Jean Daniélou, dans Bible et Liturgie, a ouvert au lecteur tout un domaine de connaissances qui restait bien souvent réservé aux spécialistes en patrologie. Le futur cardinal, un des principaux artisans du renouveau patristique dans l’Eglise au XXe siècle, y étudiait en profondeur la symbolique du culte chrétien d’après les Pères de l’Eglise. L’ouvrage abonde en citations éclairantes qui nous donnent une idée du contenu de la prédication dans les premiers siècles du christianisme. J’y ai découvert de nombreuses références à la liturgie céleste qui m’occupe depuis un certain temps. Le chapitre VIII sur les rites eucharistiques constitue la partie centrale de l’ouvrage. Jean Daniélou observe que deux thèmes conjoints commandent l’interprétation du sacrifice de la messe dans les catéchèses rédigées et prononcées par les Pères : la messe est une représentation sacramentelle du sacrifice de la Croix ; la messe est une participation sacramentelle à la liturgie céleste. Ce deuxième aspect de la liturgie est occulté (ou pire : ignoré) par la très grande majorité des catholiques (y compris les traditionalistes qui n’aiment rient tant que les effets démonstratifs, tout ce qui affirme en fait leur identité, leur narcissisme). Leur point de référence, au cours de la messe, c’est eux-mêmes ou leur prêtre délégué et non point «l’eucharistie modèle célébrée là-haut», à laquelle nous devons nous associer comme des «ombres» (Frank-Duquesne).
Pour les Pères, l’Eucharistie est une anamnèse, un mémorial «efficace» (et non point simple mémorial comme le prétendent les protestants ou les «néo-catéchumènes», par exemple, chez les catholiques) : « Chaque fois, écrit Saint Ambroise, qu’est offert le sacrifice du Christ, la mort du Seigneur, sa Résurrection, son Ascension et la rémission des péchés sont signifiés». Ce dernier terme ne doit pas compris à la manière des modernistes, mais dans l’acception que lui ont toujours donnée les Pères de l’Eglise. Comme l’écrit Jean Daniélou, «signifier, ne veut point dire seulement rappeler. Mais le mot veut dire que le sacrifice offert n’est pas un nouveau sacrifice, mais le sacrifice unique du Christ rendu présent». L’anamnèse rend donc présent non la mémoire (ce à quoi les novateurs veulent réduire la messe), mais en réalité, sous les signes sacramentels, le sacrifice unique du Christ. Théodore de Mopsueste, quant à lui, attentif aux correspondances entre l’ici bas et l’au-delà, voit dans l’Eucharistie le sacrifice céleste rendu visible dans le sacrement.
En fait, la liturgie eucharistique nous oblige à approfondir la théologie sacrificielle qui sous-tend la doctrine de la messe. Le Sacrifice, comme le note le père Daniélou, subsiste sous trois modes différents. C’est la même action sacerdotale,
… qui a eu lieu à un moment précis de l’histoire (le sacrifice du calvaire)
… qui est éternellement présente dans le ciel (l’épître aux Hébreux nous montre le Christ, éternel Grand-Prêtre s’offrant perpétuellement au Père, dans le sanctuaire céleste, pour le salut du monde entier. Thème corroboré par les allusions scripturaires à «l’Agneau comme immolé dès avant la création du monde»)
… et qui, troisième mode, subsiste (ou se perpétue) sous les apparences sacramentelles (le Christ continue à s’offrir pour nous par le ministère de ses prêtres consacrés).
Cette action sacerdotale, «par un privilège unique, est donc soustraite au temps pour subsister éternellement» et le sacrement a pour fonction de la rendre présente à tous les temps et à tous les lieux.
