Éclaircissements sur Apocalypse 5-12



Éclaircissements sur Apocalypse 5-12
Les théologiens professionnels et les liturgistes, lorsqu’ils examinent la relation de l’Eucharistie et de la théologie sacrificielle, omettent bien souvent de signaler la doctrine du sacrifice éternel du Verbe, telle qu’elle ressort de certaines épîtres de saint Pierre et saint Paul, ainsi que de l’Apocalypse. L’intelligence semble en effet désarmée devant la réalité mystérieuse de la kénose crucigène qui se réalise au sein même des rapports intratrinitaires. La Croix en effet ne peut être considérée comme un fait «brut», un simple événement terrestre, sans référence capitale à l’éternel et sacrificiel amour de ce Verbe, «Agneau, quasiment immolé dès avant la création du monde». C’est de toute éternité que le Christ offre à Dieu son sang très pur (Hebr, 9-14). C’est l’éternelle présentation d’une vie qui, éternellement, est une vie sacrifiée, immolée. La messe nous associe à cette Liturgie céleste en lui fournissant un «débouché» sur le plan de la «chair». Cette doctrine, Frank-Duquesne la reprend à son compte pour interpréter plusieurs versets de l’Apocalypse, entre autres Apocalypse 5 : Christ digne d’ouvrir le livre scellé
Voici son commentaire qui figure dans Satan (Ed de sombreval, p.148)

« Il semble qu'aucun exégète n'ait jamais songé à faire dater les débuts des faits révélés dans l'Apocalypse, à partir des premiers rapports entre Dieu et la création libre et responsable. L'Église commence pourtant, quant à l'Histoire, avec la vocation d'Abraham ; mais elle est toute donnée, «dans les cieux», dès que la Sagesse divine, qui est la nature de Dieu en tant qu'elle est participable, fut effectivement destinée à communication ontologique. Le Christ «est le même : hier, aujourd'hui, dans le monde à venir» (Hébr, 13:8). Il Se proclame Lui-même «Celui qui est, qui était, et qui vient», car Il S'identifie expressément, par l'apparence et par la parole, à l'Ancien des Jours (Apoc, 1:4.8.12-17 ; Daniel, 7:9) […] Or, les sept sceaux, qui commandent toute la cohésion interne des onze premiers chapitres, sont sous la dépendance du Christ, de l'Agneau. Que dit de ce dernier l'Apocalypse ? – Que, dès avant la création du monde, Il est «autant dire immolé» (5:6). La Vulgate traduit 13:8 par l'Agneau immolé depuis la fondation du monde ; ce qui correspond à 1 Pierre, 1:19-20, où «l'Agneau sans tache et sans défaut est vu, connu», par son Père, «dès avant la création du monde», comme tel, comme «versant son Sang» […] C'est éternellement qu'en son esprit le Fils offre à son Père, déjà, son sacrifice, «manifesté» physiquement «dans la plénitude des temps» (Hébr, 9:14 ; 1 Pierre, 1:20 ; Gal, 4:4-5). C'est là «le mystère gardé secret depuis le commencement du monde», «caché en Dieu avant que soient les cycles des éons» créaturels (Rom, 16:25 ; Éph, 3:9). Nous possédons ainsi «la vie éternelle dès avant tous les cycles des éons» (Tite, 1:2). C'est dès le principe – singulière rencontre de 2 Thess, 2:13 avec le début du Prologue johannique – que «Dieu nous a choisis pour nous introduire graduellement dans le salut». Paul, comme Simon-Pierre, nous voit sauvés par un sacrifice dont la substance est éternelle, «préalable» au monde, mais dont la manifestation s'effectue ici-bas «quand les temps sont mûrs» (1 Pierre, 1:20 ; 2 Tim, 1:10). On comprend, dès lors, qu'au seuil même de l'Histoire l'Agneau – car Il ne l'a pu devenir ici-bas que pour l'avoir essentiellement été là-haut – soit en état d'«ouvrir les sceaux», parce que, d'ores et déjà, devant son Père, «Il a vaincu» (Apoc, 5:5). J'ai lu peu d'exégètes «professionnels» sur l'Apocalypse, mais ceux que je connais considèrent cette rupture des sceaux comme équivalant à la divination de ce qu'il y a dans le mystérieux Livre du Destin. Mais non ! «Briser les sceaux», c'est-à-dire «ouvrir le Livre», n'est pas synonyme de connaître et de révéler ! Ces exégètes n'ont-ils donc jamais été soldats en temps de guerre ? L'Agneau est le général commandant, pour son Père, les troupes du Royaume. Il reçoit de Lui des ordres scellés. À tels moments prévus, Il ouvrira ses plis et en assurera immédiatement l'exécution. C'est dès la création d'êtres intelligents qu'Il procède à cette manœuvre «militaire». Mais le récit que nous en fait saint Jean n'a rien de chronologique : il ne s'agit pas d'un rapport d'état-major, mais d'une prophétie ! »…

