est destinée, poursuit-il en s’adressant cette fois à Nicolas S : «Une grande menace pèse sur le monde. Des bruits sinistres se répandent, pareils à ces grondements du ciel, précurseurs d’orage».
L’inconnu prononce ces mots d’une manière emphatique et déclamatoire. Nicolas S fait sur sa chaise un bond de surprise qui n’échappe pas à la jeune femme. Il vient de reconnaitre l’incipit du roman d’aventures Le Capitan, utilisé comme code rouge par le Département des missions spéciales du Vatican. Le niveau le plus élevé d’alerte. Cela signifie que quelque chose de très grave est en train de se produire.
Après un salut respectueux, l’inconnu s’éloigne à grands pas.
– Il est complètement fou ce type ! s’exclame Laura...
– Si seulement, répond Nicolas S en fronçant les sourcils...
– Un Italien ?
– A quoi le reconnaissez-vous ?
– L’accent chantant, le style aussi. On en croise beaucoup à Nice.
– Ça c’est sûr… À propos, j’ai oublié de vous poser une question : vous n’avez jamais eu envie de visiter Rome ?

Episode 15

– Alors ma chère, il paraît que vous allez nous quitter quelques jours.
La porte à peine franchie, Sœur Agnès entre dans le vif du sujet. Elle parcourt du regard la chambre de Laura. La fenêtre est ouverte, laissant entrer les bruits du Cours Saleya voisin. Tout est en bon ordre. Aucun signe apparent de préparatifs en vue d’un départ.
– Les nouvelles vont vite, à ce que je vois, dit la jeune femme. En fait, je n’ai encore rien décidé…
– Vous n’êtes pas censée partir demain matin ?
– Oui… mais…
– Vous hésitez ? C’est embêtant. J’avais l’intention de vous confier une petite mission. Dans quelques jours, notre Maison à Rome organise des rencontres avec certains de nos amis bienfaiteurs. J’espérais que vous pourriez me représenter lors de ces réunions. Le but est de récolter des fonds pour nos œuvres de charité.
La jeune femme, surprise, ne répond pas. Sœur Agnès enchaîne :
– Les autres Sœurs ont donné leur accord. Vous ne voudriez pas les décevoir, n’est-ce pas ?
La jeune femme évalue la situation en quelques secondes dans sa tête.
– Bien sûr que non. Je vais faire ce que vous me demandez Agnès. Vous pouvez compter sur moi.
– Je n’en doute pas un instant, répond-elle en lui tendant une enveloppe. Voici une petite somme pour couvrir vos frais. Une chambre vous attend à la Casa Cappucini près de la Place d’Espagne. Tout est réglé.
.............
Laura avance au milieu de la foule cosmopolite et bigarrée qui emplit déjà le terminal 1 du Cosmodrome. Elle aperçoit Nicolas S près de la zone d’embarquement, occupé à discuter avec un garçon. Sans doute le pilote dont il lui a parlé hier... Un certain Bertrand... Elle a entendu prononcer ce nom à l’hôpital lors de leurs visites. Des images remontent à la surface. Elle se voit d’en haut, comme en surplomb, alitée, ayant perdu le contrôle de ses pensées, de ses gestes, et comme dissociée d’elle-même. Obéissant à une suggestion intérieure, Laura refoule aussitôt cette vision.
Désireuse de créer un effet de surprise, elle se déporte sur la gauche pour les contourner et, arrivée à leur hauteur, elle leur dit :
– Vous parlez de moi ?
Ils se tournent.
– Bonjour monsieur, dit-elle en serrant la main de Bertrand D. Laura Garner. C’est un plaisir de faire votre connaissance.
Un vif étonnement se peint sur le visage du jeune Suisse. Sur le coup, il la reconnaît à peine. Nicolas S a dit vrai sur sa guérison. Elle a puisé au tréfonds de son être la force de se relever. Mais eût-ce été possible si elle n’avait pas reçu son nom ? Ce nom nouveau, ce nom-semence, devenu sien et dont elle doit réaliser l’entéléchie. Bertrand se rappelle la parole du théologien Serge Boulgakov : «Si être nommé, c’est naître, être renommé, c’est renaître».
– Pareillement, dit-il après quelques secondes de silence. Je me réjouis de vous voir si bien rétablie.
– Nicolas m’a dit que vous avez bien voulu faire un détour pour venir nous chercher. C’est fort aimable de votre part. Vous connaissez bien Rome ?
– J’y passe plusieurs semaines par an.
– Très bien. Vous pourrez nous servir de guide à l’occasion. Cela dit, je risque de manquer de temps libre. Je vais avoir fort à faire pendant la semaine. Dès demain je dois assister à une réunion avec des donateurs mécènes.
Bertrand lance un regard furtif à Nicolas S.
– Ah oui, lance celui-ci avec un ton faussement dégagé, j’ai omis de te dire que notre amie travaille maintenant pour le compte des Sœurs de la Charité.
– J’ai raté un épisode ? demande Bertrand d’un air interrogateur et amusé.
– Plusieurs même. Je te raconterai tout à bord de l’Espace 2. Maintenant, partons.
– Partons, répète Laura avec entrain.

