Le thème central de la conférence prononcée par le pape à l’université de Ratisbonne le mardi 12 septembre est celui de l’anti-intellectualisme et du volontarisme, au sens occamien du terme. En citant le dialogue entre l’empereur byzantin lettré Manuel II Paléologue et un savant persan, Benoît XVI a voulu mettre en lumière une «pathologie de la religion», à laquelle l’Islam est particulièrement vulnérable, de par sa conception de l’unicité et de la toute puissance de Dieu. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre sa référence au commentaire du professeur Théodore Khoury, éditeur de la controverse, selon lequel, dans la doctrine musulmane, «Dieu est absolument transcendant», sa volonté n’étant «liée par aucune de nos catégories, fût-elle celle du raisonnable». Cette conception peut bien entendu servir de justification au djihâd’ (guerre sainte), bien qu’elle soit infirmée par la sourate 2, 256, citée par le pape et disant : «Pas de contrainte en matière de foi». Il est évident que c’est cette assertion du professeur Khoury qui exprime la pensée personnelle du pape, et non point celle de l’empereur, sur laquelle se sont focalisés les médias («Montre-moi donc ce que Mohammed a apporté de neuf, et alors tu ne trouveras sans doute rien que de mauvais et d’inhumain, par exemple le fait qu’il a prescrit que la foi qu’il prêchait, il fallait la répandre par le glaive»). Les médias perfides, avides de sensationnel, se sont empressés de diffuser cet extrait dans l’espoir qu’il suscite un embrasement analogue à celui qui avait succédé à la publication des caricatures danoises de Mahomet.
A cette «pathologie de la religion», les occidentaux ne possèdent pas d’antidote car ils sont eux-mêmes affectés par une «maladie de la raison» dont le pape décèle les premiers symptômes dans le volontarisme professé par Duns Scot et par son disciple, Guillaume d'Occam (1285-1349). En effet, la théologie scotiste et occamiste de la potentia absolute Dei a introduit dans l’être divin une distanciation entre la substance et l’intelligence. Comme l’a remarqué le médiéviste André de Muralt, cette théologie «admet en tant que définition de la deitas non plus l’esse comme saint Thomas, mais une gratuité absolue qui, du fait qu’elle n’est plus celle de l’amour ni celle de la grâce chrétienne, ne peut que dégénérer en arbitraire nécessairement». Cette revendication de la souveraine liberté de Dieu conduit à postuler un irrationalisme incompatible avec les exigences de la raison inhérentes à la foi chrétienne authentique, fidèle à son héritage hellénique. Le mouvement initié par Scott a fait éclater la synthèse entre le grec et le chrétien. Comme l’a finement observé le pape, «contre le soi-disant intellectualisme augustinien et thomiste commence, avec Duns Scot, une position du volontarisme qui conduisit finalement à dire que nous ne connaissons de Dieu que sa ‘voluntas ordinata’. Au-delà, il y a la liberté de Dieu, en vertu de laquelle il aurait également pu faire le contraire de tout ce qu’il a fait. Ici se dessinent des positions qui peuvent être rapprochées totalement de celles d’Ibn Hazm et qui peuvent tendre vers l’image d’un Dieu arbitraire, qui n’est pas tenu par la vérité et le bien. La transcendance et l’altérité de Dieu sont placées si haut que notre raison, notre sens du vrai et du bien ne sont plus de réels miroirs de Dieu, dont les possibilités mystérieuses, derrière ses décisions effectives, nous restent éternellement inaccessibles et cachées». Cela revient à contredire le postulat énoncé par le pape au début de son texte : «Ne pas agir selon la raison (selon le Logos) s’oppose à la nature de Dieu». En effet, dit-il encore, «Dieu ne devient pas plus divin si nous l’éloignons dans un volontarisme pur et incompréhensible, mais le véritable Dieu est le Dieu qui s’est manifesté dans le Logos, et qui a agi et qui agit par amour envers nous». Les croyants ne peuvent nier sans graves incidences pour leur foi l’analogie qui existe entre la Raison incréée et la raison créée, la raison divine et la raison humaine. C’est là une des thèses centrales de la conférence papale : «Le culte de Dieu chrétien, affirme Benoît XVI, est ‘logiké latreia’ – culte de Dieu en accord avec la Parole éternelle et avec notre raison (cf Rm 12, 1)».
Le programme de « déshellénisation » de la foi biblique s’est réalisée en trois étapes décrites précisément par le pape. Le pape met en cause la Réforme et la théologie libérale qui s’est développée au XIXe et XXe siècle. Luther, qui a reçu en philosophie une formation occamiste et nominaliste, a maintes fois exprimé dans ses écrits son aversion à l’égard de la raison. Citons quelques passages : «Aristote, écrit-il, est le rempart impie des papistes. Il est à la théologie ce que les ténèbres sont à la lumière. Son éthique est la pire ennemie de la grâce». La Sorbonne, selon lui, est «la synagogue damnée du diable, la plus abominable gourgandine qui ait paru sous le soleil, la vraie porte de l’enfer».
