Je diffuse en intégralité la version numérique de l’essai de Frank-Duquesne, Le Dieu vivant de la Bible, qui avait vivement impressionné Paul Claudel. Celui-ci dans une lettre à Etienne Gilson le qualifiait de chef-d’œuvre. L’abbé Charles Moeller, proche de l’auteur, qui devint par la suite un prélat influent, y puisait la matière de certains de ses cours à L’Université de Louvain.
Le Dieu vivant de la Bible (pdf) L’auteur, dans sa première partie, expose les voies pour parvenir à la «notion» de Dieu, accessible aux investigations de la raison naturelle. Il a recours à de nombreux exemples tirés de l’expérience humaine pour expliciter le contenu de la foi, éclairer ce que l’Eglise enseigne sur la Personnalité de Dieu, Sa providence, Son Omniscience, Sa Toute-Puissance. Il aborde en particulier la question de l’évolution et montre sa compatibilité avec le dogme de la création. Ce qu’il esquisse, c’est une conception qui se rapproche de l’hypothèse de l’«Intelligent Design», telle qu’elle est conçue dans le monde anglo-saxon. Ses arguments, étayés par des références scientifiques incontestables, n’infirment pas la thèse de l’évolution mais tendent à démontrer l’absurdité de la théorie transformiste qu’on lui associe généralement. Voici un passage particulièrement intéressant : «Supposons un instant que l'énergie d'où jaillirent nos atomes est éternelle ; La vie organique, elle, ne l'est pas. Comment a-t-elle commencé ? La biologie ne connaît aucun être vivant qui soit né sans parents ; elle ajoute qu'il fut un temps où les conditions d'existence sur cette terre y rendaient le séjour impossible aux êtres vivants comme aux germes. Ici encore, l'incroyance contraint ses adeptes à nier l'évidence, à rejeter les affirmations de la science, pour faire un acte de foi dans la génération spontanée. Le premier germe, à l'époque où le globe commença d'être habitable, fut le fils du hasard : une heureuse et fortuite rencontre d'éléments chimiques mit au monde une cellule. Nous en serions les descendants... Mais, à l'heure actuelle, où les conditions d'éclosion sont tout aussi favorables, sinon plus, comment se fait-il qu'il n'y ait plus de générations spontanées ? Car jamais l'on n'est parvenu à controuver sérieusement les expériences classiques de Pasteur. Ainsi, la thèse athée exige, non seulement des actes de foi, mais aussi des miracles !» (p.12). Mais, insiste l’auteur, la connaissance «naturelle» de Dieu que nous pouvons acquérir par la raison ne peut tenir lieu, dans une perspective chrétienne, que d’appendice, de pédagogie préalable. Car Celui auquel nous accordons toute notre foi, ce n’est point le «Dieu des philosophes et des savants», mais comme le rappelle Blaise Pascal, le «Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob». La révélation nous enseigne qu’il est un seul Dieu en trois Personnes. La spéculation métaphysique ou philosophique ne peut nous conduire à la connaissance de la Trinité. La seconde partie est tout entière consacrée au dogme de la Trinité, dont beaucoup de croyants ne se font qu’une représentation assez vague. Comme l’écrit Frank-Duquesne, « l'Eglise a toujours insisté sur la gravissime importance de ce dogme : le Symbole dit de saint Athanase témoigne encore de ce souci. Mais ce document n'a jamais été rédigé pour imposer aux fidèles un système de subtilités métaphysiques. Au contraire, il a pour but de combattre ces abstruses constructions de l'esprit. Il les interdit ; il en désencombre l'entendement ; il ne permet pas à ceux qui furent baptisés «au Nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit», de réduire cette formule baptismale, faite pour propager la vie surnaturelle, aux stériles abstractions d'un Sabellius ou d'un Arius. Mais, en nous encourageant à repousser avec elle les attaques de la spéculation profane, l'Eglise nous invite, du même coup, à scruter pieusement la véritable nature du Nom tri-un. Ne le traitons pas avec indifférence, comme un simple son sans portée. «Car ce n'est pas une chose indifférente pour nous», qu'il nous est loisible d'ignorer sans péril, «mais notre vie même» (Deutér, 32:47)». La spéculation, dans cette seconde partie, nourrissante et stimulante pour la foi, a donc pour fonction d’élucider en mode humain le mystère de la Sainte Trinité. Il faut lire les pages passionnantes, consacrées au « dogme trinitaire et la création » et qui nous initient à la sophiologie catholique (p.119). Frank-Duquesne fait du dogme de l’Incarnation l’axe de sa réflexion. Il cherche donc à le situer dans le schéma du salut qui, dans l’optique catholique, repose tout entier sur la théologie classique de la Rédemption. Certes, comme nous l’entendons proclamer lors de l’exsultet du Samedi Saint, la Chute nous a procuré le bonheur en nous valant d’obtenir un si grand Rédempteur : Felix culpa [Vraiment , comme le péché d’Adam était nécessaire, puisque c’est la mort du Christ qui l’a détruit ! Heureuse faute qui nous a valu un tel Rédempteur]. Mais peut-on inférer pour autant que si Adam, l’homme primitif, n’avait pas cédé à la tentation diabolique, le Rédempteur ne se serait pas incarné ? L’Incarnation devait-elle comporter éternellement la mort réparatrice et la Rédemption ? Cette problématique, Guillaume Pouget l’a exposée longuement dans ses dialogues avec Jean Guitton. Elle doit être reliée à la spiritualité franciscaine. Et Frank-Duquesne, dans son essai, lui donne toute sa portée (p.140 et suivantes). Bien entendu, les vues exposées par Frank-Duquesne pourraient surprendre, voire choquer, les tenants de la théologie traditionnelle de la Rédemption, les thomistes mêmes de stricte observance. Maritain par exemple, suivant saint Thomas d’Aquin, note dans De la grâce et de l’humanité de Jésus : «L’Incarnation du Verbe n’a été voulue de Dieu et produite que pour la Rédemption du genre humain… La Passion et l’immolation sont une fin, la fin première de l’Incarnation, parce qu’elles sont la victoire sur le péché». On pourrait discerner une divergence fondamentale dans l’approche de Frank-Duquesne, d’inspiration orthodoxe mais qui a eu les faveurs de certains courants franciscains, avec la théologie de la rédemption en vigueur dans les milieux catholiques traditionnels. Mais c’est oublier ce que saint Paul nous dit de la «polychromie» de la Sagesse divine. En Dieu, les antinomies s’évanouissent…
Rédigé par Sombreval le Dimanche 1 Janvier 2012
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