Episode 16

Les deux amis montent à grandes enjambées l’escalier de Pie IX pour rejoindre la cour Saint-Damase autour de laquelle s’ordonne le Palais pontifical. Ils se dirigent vers l’aile ouest, saluent les gardes suisses qui les connaissent comme des familiers et grimpent au troisième étage jusqu’au bureau du Cardinal Gonzales. Ils s’entretiennent quelques minutes avec lui et son secrétaire, puis tous quatre rejoignent une salle voisine pour prendre part à la réunion du Grand Conseil. Les principaux membres sont présents. Des Maîtres aussi. Chacun prend place autour d’un grand cercle en mosaïque. Après un court aparté, le cardinal laisse la parole à un Conseiller, le numéro trois de la Secrétairerie d’Etat :
– Messieurs, des sources concordantes attestent qu’une organisation née sur les décombres de la Société Théosophique prépare l’avènement du Grand Instructeur. Des rumeurs bruissent dans de nombreux milieux occultes. Un ordre a été fondé autour de sa personne. Comme vous le savez, nos équipes au sein du Département sont formées pour traiter et décoder ce genre d’information. Elles sont donc aptes à démêler le vrai du faux, sachant que dans notre monde inversé, comme l’avait bien vu un penseur français, le vrai peut-être un moment du faux.
– Mais alors qu’y a-t-il de vrai dans cette histoire ? demande Bertrand D.
– J’y viens. Nous savons que des maîtres du gros argent, comme disait Beau de Loménie, et un consortium de firmes privées de bio-ingénierie ont partie liée avec cette organisation. Des ententes se nouent dans l’ombre. Quelqu’un se cache derrière l’Instructeur. Un individu que nous avons toutes les raisons de redouter. Un individu que l’alchimie génétique et les sciences occultes ont doté du double pouvoir du Noir : le pouvoir de fascination et le pouvoir de la peur. Il est encore «retenu». Jusqu’à quand ?
Un silence se fait dans la salle, interrompu par un autre Conseiller.
– Nous savons qu’il réside sous haute protection dans la station orbitale Blue Origin qui abrite des milliers d’individus à 25.000 km de la Terre. Aucun de nos informateurs n’a réussi à l’approcher. Nous ignorons à quoi il ressemble. Un vrai fantôme. Son nom, s’il en possède un, n’a sans doute d’autre fin que d’induire en erreur. Car tout nom assigne un sens mais aussi une limite. Je le suppose jeune, à tort peut-être. Comment déterminer l’âge réel ? Comment distinguer l’être du paraître, l’intérieur de l’extérieur ? Vous n’ignorez pas que la régression d’âge a déjà été testée scientifiquement. Des opérations bien spécifiques permettent d’inscrire dans les chaînons chromosomiques une loi de plus faible vieillissement. Je pourrais évoquer aussi ces maîtres de l’hypnose capables de faire régresser des sujets jusqu’à des âges improbables.
– L’âge est l’identité profonde de la personne, rétorque alors d’un ton sévère le voisin du Cardinal, membre du Dicastère pour la doctrine de la foi. Peu importe dès lors de vieillir selon les lois de la nature ou de rajeunir grâce à la magie de la science. La bienheureuse anglaise Julienne de Norwich n’a-t-elle pas affirmé que «l’âge de chacun sera connu au ciel» ?
– On comprendra alors ce que signifie «tomber des nues», lance un Conseiller.
Le Cardinal s’adresse alors à Nicolas S et Bertrand D : 