Ce programme a fini par générer cette «maladie de la raison» dénoncée par le pape et qui enténèbre tant d’esprits contemporains. La foi est rejetée dans les ténèbres de l’irrationnel alors que la raison, par défaut de nourriture céleste, s’atrophie lamentablement. Ce divorce de la foi et de la raison rend impossible ce dialogue des cultures que la situation mondiale rend si impérieux. C’est par une union nouvelle de la foi et de la raison que pourra s’instaurer ce dialogue que le pape ne cesse d’appeler de ses vœux : «Dans le monde occidental, affirme-t-il, domine largement l’opinion que seule la raison positiviste et les formes de la philosophie qui en dépendent sont universelles. Mais précisément, cette exclusion du divin hors de l’universalité de la raison est perçue, par les cultures profondément religieuses du monde, comme un mépris de leurs convictions les plus intimes. Une raison qui est sourde au divin et repousse les religions dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures ».
A lire : l'intégralité du discours du pape
A cette «pathologie de la religion», les occidentaux ne possèdent pas d’antidote car ils sont eux-mêmes affectés par une «maladie de la raison» dont le pape décèle les premiers symptômes dans le volontarisme professé par Duns Scot et par son disciple, Guillaume d'Occam (1285-1349). En effet, la théologie scotiste et occamiste de la potentia absolute Dei a introduit dans l’être divin une distanciation entre la substance et l’intelligence. Comme l’a remarqué le médiéviste André de Muralt, cette théologie «admet en tant que définition de la deitas non plus l’esse comme saint Thomas, mais une gratuité absolue qui, du fait qu’elle n’est plus celle de l’amour ni celle de la grâce chrétienne, ne peut que dégénérer en arbitraire nécessairement». Cette revendication de la souveraine liberté de Dieu conduit à postuler un irrationalisme incompatible avec les exigences de la raison inhérentes à la foi chrétienne authentique, fidèle à son héritage hellénique. Le mouvement initié par Scott a fait éclater la synthèse entre le grec et le chrétien. Comme l’a finement observé le pape, «contre le soi-disant intellectualisme augustinien et thomiste commence, avec Duns Scot, une position du volontarisme qui conduisit finalement à dire que nous ne connaissons de Dieu que sa ‘voluntas ordinata’. Au-delà, il y a la liberté de Dieu, en vertu de laquelle il aurait également pu faire le contraire de tout ce qu’il a fait. Ici se dessinent des positions qui peuvent être rapprochées totalement de celles d’Ibn Hazm et qui peuvent tendre vers l’image d’un Dieu arbitraire, qui n’est pas tenu par la vérité et le bien. La transcendance et l’altérité de Dieu sont placées si haut que notre raison, notre sens du vrai et du bien ne sont plus de réels miroirs de Dieu, dont les possibilités mystérieuses, derrière ses décisions effectives, nous restent éternellement inaccessibles et cachées». Cela revient à contredire le postulat énoncé par le pape au début de son texte : «Ne pas agir selon la raison (selon le Logos) s’oppose à la nature de Dieu». En effet, dit-il encore, «Dieu ne devient pas plus divin si nous l’éloignons dans un volontarisme pur et incompréhensible, mais le véritable Dieu est le Dieu qui s’est manifesté dans le Logos, et qui a agi et qui agit par amour envers nous». Les croyants ne peuvent nier sans graves incidences pour leur foi l’analogie qui existe entre la Raison incréée et la raison créée, la raison divine et la raison humaine. C’est là une des thèses centrales de la conférence papale : «Le culte de Dieu chrétien, affirme Benoît XVI, est ‘logiké latreia’ – culte de Dieu en accord avec la Parole éternelle et avec notre raison (cf Rm 12, 1)».
Le programme de « déshellénisation » de la foi biblique s’est réalisée en trois étapes décrites précisément par le pape. Le pape met en cause la Réforme et la théologie libérale qui s’est développée au XIXe et XXe siècle. Luther, qui a reçu en philosophie une formation occamiste et nominaliste, a maintes fois exprimé dans ses écrits son aversion à l’égard de la raison. Citons quelques passages : «Aristote, écrit-il, est le rempart impie des papistes. Il est à la théologie ce que les ténèbres sont à la lumière. Son éthique est la pire ennemie de la grâce». La Sorbonne, selon lui, est «la synagogue damnée du diable, la plus abominable gourgandine qui ait paru sous le soleil, la vraie porte de l’enfer».
Ce programme a fini par générer cette «maladie de la raison» dénoncée par le pape et qui enténèbre tant d’esprits contemporains. La foi est rejetée dans les ténèbres de l’irrationnel alors que la raison, par défaut de nourriture céleste, s’atrophie lamentablement. Ce divorce de la foi et de la raison rend impossible ce dialogue des cultures que la situation mondiale rend si impérieux. C’est par une union nouvelle de la foi et de la raison que pourra s’instaurer ce dialogue que le pape ne cesse d’appeler de ses vœux : «Dans le monde occidental, affirme-t-il, domine largement l’opinion que seule la raison positiviste et les formes de la philosophie qui en dépendent sont universelles. Mais précisément, cette exclusion du divin hors de l’universalité de la raison est perçue, par les cultures profondément religieuses du monde, comme un mépris de leurs convictions les plus intimes. Une raison qui est sourde au divin et repousse les religions dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures ».
A lire : l'intégralité du discours du pape