Comme le remarque Frank-Duquesne dans son texte sur le rôle du laïcat, l’offrande eucharistique de l’Eglise sur terre est parallèle à celle du Christ glorifié par Lui-même, dans les cieux… « Il s'agit là, somme toute, à des niveaux divers, d’un seul et même culte éternel, dont l'essentiel a lieu dans le sanctuaire invisible. C’est à quoi fait allusion la prière Supplices Te rogamus dans la Messe romaine (tridentine) : “Ces dons, Dieu tout-puissant, ordonne, nous T'en supplions, qu’ils soient portés par ton saint Ange (il s'agit de Michel, archidiacre de la liturgie céleste dans l'Apocalypse) sur ton autel transcendant, face à ta Majesté divine, afin que nous tous, qui nous serons nourris du Corps et du Sang de ton Fils en participant (par la communion au sacrifice offert sur) cet autel (terrestre), nous soyons comblés de toute bénédiction céleste et de grâce”».
La suite de son développement nous fait entrevoir le sens profond de la liturgie eucharistique célébrée ici-bas, image, reflet de la liturgie céleste :
« Dans l’Epître aux Hébreux, l’"immense nuée de témoins", les "myriades d’Anges", l’"universelle assemblée" qui est l’"Église des premiers-nés inscrits dans les cieux", bref toute "la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste", célèbre l’Eucharistie du Verbe incarné, à jamais glorifié, que Michel assiste devant le trône. Sur terre, de même, tous les "premiers-nés" (d’eau et d’Esprit, les baptisés) sont invités – sursum corda ! – lorsqu’ils perpétuent le souper du Seigneur à traverser hinc et nunc le "voile" qui sépare la terre du ciel, pour devenir les compagnons des Anges et des Saints, et se joindre au Pontife et Coryphée de la liturgie céleste. Comme dans l’Apocalypse, "une porte s’ouvre dans les cieux, une voix invite avec force : Montez ici !" C’est ce qu’ici-bas traduit le Sursum corda, prélude à l’Eucharistie commune des hommes et des hiérarchies célestes. Espace et temps disparaissent. L’humanité rachetée – sur terre et là-haut – apparaît unie à son Grand-Prêtre dans une oblation commune et permanente. À chaque Eucharistie célébrée sur terre, nous entrons pour ainsi dire dans la patrie céleste, nous exerçons nos droits de citoyens dans la "Ville aux fondements inébranlables", nous alimentons du Christ – comme une mère son fœtus – le germe en nous de ce qui sera le corps glorieux ».
Jean Daniélou nous propose également quelques pages superbes de commentaire patristique sur le Sursum corda (élevons notre cœur) et sur le Sanctus, qui introduisent la prière consécratoire dite sur le pain et sur le vin. Pour saint Cyrille le Sursum corda est l’expression de la terreur sacrée qui pénètre le cœur du fidèle au moment où va s’accomplir la «liturgie redoutable» (Théodore de Mopsueste). Il lui faut donc se conformer aux dispositions qui animent les anges dans la liturgie céleste : «Ils adorent, ils glorifient, ils profèrent continuellement les mystérieuses hymnes de louange avec crainte» (saint Jean Chrysostome). Comme l’observe Jean Daniélou, «ce climat de mystère qui est celui de la liturgie céleste pénètre aussi la liturgie terrestre. Nul ne l'a mieux senti que saint Jean Chrysostome : le moment de la consécration est "très redoutable"… "L'homme doit se tenir devant Dieu avec crainte et tremblement"… C'est "avec vénération qu'il faut s'approcher de ces réalités très redoutables"».
Jean Daniélou s’attarde ensuite sur le Trisagion (Sanctus) qui suit le Sursum Corda et qui exprime, lui aussi, la participation des fidèles à la liturgie céleste :
« Le Trisagion est l'hymne des Séraphins qui entourent éternellement la Trinité : "L'homme est comme transporté dans le ciel lui-même, écrit saint Jean Chrysostome. Il se tient près du trône de gloire. Il vole avec les Séraphins. Il chante l'hymne très saint". La même idée se retrouve chez Cyrille de Jérusalem : "Nous faisons mention des Séraphins, qu'Isaïe a vus dans l'Esprit-Saint entourant le trône de Dieu et disant : Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées. C'est pourquoi nous récitons cette théologie qui nous est transmise par les séraphins, afin que nous participions à l'hymne de louange avec les armées hypercosmiques".