– Vous allez rejoindre la station spatiale avec une équipe réduite. Tentez d’obtenir tous les renseignements qui nous seront utiles. La force attend, tapie dans l’ombre. Ne lui offrez pas le prétexte de s’abattre sur vous. Prudence et courage, tels sont les maîtres-mots de votre mission.

Episode 17

«Laura, je dois absolument vous voir. Je vous attendrai à 21 heures sur les marches de la Trinité-des-Monts». La voix est douce et grave à la fois. La jeune femme retire ses écouteurs, les plonge dans son sac et poursuit son chemin. «Qui es-tu Nicolas S ? Que veux-tu ? Que pourrais-tu me dire que je ne sache déjà ?» se demande-t-elle.
Quelques minutes plus tard, elle arrive devant l’hôtel Victoria. Elle s’engouffre dans le hall et se dirige vers le grand salon. Un mélange de charme et de sérénité se dégage de ce lieu où s’assemble une clientèle choisie. Quatre hommes à l’allure respectable attendent leur invitée près de l’entrée. Ils sont membres d’une caste discrète mais influente, celle des donateurs.
Des pas rapides se font entendre derrière eux. Ils tournent la tête. Laura entre, la démarche sûre, le regard droit, et tout de suite elle fait sur le groupe une vive impression. Une sorte de magnétisme charnel émane de toute sa personne. Qui le croirait ? Voilà celle qui vient au nom des Sœurs. Trompé par son IA, l’androïde préposé au bar croit identifier une star de cinéma américaine.
Faire de l’effet ne signifie pas pour autant être efficace. Ce qui importe avant tout, c’est de bien tenir son rôle, d’avoir la parole juste, la prestance adéquate. Ces messieurs ne sont pas nés de la dernière pluie. Il y a dans toutes leurs manières quelque chose de feutré et de bon ton. La jeune femme n’a aucune peine à se mettre à leur diapason. On lui a enseigné dès son plus jeune âge la politesse des manières, la civilité à la française, sans la couper cependant du style de vie californien. Megan Garner savait imposer ses desiderata aux tuteurs chargés de polir l’éducation de Laura et de façonner sa personnalité. La pupille était d’autant moins encline à se rebeller qu’elle se sentait en accord avec cette manière d’être au monde.
Après l’échange des amabilités, un donateur lui dit :
– Veuillez excuser notre étonnement. Nous ne nous attendions pas à ce que vous soyez…
– Si jeune ? réplique-t-elle en souriant. Ne dit-on pas que la charité n’a pas d’âge ?
– Vous faites bien de nous le rappeler.
Laura les invite à s’installer face à elle dans les fauteuils près de la baie vitrée. Et aussitôt elle se prête au jeu de la conversation à bâtons rompus. Ayant reçu en partage la grâce d’improviser, elle brille par son aisance et la vivacité de ses réparties. Au moment de parler des Sœurs, elle commet un impair : «Mes copines, dit-elle, ont grandement besoin». Elle se corrige aussitôt : «heu…pardon… Les Sœurs…» Sourire un peu gêné de sa part et aussitôt elle passe en revue leurs besoins. Elle s’étonne de goûter un certain plaisir aux discussions d’argent. Sœur Agnès lui a promis un pourcentage sur les dons. Cette collaboration pourrait s’avérer fructueuse. Elle se dit qu’elle va devoir commencer à économiser si elle souhaite retourner en Californie. Ce projet murît dans sa tête depuis quelque temps déjà. Là-bas, elle pourra vraiment redevenir une Garner. Qui pourrait l’empêcher ? Lui sans doute. Et aussitôt l’image de Nicolas S se dresse devant ses yeux. «Que veux-tu ?» se dit-elle en proie à un obscur pressentiment. Elle retrouve finalement tout son entrain grâce aux promesses sonnantes et trébuchantes des donateurs.
– Cette générosité vous honore, messieurs, leur dit-elle.
Après s’être photographiée avec eux, elle quitte l’hôtel en se disant : «Mission accomplie. Les copines vont être contentes».
.............
Les images sont suffisamment vivantes pour l’extraire un instant de la réalité. Proviennent-elles de son implant neuronal ? Elle voit l’actrice dans la peau de son personnage fétiche, en tenue civile, marchant aux côtés d’un homme. Un dispositif de surveillance a été mis en place autour d’eux. Des silhouettes inquiétantes se profilent dans des embrasures de portes. Laura ressent physiquement la menace, comme si elle vivait cette scène. Sa marche devient plus lente. Arrivée Place d’Espagne, elle reprend possession de sa volonté. Coupure immédiate. La nuit est tombée. Elle reconnait la silhouette de Nicolas S, assise sur les escaliers de la Trinité-des-Monts. Il l’attend.
Elle s’approche, emplie de cette sensation étrange, indéfinie mais profonde, qui s’empare de notre être à certaines heures critiques et solennelles de notre existence. Elle s’approche en sachant que tout retour en arrière sera bientôt impossible.