Ce n’est pas tout…Les quelques précisions que nous avons apportées au début de cet article nous permettent d’appréhender toutes les implications de cet axiome du symbolisme selon lequel ce qui se passe ici-bas reflète «phénoménalement» les réalités du monde invisible. Le monde, comme l’écrivait Maistre, s’apparente à un «système de choses invisibles manifestées visiblement». C’est ainsi que, comme le note Frank-Duquesne, le martyr (sanglant ou non) des Saints, des «coopérants souffrants» (Massignon), tire sa valeur salvifique de la vie très précieuse sacrifiée par le Christ (cf. la Réversibilité). De même la passion à laquelle est soumise l’Epouse, l’Eglise militante ici-bas, la «guerre» qu’elle mène contre les puissances de perversité, reflète le combat qui, dans les sphères supérieures, oppose saint Michel et les anges fidèles aux hordes sataniques. Elle est, écrit Frank-Duquesne, «l’ombre, dans le monde physique, de la bataille livrée par saint Michel et ses anges dans le Ciel ».
Cette guerre céleste, comme le rappelle Frank-Duquesne, n’est pas la chute des anges déchus décrite au ch. 8 de l’Apocalypse. Elle a lieu après l’Ascension du Christ… « Chassé du ciel avant la Chute d'Adam (Apoc, 8:10-11; 2 Pierre, 2:4 ; Jude, 6), Satan peut encore se présenter devant Yahweh, lorsqu'il est convoqué (Job, 1:6-7 ; 1 Rois, 22:21 ; Zach, 3:1). Cette tolérance, qu'il prend dans son orgueil pour un pouvoir, il vient maintenant de l'exercer pour la dernière fois, pour avoir entraîné dans cette titanique escalade les siens, dans le vain espoir de supplanter le Christ par la force, de s'installer à sa place sur le trône du Verbe, après avoir vainement tenté, naguère, ici-bas, de L'éliminer par la ruse ».
Cette guerre, comme nous avons tenté de l’expliquer plus haut, «redouble» la lutte du Bien et du Mal qui se manifeste ici-bas. Il s’agit, comme l’écrit Frank-Duquesne, «d’une victoire remportée par le Messie mais appropriée par son peuple». On peut constater d’ailleurs que le chapitre 12 de l’Apocalypse juxtapose les versets sur la guerre opposant saint Michel à Satan (verset 7) et celui qui concerne l’apostolat victorieux des martyrs (verset 10-11) :
«...car il a été précipité l’accusateur de nos frères, celui qui les accusait devant notre Dieu jour et nuit. Ils l’ont vaincu à cause du sang de l’Agneau et à cause de la parole de leur témoignage, et ils n’ont pas aimé leur vie jusqu’à craindre la mort ». La juxtaposition de ces deux ordres de réalité nous permet de comprendre ce verset de Luc, 10:18, où jésus, devant les premiers succès de l’apostolat des siens, voit prophétiquement Satan tomber du ciel comme l’éclair.
Dans la septième partie de son chapitre sur l’Apocalypse, Frank-Duquesne résume cette conception symbolique qui fait interférer deux ordres de réalité, séparés mais inséparables, l’un visible, l’autre invisible, l’un conditionnant l’autre…Après avoir rappelé que cette conception, présente dans l’épître aux Hébreux et dans l’Apocalypse, présuppose qu’« il existe un ultramonde où les êtres et les événements sublunaires, ces ombres, ont leur authentique substance », l’écrivain ajoute :
« Le conflit terrestre du Bien et du Mal était, pour les Juifs, conformément à l'attitude de l'esprit qu'on vient de résumer, l'ombre projetée sur le plan des créatures sensibles par un conflit céleste, à l'échelle cosmique et même hypercosmique. Entre les deux, correspondance. Exemple : la victoire d'Israël sur Moab, c'est le triomphe de Yahweh sur Chemosch (Saturne) et donc la substitution du véritable au faux Sabbat [… ] Puisque l'univers forme un gigantesque Tout organique, au point que saint Paul peut le qualifier, non seulement de «création», mais de «créature» unique en quelque sorte, l'Incarnation et la Rédemption impliquent des rapports et des répercussions cosmiques (Rom, 8:19-22 pour les créatures inférieures à l'homme ; Col, 1:16-20 pour celles qui lui sont momentanément supérieures). Dès lors, lorsque, dans notre conflit avec le Mal, nous remportons une victoire qui n'est, en réalité, que celle du Christ, explicitée, faisant tache d'huile (Jean, 16:33), la Croix qu'avec Lui nous portons, sur laquelle avec Lui nous sommes, comme dit l'Apôtre, «cocrucifiés», et par laquelle nous triomphons, nous constitue les vainqueurs du Mal sous une forme plus universelle, plus foncière que nous n'en rencontrons ici-bas : c'est aux hiérarchies invisibles, aux puissances spirituelles de perversité que nous résistons (Éph, 6:12 ; Col, 2:15). Croire en l'existence et en l'action de Satan, c'est croire qu'avant d'être humain, individuel, fortuit, épisodique, le Mal est planétaire, cosmique, comme une atmosphère universelle où, non les corps, physiquement, mais l'être même de toutes les créatures, ontologiquement, subit une déviation, une désorientation, analogue à celle que subiraient nos organismes dans un habitat planétaire non fait pour eux (1 Jean, 5:19). Croire en Satan, c'est être convaincu que tout le Mal se ramène en dernière instance à une Volonté pervertie. Aussi, quiconque nie l'existence et l'action du Démon perd spirituellement et moralement beaucoup, sans rien gagner intellectuellement – sinon de se gaver de formules savantes et, actuellement, de galimatias freudianisant. »

29/11/2007
Sombreval





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