Le Trisagion est commenté dans le même sens par Théodore de Mopsueste : "Le prêtre mentionne tous les Séraphins qui font monter vers Dieu cette louange que, par une révélation divine, apprit le bienheureux Isaïe et qu'il transmit par l'Écriture, celle que nous tous rassemblés faisons à haute voix, de sorte que, cela même que disent les natures invisibles, nous aussi nous le disons". Et Théodore montre la relation du Trisagion avec l'esprit de crainte et de respect : "Nous nous servons de paroles redoutables des puissances invisibles, pour montrer la grandeur de la miséricorde qui s'est gratuitement répandue sur nous. La crainte remplit notre conscience, tout au cours de la liturgie, soit avant de crier Saint, soit après ; c'est à terre que nous abaissons notre regard, à cause de la grandeur de ce qui se fait, manifestant cette même crainte"».
Pour les Pères, l’Eucharistie est une anamnèse, un mémorial «efficace» (et non point simple mémorial comme le prétendent les protestants ou les «néo-catéchumènes», par exemple, chez les catholiques) : « Chaque fois, écrit Saint Ambroise, qu’est offert le sacrifice du Christ, la mort du Seigneur, sa Résurrection, son Ascension et la rémission des péchés sont signifiés». Ce dernier terme ne doit pas compris à la manière des modernistes, mais dans l’acception que lui ont toujours donnée les Pères de l’Eglise. Comme l’écrit Jean Daniélou, «signifier, ne veut point dire seulement rappeler. Mais le mot veut dire que le sacrifice offert n’est pas un nouveau sacrifice, mais le sacrifice unique du Christ rendu présent». L’anamnèse rend donc présent non la mémoire (ce à quoi les novateurs veulent réduire la messe), mais en réalité, sous les signes sacramentels, le sacrifice unique du Christ. Théodore de Mopsueste, quant à lui, attentif aux correspondances entre l’ici bas et l’au-delà, voit dans l’Eucharistie le sacrifice céleste rendu visible dans le sacrement.
En fait, la liturgie eucharistique nous oblige à approfondir la théologie sacrificielle qui sous-tend la doctrine de la messe. Le Sacrifice, comme le note le père Daniélou, subsiste sous trois modes différents. C’est la même action sacerdotale,
… qui a eu lieu à un moment précis de l’histoire (le sacrifice du calvaire)
… qui est éternellement présente dans le ciel (l’épître aux Hébreux nous montre le Christ, éternel Grand-Prêtre s’offrant perpétuellement au Père, dans le sanctuaire céleste, pour le salut du monde entier. Thème corroboré par les allusions scripturaires à «l’Agneau comme immolé dès avant la création du monde»)
… et qui, troisième mode, subsiste (ou se perpétue) sous les apparences sacramentelles (le Christ continue à s’offrir pour nous par le ministère de ses prêtres consacrés).
Cette action sacerdotale, «par un privilège unique, est donc soustraite au temps pour subsister éternellement» et le sacrement a pour fonction de la rendre présente à tous les temps et à tous les lieux.
Comme le remarque Frank-Duquesne dans son texte sur le rôle du laïcat, l’offrande eucharistique de l’Eglise sur terre est parallèle à celle du Christ glorifié par Lui-même, dans les cieux… « Il s'agit là, somme toute, à des niveaux divers, d’un seul et même culte éternel, dont l'essentiel a lieu dans le sanctuaire invisible. C’est à quoi fait allusion la prière Supplices Te rogamus dans la Messe romaine (tridentine) : “Ces dons, Dieu tout-puissant, ordonne, nous T'en supplions, qu’ils soient portés par ton saint Ange (il s'agit de Michel, archidiacre de la liturgie céleste dans l'Apocalypse) sur ton autel transcendant, face à ta Majesté divine, afin que nous tous, qui nous serons nourris du Corps et du Sang de ton Fils en participant (par la communion au sacrifice offert sur) cet autel (terrestre), nous soyons comblés de toute bénédiction céleste et de grâce”».