Episode 18

«Vous entendez, Mesdames ? Quand on a voulu se faire amazone, on ne doit pas craindre les massacres sur le Thermodon.» (Jules Barbey d’Aurevilly, Les Bas-bleus)

Très vite les choses se précipitent. Laura passe ses journées au dojo de John Smith. Quant à Bertrand D et Nicolas S, ils peaufinent leur stratégie dans l’appartement que leur a assigné le Vatican. Une mission bien préparée est déjà une mission à moitié réussie.
– Tu es donc bien décidé à la faire venir avec nous ?
Bertrand D fixe son ami comme pour déceler des signes d’hésitation sur son visage.
– Absolument, répond-il. Et comme tu le sais, elle se prépare déjà.
– Quel rôle comptes-tu lui faire jouer ?
– Elle va être notre eavesdropper, comme disent les Américains, notre Ève, celle qui écoute et voit…
– Sans être vue ? coupe aussitôt Bertrand D. Tu plaisantes j’espère. C’est plutôt le contraire qui va se produire.
– J’y compte bien, rétorque Nicolas S. Avant de voir ce qui doit rester caché, de découvrir l’âme de la machination, elle devra être vue. Celui que nous recherchons est un maître du leurre. Nous allons le prendre à son propre jeu et activer à notre tour un leurre qui le fera sortir de l’ombre.
.............
Jour 6
Laura sort du vestiaire et rejoint le dojo où l’attend le Maitre instructeur John Smith, accroupi en position de méditation. Sa tenue d’entraînement est plutôt classique. Elle se compose d’un pantalon de yoga noir et d’un haut assorti qui ressemble à une brassière de sport, sous un débardeur échancré. La jeune femme s’assoit à côté de l’instructeur et effectue avec lui des exercices énergétiques, entrecoupés de respirations profondes. Puis les choses sérieuses commencent.
Smith, ancien membre d’une unité commando américaine, a été formé par le grand Maître Yin Lee Chong. Devenu Hanshi à son tour, il a acquis parmi ses élèves une réputation d’instructeur hors pair. Il enseigne le Kung-Fu et le Krav Maga Security, style de défense inspiré de situations réelles et de combat des rues. Le Vatican lui a décerné il y a vingt-cinq ans la médaille de l’Ordre de saint Grégoire pour avoir réussi à démanteler la conspiration à l’origine du Vatileaks. On dit qu’il aurait participé à la liquidation du puissant réseau H qui avait infiltré la Curie. Sa trajectoire n’est pas sans rappeler celle d’un acteur américain aujourd’hui oublié : un certain Chuck Norris. «Les arts martiaux ressemblent au message de la Bible», aimait-il à dire. Ce message, l’instructeur l’a repris à son compte et il a des méthodes bien particulières pour l’enfoncer dans la tête de ses élèves.
Nicolas S se tient à l’écart, près du mur du fond, attentif au déroulement de l’entrainement. Là-haut, dans la station spatiale, la jeune femme pourrait se retrouver seule en première ligne. Elle doit être capable de faire face à toutes les menaces. Un choix hasardeux, une technique utilisée à mauvais escient pourrait lui être fatal.
