L’université de Cuyo en Argentine a organisé au mois de juin sa 7ème journée du Christianisme et de la culture. Des commissions et des conférences se sont succédé pendant deux jours sur le thème : «Intellectuels chrétiens au 20ème siècle». La conférence de clôture, prononcée par Carlos Alfredo Baliña, a été consacrée à Albert Frank-Duquesne, «personnage considérable» selon les propres mots de Claudel, tombé dans l’oubli le plus total après sa mort, pour des raisons assez mystérieuses, mais dont l’œuvre puissante, à la fois originale et traditionnelle, suscite un intérêt croissant depuis plusieurs années. La vidéo de cette conférence est diffusée sur youtube (voir ci-dessous). Les nombreux documents en ma possession, diffusés en partie sur le net, permettent d’envisager la publication de monographies ou d’études susceptibles de traiter d’une manière approfondie les grands axes de sa pensée (sophiologie, ecclésiologie etc), sans jamais séparer l’œuvre de sa vie, de sa biographie qui lui donne toute sa portée. Ces journées d’études universitaires légitiment en tout cas la place qui revient de plein droit à Frank-Duquesne dans l’histoire intellectuelle du Christianisme au 20ème siècle. Je me réjouis de le voir placé aux côtés, sur l’affiche de présentation, de ces grandes juives converties, sainte Edith Stein, Simone Weil mais aussi des intellectuels comme Chesterton ou des écrivains comme Lewis. Justice est rendue et il faut féliciter les universitaires argentins d’avoir su organiser ce type de journées d’études, inenvisageables en France à cause du carcan idéologique qui y pèse dans tous les domaines et de l’académisme de la recherche. Celle-ci reste depuis longtemps cantonnée aux mêmes auteurs, aux mêmes thèmes, déclinables à l'envi selon les critères de la pensée dominante. La galerie de photos permet de constater en tout cas que de nombreux jeunes, beaucoup de filles (tradinettes latino-américaines) y ont participé, ce qui témoigne d’une certaine vitalité des universités sud-américaines, de leur esprit d'ouverture.
Il y a quelques jours, je relisais quelques pages des Cahiers de l’Herne, consacrés à Cioran. Dans un de ses derniers entretiens, Cioran, grand admirateur de Simone Weil, évoquait l’Amérique du Sud, dont il pensait qu’elle allait devenir l’héritière de l’Europe. Eu égard à la situation actuelle de l’Europe, il me semble que son propos n’a jamais été aussi pertinent. Voici quelques lignes de cet entretien, datant de 1987 :
«Je vais vous dire pourquoi je m’intéresse à l’Amérique latine. Je crois que l’avenir de l’Europe est très incertain ; et même je pense qu’elle n’aura pas d’avenir du tout… et je pense que c’est l’Amérique du Sud qui sera l’héritière de l’Europe, de la culture européenne, et pas l’Amérique du Nord […] Et puis cette impression est tout de même fondée. Tous les sud-américains que j’ai rencontrés, les intellectuels, m’ont fait une très bonne impression, et il m’a semblé qu’ils étaient plus qualifiés que les nord-américains pour perpétuer la civilisation européenne. Vous allez me dire, mais l’Europe ne va pas disparaître comme ça ! C’est possible mais la décadence de la culture occidentale est pour moi une évidence. C’est une idée qui circule depuis une cinquantaine d’années et, pour vous dire la vérité, je ne crois pas à l’avenir de l’Europe en ce moment […] On a parlé de la décadence dès le début du XIXe siècle. Il y a des symptômes très clairs ; premièrement, quand on voit les sud-américains, ils ont une vitalité qui n’existe pas ici. Même dans leurs gestes, dans tout, ils ne sont pas usés. Ils se moquent d’eux-mêmes, mais en même temps ils croient en eux. Ils ont encore des illusions. Si l’on voulait définir l’occidental maintenant, on pourrait dire que c’est le type qui a perdu toutes ses illusions».
«Je vais vous dire pourquoi je m’intéresse à l’Amérique latine. Je crois que l’avenir de l’Europe est très incertain ; et même je pense qu’elle n’aura pas d’avenir du tout… et je pense que c’est l’Amérique du Sud qui sera l’héritière de l’Europe, de la culture européenne, et pas l’Amérique du Nord […] Et puis cette impression est tout de même fondée. Tous les sud-américains que j’ai rencontrés, les intellectuels, m’ont fait une très bonne impression, et il m’a semblé qu’ils étaient plus qualifiés que les nord-américains pour perpétuer la civilisation européenne. Vous allez me dire, mais l’Europe ne va pas disparaître comme ça ! C’est possible mais la décadence de la culture occidentale est pour moi une évidence. C’est une idée qui circule depuis une cinquantaine d’années et, pour vous dire la vérité, je ne crois pas à l’avenir de l’Europe en ce moment […] On a parlé de la décadence dès le début du XIXe siècle. Il y a des symptômes très clairs ; premièrement, quand on voit les sud-américains, ils ont une vitalité qui n’existe pas ici. Même dans leurs gestes, dans tout, ils ne sont pas usés. Ils se moquent d’eux-mêmes, mais en même temps ils croient en eux. Ils ont encore des illusions. Si l’on voulait définir l’occidental maintenant, on pourrait dire que c’est le type qui a perdu toutes ses illusions».