La suite de son développement nous fait entrevoir le sens profond de la liturgie eucharistique célébrée ici-bas, image, reflet de la liturgie céleste :
« Dans l’Epître aux Hébreux, l’"immense nuée de témoins", les "myriades d’Anges", l’"universelle assemblée" qui est l’"Église des premiers-nés inscrits dans les cieux", bref toute "la cité du Dieu vivant, la Jérusalem céleste", célèbre l’Eucharistie du Verbe incarné, à jamais glorifié, que Michel assiste devant le trône. Sur terre, de même, tous les "premiers-nés" (d’eau et d’Esprit, les baptisés) sont invités – sursum corda ! – lorsqu’ils perpétuent le souper du Seigneur à traverser hinc et nunc le "voile" qui sépare la terre du ciel, pour devenir les compagnons des Anges et des Saints, et se joindre au Pontife et Coryphée de la liturgie céleste. Comme dans l’Apocalypse, "une porte s’ouvre dans les cieux, une voix invite avec force : Montez ici !" C’est ce qu’ici-bas traduit le Sursum corda, prélude à l’Eucharistie commune des hommes et des hiérarchies célestes. Espace et temps disparaissent. L’humanité rachetée – sur terre et là-haut – apparaît unie à son Grand-Prêtre dans une oblation commune et permanente. À chaque Eucharistie célébrée sur terre, nous entrons pour ainsi dire dans la patrie céleste, nous exerçons nos droits de citoyens dans la "Ville aux fondements inébranlables", nous alimentons du Christ – comme une mère son fœtus – le germe en nous de ce qui sera le corps glorieux ».
Jean Daniélou nous propose également quelques pages superbes de commentaire patristique sur le Sursum corda (élevons notre cœur) et sur le Sanctus, qui introduisent la prière consécratoire dite sur le pain et sur le vin. Pour saint Cyrille le Sursum corda est l’expression de la terreur sacrée qui pénètre le cœur du fidèle au moment où va s’accomplir la «liturgie redoutable» (Théodore de Mopsueste). Il lui faut donc se conformer aux dispositions qui animent les anges dans la liturgie céleste : «Ils adorent, ils glorifient, ils profèrent continuellement les mystérieuses hymnes de louange avec crainte» (saint Jean Chrysostome). Comme l’observe Jean Daniélou, «ce climat de mystère qui est celui de la liturgie céleste pénètre aussi la liturgie terrestre. Nul ne l'a mieux senti que saint Jean Chrysostome : le moment de la consécration est "très redoutable"… "L'homme doit se tenir devant Dieu avec crainte et tremblement"… C'est "avec vénération qu'il faut s'approcher de ces réalités très redoutables"».
Jean Daniélou s’attarde ensuite sur le Trisagion (Sanctus) qui suit le Sursum Corda et qui exprime, lui aussi, la participation des fidèles à la liturgie céleste :
« Le Trisagion est l'hymne des Séraphins qui entourent éternellement la Trinité : "L'homme est comme transporté dans le ciel lui-même, écrit saint Jean Chrysostome. Il se tient près du trône de gloire. Il vole avec les Séraphins. Il chante l'hymne très saint". La même idée se retrouve chez Cyrille de Jérusalem : "Nous faisons mention des Séraphins, qu'Isaïe a vus dans l'Esprit-Saint entourant le trône de Dieu et disant : Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées. C'est pourquoi nous récitons cette théologie qui nous est transmise par les séraphins, afin que nous participions à l'hymne de louange avec les armées hypercosmiques".
Le Trisagion est commenté dans le même sens par Théodore de Mopsueste : "Le prêtre mentionne tous les Séraphins qui font monter vers Dieu cette louange que, par une révélation divine, apprit le bienheureux Isaïe et qu'il transmit par l'Écriture, celle que nous tous rassemblés faisons à haute voix, de sorte que, cela même que disent les natures invisibles, nous aussi nous le disons". Et Théodore montre la relation du Trisagion avec l'esprit de crainte et de respect : "Nous nous servons de paroles redoutables des puissances invisibles, pour montrer la grandeur de la miséricorde qui s'est gratuitement répandue sur nous. La crainte remplit notre conscience, tout au cours de la liturgie, soit avant de crier Saint, soit après ; c'est à terre que nous abaissons notre regard, à cause de la grandeur de ce qui se fait, manifestant cette même crainte"».