Laura feinte et esquive les coups de Smith qui répète d’une voix ferme ses instructions : «One, two, three, cross... keep the hands up... One, two, three, dunk...» Le rythme s’accélère. L’instructeur tourne maintenant autour d’elle : «Punch the glove that I put out nearest to you... Punch faster... Punch twice...» Laura le suit en cadence, enchaine les combinaisons en essayant à chaque coup d’augmenter sa puissance de frappe. Puis soudainement, placée face à lui, elle décoche un revers balancé frontal dont elle a le secret. L’instructeur bloque le coup avec le dos de sa main. Le Haishu-uke exécuté avec perfection fait perdre l’équilibre à Laura. Dans la foulée et sans la moindre hésitation, Smith lui assène un terrible coup de poing au ventre. Elle chancelle sous le choc et bascule sur le flanc. Un cri de douleur lui échappe. Nicolas S reste comme pétrifié. Le cri n’en finit pas de résonner à ses oreilles. Alors qu’il s’avance vers elle, Smith lui fait signe de rester à sa place. Il retire ses gants d’entrainement et se penche sur la jeune femme, qui peine à reprendre son souffle. Il l’empoigne alors par la chevelure et lui tend son poing menaçant.
– À qui tu crois avoir affaire ? lui murmure-t-il à l’oreille avant de la relâcher.
Il se lève et poursuit, le sourire au coin des lèvres.
– Ne t’avise jamais en combat réel de tenter un coup aussi stupide. L’équilibre... Tu dois toujours garder l’équilibre... Maintiens toujours tes défenses en alerte. Enchaine les frappes rapides, au ventre, dans les reins, à la tempe. Pas de fioritures surtout. Tu dois être comme un serpent autour de ton adversaire et lui asséner des coups qui font mal... Maintenant, redresse-toi.
Laura se lève en se tenant le haut du ventre. Elle cherche son ami du regard. Nicolas S détourne la tête à l’instant où leurs yeux se croisent.
L’entraînement reprend dans une ambiance pesante. Smith initie la jeune femme aux techniques de dégagement et de désarmement. Les exercices se succèdent sans interruption. La fatigue, qui a épargné Laura jusqu’à présent, la gagne peu à peu et engourdit ses membres. Ses mouvements perdent de leur vivacité. Et finalement l'inévitable survient. Relâchant sa concentration, elle reçoit un coup en plein visage. «Réveille-toi espèce d’idiote», lui hurle Smith. Nicolas S blêmit. Il se sent impuissant, presque tétanisé. Ça repart. La tension monte encore d’un cran. Une insulte fuse. Celle de trop... La colère éclate en elle, furibonde. D’un bond, elle vient se poster devant l’instructeur, lui agrippe le cou avec sa main droite et, plantant son regard d’acier dans le sien, l’apostrophe :
– Ecoute bien enfoiré. Je te conseille d’arrêter tout de suite ce petit jeu. Tes élèves ont peut-être un secret pour te supporter. Moi, je suis à deux doigts de t’éclater la tête. Fais très attention à toi. Si tu t’avises encore une fois de me parler mal, je te transforme en punching-ball et je te fais avaler une à une toutes tes médailles. Tu m’as bien compris ? (cf. traduction approximative de l’argot américain)
Smith regarde la jeune femme avec attention. Peut-on calmer une bête en furie ?
– Enfin, dit-il, le sourire en coin... La fille du feu entre en action. Je commençais à m’impatienter... Nous allons enfin pouvoir commencer ta formation.

