Je dois encore revenir sur un des points névralgiques de mon étude car de son élucidation dépend la réussite de mon projet de séduction. Vous l’avez compris : je cherche à conquérir la «vraie» tradinette. Elle ne peut l’être à mes yeux que pour autant qu’elle reflète son archétype, c'est-à-dire sa «forme-exemplaire présente dans l’Intelligence divine», pour reprendre les mots de saint Thomas d’Aquin. C’est en Dieu que les créatures ont leur être authentique. Pour le Docteur Angélique, «les choses ont plus de vérité dans le Verbe qu’en elles-mêmes» puisqu’elles y subsistent dans leur éclat originel. Un grand théologien du Moyen-Age, Gerson (1363-1429), reprenant la traduction du verset 4 du prologue de saint Jean, qui resta en vogue jusqu’à la fin du XIVe siècle (quod factum est in ipso vita erat : ce qui a été fait en lui était vie), discernait dans chaque créature un être double : l’être idéal ou éternel dans la connaissance de Dieu, et l’être réel ou plutôt créé qui caractérise son mode d’existence dans le monde. En cela il était fidèle aux grands maîtres de la théologie qui depuis saint Augustin ont adopté et commenté la doctrine des idées divines et celle de l’exemplarisme divin. Les notions d’archetypus, d’exemplar (modèle, type, équivalent sémantique de l'«idée») font partie du matériel conceptuel de tous les théologiens médiévaux. Mais ils les emploient dans un esprit chrétien et non point platonicien, suivant en cela saint Augustin qui, sous l’influence du néo-platonisme, a dépouillé les idées de leur caractère autonome pour les situer dans l’intelligence divine. Etienne Gilson, dans son Esprit de la philosophie chrétienne, a souligné ce glissement interprétatif : «Les idées platoniciennes qui subsistaient en elles-mêmes, comme un monde intelligible indépendant du démiurge, sont désormais rassemblées en dieu, engendrées de toute éternité par la fécondité de son être, nées de sa vie intime, et vie elles-mêmes». Cette conception des idées fonde la théorie dite de l’exemplarisme qui trouve sa justification scripturaire dans le verset 4 du prologue johannique, ponctué de la manière suivante : quod factum est, in ipso vita erat (ce qui a été fait/en lui était vie). La grande majorité des Pères et les maîtres de la théologie médiévale faisaient dériver leur exégèse de cette ponctuation. Les mots quod factum est qui terminent le verset 3 dans les traductions modernes, où ils constituent une répétition inutile, introduisent chez saint Augustin et saint Thomas le verset 4, accréditant une thèse adoptée par tous, celle de la préexistence des intelligibles dans le Verbe. L’exactitude de cette version traditionnelle a été confirmée par des exégètes qui jouissaient à leur époque d’une autorité incontestable, comme Wetscott, Hort, Von Hügel et même... Loisy.
L’exemplarisme est une des clefs de l’œuvre théologique et spirituelle de l’œuvre de saint Bonaventure. Les choses pour le Docteur Séraphique ne sont «vraies» que lorsqu’elles sont dans l’univers comme elles sont dans l’art éternel (ars aeterna), c’est-à-dire dans le Verbe qui est l’ars du Père, plein de toutes les «raisons vivantes», de toutes les formes idéales qui préexistent en Lui. Dieu est infiniment plus noble que le monde : les choses ont donc en Lui un être infiniment plus noble et plus vrai qu’en elles-mêmes («Deus est in infinitum nobilior mundo : ergo in infinitum nobiliori et veriori modo sunt res in Deo quam in universo»). Comme le soulignera J-M Bissen O.F.M, dans une étude publiée en 1929, «saint Bonaventure a toujours Dieu présent dans la créature qu’il voit». C’est pourquoi, poursuit-il, «il aime à le contempler riche surtout de ces deux attributs de vérité et de vie qui transforment pour l’homme la créature vaine et passagère, la lui montrant en Dieu dégagée de tout ce qui l’amoindrit pour la lui faire désirer de la contempler avec son auteur dans les idées éternelles».
Quiconque souhaite appliquer ma méthode sophiologique de séduction devra parvenir à l’intelligence de cette notion de l’esse idéale que j’ai empruntée à Gerson et par quoi je caractérise la vie de chaque créature en Dieu avant sa projection extérieure. Ce n’est pas un regard empli de convoitise que nous devons jeter sur la jeune fille courtisée, mais un regard spirituel faisant apparaître sa relation à l’archétype, à l’idée divine. Jésus-Christ dit d’ailleurs clairement que «quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur» (Matt, 5:27-28). Il s’agit donc de montrer à cette jeune fille encline à la dispersion et à la dissipation ce qu’elle est dans la pensée du Père, c'est-à-dire dans le Verbe, de lui communiquer l’appétence de cette vie supérieure qui «éternellement est en Dieu avant toute la création», comme l’écrit Ruysbroeck l’Admirable dans son Miroir du salut éternel.
L’exemplarisme est une des clefs de l’œuvre théologique et spirituelle de l’œuvre de saint Bonaventure. Les choses pour le Docteur Séraphique ne sont «vraies» que lorsqu’elles sont dans l’univers comme elles sont dans l’art éternel (ars aeterna), c’est-à-dire dans le Verbe qui est l’ars du Père, plein de toutes les «raisons vivantes», de toutes les formes idéales qui préexistent en Lui. Dieu est infiniment plus noble que le monde : les choses ont donc en Lui un être infiniment plus noble et plus vrai qu’en elles-mêmes («Deus est in infinitum nobilior mundo : ergo in infinitum nobiliori et veriori modo sunt res in Deo quam in universo»). Comme le soulignera J-M Bissen O.F.M, dans une étude publiée en 1929, «saint Bonaventure a toujours Dieu présent dans la créature qu’il voit». C’est pourquoi, poursuit-il, «il aime à le contempler riche surtout de ces deux attributs de vérité et de vie qui transforment pour l’homme la créature vaine et passagère, la lui montrant en Dieu dégagée de tout ce qui l’amoindrit pour la lui faire désirer de la contempler avec son auteur dans les idées éternelles».
Quiconque souhaite appliquer ma méthode sophiologique de séduction devra parvenir à l’intelligence de cette notion de l’esse idéale que j’ai empruntée à Gerson et par quoi je caractérise la vie de chaque créature en Dieu avant sa projection extérieure. Ce n’est pas un regard empli de convoitise que nous devons jeter sur la jeune fille courtisée, mais un regard spirituel faisant apparaître sa relation à l’archétype, à l’idée divine. Jésus-Christ dit d’ailleurs clairement que «quiconque regarde une femme pour la convoiter a déjà commis un adultère avec elle dans son cœur» (Matt, 5:27-28). Il s’agit donc de montrer à cette jeune fille encline à la dispersion et à la dissipation ce qu’elle est dans la pensée du Père, c'est-à-dire dans le Verbe, de lui communiquer l’appétence de cette vie supérieure qui «éternellement est en Dieu avant toute la création», comme l’écrit Ruysbroeck l’Admirable dans son Miroir du salut éternel.