Les jours suivants, Smith organise des exercices visant à développer chez Laura la vitesse de perception et d’anticipation, l’adresse et la force, autant de qualités pratiques qui participent de l’instinct. Elle apprend à retourner les coups de l’adversaire par un jeu subtil de mouvements, d’esquive et de contre-prises.
L’instructeur lui fait aussi visiter la bibliothèque de combat qu’il a installée dans une pièce du dojo.
– Je ne savais pas, dit-elle en feuilletant quelques pages au hasard, qu’on pouvait combattre au sabre laser dans la vraie vie.
– Tu devrais en parler avec Nicolas S.
– Tu veux dire qu’il maitrise le truc ? Le petit cachottier, il a bien caché son jeu...
Elle extrait un livre de l’étagère :
Le Zen dans l’art du kung-fu par Maître Kenji Tueshiba. Celui-là, j’ai l’impression que tu as oublié de le lire.
Le titre d’un ouvrage retient son attention : La Voie du Bâton par Takashi Tamura
– Le bâton, dit-elle en fronçant les sourcils comme pour réfléchir, le bâton... Quelqu’un de très doué m’a appris son maniement.
– Qui ?
– Un expert, un maître. C’est tout ce que je puis dire.
– Je serais curieux de te voir à l’œuvre.
– J’allais justement te proposer une petite opposition.
Les voici donc à nouveau sur le tatami, face à face, armés d’un bâton de combat. Laura commence par exécuter avec le sien des arabesques étonnantes. Elle sent qu’elle s’est rompue de bonne heure les bras et les poignets à ce genre d’escrime. Smith attaque en premier et déploie toute sa technique pour tenter de l’atteindre. La jeune femme évite ou pare les coups avec un parfait sang-froid. Elle guette le moment opportun pour porter l’estocade. Et à ce jeu de patience, elle est la plus forte. Après avoir repoussé un nouvel assaut, elle lance une série de contre-offensives déroutantes. Elle harcèle son adversaire de coups pour le faire plier. L’on ne voit pas le bâton, on l’entend seulement siffler. Et c’est ainsi qu’arrive ce qui ne peut manquer d’arriver. Un coup latéral dans les flancs fait baisser la garde de l'instructeur. Laura enchaîne aussitôt en combinant un croisé jambe et une frappe dans la tête qui l’expédie au sol, complètement sonné. Elle pose son pied sur le torse de l’ancien soldat. Un large sourire découvre ses belles dents brillant d’une blancheur féroce.

Episode 19

Bertrand D obtient l’autorisation d’entrer dans le dock d’amarrage 14. Sa navette s’introduit dans l’atmosphère artificielle du hangar et va se poser en douceur à l’emplacement prévu. Il coupe les moteurs. Laura descend la rampe d’accès, en tenue de vol, bientôt suivie par les deux garçons. Des techniciens chargés de la maintenance et des droïdes porteurs vont et viennent autour de la navette.
Tous trois sont dirigés vers le turbo-ascenseur desservant les parties supérieures de la station. En quelques secondes ils accèdent à un grand hall d’accueil, encadré de murs d’images holographiques. La température y est agréable et la gravité artificielle simule au mieux l'environnement terrestre. Depuis son ouverture en 2030, la station n’a cessé de grandir. Forte de ses 15.000 occupants, elle est maintenant solidement établie dans l’espace. En plus des hôtels, Blue Origin rassemble deux salles de spectacles, des salons privés, des cafés, deux piscines, un casino et même des satellites de loisirs accessibles en navette de transfert.
Nicolas S regarde autour de lui. Il sait que la station est contrôlée par une intelligence artificielle de pointe. Elle a des yeux partout. Elle connaît leur nom avant même qu’ils n’aient eu à s’enregistrer. Aucune possibilité de dissimulation d'identité. Leur visage a déjà été scanné sous tous les angles. Lorsque Laura se présente à la réception, un nom s’affiche sur l’écran de contrôle de l’employé. Megan Garner.

Fin de la première partie.

15/03/2004
Sombreval

Tags : Fedorov, FSSPX




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